Ali Al-Hefnawi,
président du Village intelligent, le considère comme le plus
grand accomplissement de sa vie. Il compte aussi d’autres
exploits comme la fondation de l’Université française d’Egypte
et le rapprochement des milieux d’affaires franco-égyptiens,
qui lui ont valu une récente décoration par Jacques Chirac.
Le conciliateur des cultures
Rares sont les hommes qui arrivent à établir une
conciliation entre deux cultures, deux réalités, deux
mondes. Ali Al-Hefnawi en fait partie.
Il appartient à ce genre d’hommes dont on détecte la
quiétude et la gaieté de cœur de prime abord. Il nous a
accueillis avec convivialité dans son bureau au Village
intelligent, mais s’est absenté un laps de temps pour
accompagner un hôte d’honneur. « Je dois remplacer le
ministre des Télécommunications, qui est tombé malade, pour
faire visiter le village au président de la République du
Salvador. Faites comme chez vous », a-t-il dit avant de
s’éclipser. Une ambiance rappelant celle des films
américains règne sur les lieux. Un jeune homme sur son
trente et un passe dans le bureau de la secrétaire pour lui
soumettre un document, un autre pénètre dans le bureau d’en
face et demande un rapport, une demoiselle élégante salue
avec simplicité et en hâte ses collègues ... Dans cette
niche, où grouille un va-et-vient incessant, on dénote un
dynamisme de vive allure, conçu par le maître des lieux. «
Le Dr Ali représente pour nous un exemple à suivre. On
cherche tous à copier son sens de l’ordre et de
l’organisation », souligne la gérante de son bureau. Et
d’ajouter : « Il vient chaque jour en premier et quitte une
heure après les horaires fixes du travail ». Son emploi de
temps se déroule comme prévu, rarement interviennent des
changements pour le bousculer. Au terme de sa mission en
compagnie de son invité, Al-Hefnawi nous retrouve pour
entamer la discussion. La sérénité qu’il affiche en
permanence invite à percer son mystère. Son origine et sa
culture décantent bien d’histoires. « Mon grand-père
maternel était un ami et compagnon du militant Mohamad
Farid. Il fut exilé par le khédive Tewfiq en Suisse où il
s’est marié, et n’est rentré en Egypte qu’en 1936 pour
marier ses filles à des Egyptiens », évoque-t-il. Quant à
son père Moustapha Al-Hefnawi, il est le célèbre avocat
égyptien qui avait élaboré la loi de la nationalisation du
Canal de Suez. « Mon père était un ami de Nasser, mais sur
une divergence de leurs points de vue, il a dû quitter la
compagnie 9 ans après la nationalisation du canal pour
s’installer à Paris et exercer le travail d’avocat libre ».
Il dit toute sa dette à son père, qui lui a inculqué le sens
de la détermination et de la persévérance.
« La défaite de 1967 est un événement bouleversant qui a
marqué notre génération et celle de nos parents. C’est un
cauchemar qui a généré une frustration nationale et qui nous
a précipités dans la quête d’une alternative ». Peut-être
d’une autre vie ? « A l’époque, quitter l’Egypte était une
affaire difficile, qui exigeait un visa de sortie signé par
Nasser lui-même. Mais, j’avais de la chance parce que mon
père, ayant fait son doctorat en France, détenait ce visa,
qui m’a autorisé à quitter le pays ». Il observe un silence,
quelques instants, comme pour se remémorer tous ces
incidents de grand impact. « Sortir du pays, c’était
s’affranchir d’une impasse. Tant le pays était enfermé sur
lui-même comme un îlot, un lieu clos. On ne lisait que la
presse égyptienne, ne regardait que la télévision égyptienne
... alors que le désir de s’ouvrir sur le monde hantait
toujours mon esprit ». Epris de liberté, il rêvait, dès sa
tendre enfance, de devenir pilote. « La famille a rejeté ce
vœu en raison de la guerre », regrette-t-il.
Ainsi, cet ancien élève des Frères fut-il contraint à se
tourner vers l’étude de l’architecture, ainsi que
l’informatique et le droit. « J’ai étudié le droit peut-être
pour faire plaisir à mon père », dit-il en souriant. Et
d’ajouter : « La vie dans un pays comme la France fait
apprendre aux jeunes l’amour des sciences. Combien de fois,
en me promenant dans le Quartier latin, j’ai décidé
d’assister à des cours de sociologie, ou autres ... C’est
très important de s’ouvrir sur d’autres horizons ». Malgré
sa passion éperdue pour la France, il a refusé d’acquérir la
nationalité française qu’on lui avait proposée, préférant ne
s’attacher qu’à la sienne propre. « A l’époque, on proposait
la nationalité française aux jeunes hommes brillants qui ont
fait leurs études en France. Mais, j’étais toujours fier
d’être un Egyptien », explique-t-il. Il était cependant
acquis à l’idée de devoir permettre aux Egyptiens de
bénéficier d’un enseignement favorisant une méthodologie
identique à la française. « Fonder une université française
au Caire était un rêve qui a pu se concrétiser avec la
promulgation de la loi sur les universités privées en 1992.
Cette université est, en effet, différente dans son concept
des autres universités privées, puisqu’elle ne vise pas le
profit. Dans le sens où ses dividendes ne sont pas partagées
par les investisseurs, mais exploitées dans la réalisation
de ses objectifs », affirme-t-il.
Il fut la dernière personne décorée par l’ancien président
français Chirac, avant son départ de l’Elysée, pour avoir
œuvré des années durant au rapprochement des Egyptiens et
des Français à travers, par exemple, le Club d’affaires
franco-égyptien qu’il présidait. Aussi bien tout en étant
l’agent de 42 entreprises françaises dont il a facilité
l’introduction sur le marché égyptien.
Cet homme est habité d’un enthousiasme qui semble être le
moteur de tout son parcours. C’est de là peut-être que
jaillit cette puissance qui ne se contente pas seulement de
connaître d’autres cultures, mais aussi de reconnaître leur
apport. Cela a aiguisé sa volonté de passer du domaine de
l’architecture, sa spécialisation, à ceux des
télécommunications et de la technologie pour entamer une
nouvelle phase dans la vie. « Vers la fin des années 1980,
j’ai écrit une série d’articles sur le développement
technologique dans la presse égyptienne. Quelques années
plus tard, j’ai rencontré Atef Ebeid, qui était à l’époque
le premier ministre, et il m’a présenté le projet de la
vallée technologique, qui était à son stade préliminaire, me
proposant d’assumer la direction du Programme du
développement technologique en Egypte ». Or, le projet n’a
pas pu voir le jour. Trois ans plus tard, il quitte ce poste
pour devenir le PDG de l’entreprise Alcatel pendant trois
ans. Cependant, l’an 1999 marque un tournant dans son
itinéraire. « Cette date correspond à la fondation du
premier ministère des Télécommunications et de la
Technologie de l’information dont Ahmad Nazif assurait le
portefeuille. Il m’a proposé de travailler avec lui comme
premier conseiller. Pour commencer, on a occupé trois pièces
au Central de Ramsès. Ahmad Nazif devenu l’actuel premier
ministre, Tareq Kamel, ministre des Télécommunications, et
moi-même, nous passions des heures à mettre au point le plan
d’un nouveau technopôle ». Il s’agissait cette fois d’un
village intelligent et non pas d’une vallée. « Inspirés du
modèle français de Sophia Antipolis, nous avons commencé à
concevoir un projet s’étalant sur une superficie de 300
feddans, pour atteindre maintenant les 700 ... L’idée
consistait à favoriser un environnement propice pour la
création technologique et donc à attirer le plus grand
nombre d’investisseurs étrangers pour exploiter cette
ambiance sous le label This is the smart place to make
business », souligne Al-Hefnawi dans un anglais parfait.
Le Village intelligent semble, en effet, être une utopie
technologique. Les bâtiments rappellent les films de
science-fiction avec leurs façades métalliques qu’enchâssent
des vitres bleues, de vastes espaces verts, des lacs ...
tous embrassent la route désertique de Guiza.
Ce fut pourtant un grand projet qui n’a pas eu que des
adhérents. Certains journalistes de l’opposition ne voyaient
pas d’un bon œil l’édification du village dans un pays où
fait défaut la technologie, alors que l’Inde, un des pays
les plus avancés en la matière, n’en possédait pas un. «
Cela est complètement irrationnel », commente-t-il
calmement. « L’Inde possède une région qui s’appelle
Bengalore, destinée à la production de technologie. Et puis
l’Egypte a commencé à produire de la technologie. A preuve
la conversion des bureaux gouvernementaux, comme des écoles,
à l’informatique vers la fin des années 1990. Depuis, les
équipements en ordinateurs ont grimpé », note-t-il.
Cependant, un nombre restreint de la population est
conscient de la mission du village, selon l’évaluation du
Video Streaming sur Internet. « Beaucoup de gens interrogés
par ce programme visuel ont affiché une méconnaissance du
fonctionnement du village, l’assimilant à un site
touristique ou une station balnéaire. En fait, ces gens
lisent peu ou sont peu informés », explique-t-il fermement.
Et d’ajouter : « Maintenant, le rêve de tout nouveau diplômé
en Egypte est de travailler au Village intelligent ». Ainsi
Al-Hefnawi exprime-t-il sa satisfaction de voir ce projet
atteindre ses objectifs, dont entre autres la création de
nouvelles chances d’emplois pour les jeunes, l’attraction
d’investissements étrangers, et la divulgation d’un savoir
technologique au sein de l’Egypte et ailleurs. « Il convient
de souligner que ce sont des Egyptiens qui ont bâti les
networks de GSM d’Alcatel au Portugal, en Roumanie, au
Pakistan ainsi qu’en Afrique. Tous ont reçu un apprentissage
au centre de formation d’Alcatel du Village intelligent »,
dit-il en toute fierté.
On imagine qu’avec une passion pareille pour le monde
technologique, l’idée d’être un jour à la retraite pourrait
lui être un cauchemar. Or, il se résout, comme d’habitude, à
des compromis. « J’irai vivre dans ma ferme à Al-Tell
Al-Kébir, près de la région du canal qui m’est chère, où je
passerai mon temps à écrire des livres sur mon expérience
dans la vie ». Et d’ajouter sur un zeste d’humour : « Je
vais aussi pratiquer l’agriculture. Que pensez-vous de la
culture des oignons ? ».
Lamiaa Al Sadaty