Al-Ahram Hebdo,Société | Militant à contre-courant 
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 2 à 8 Mai 2007, numéro 660

 

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Société

Ouvriers. Cela fait plus de 40 ans que Saber Barakat jongle entre la maintenance des machines et la lutte ouvrière. Il a fait de la prison, a vu la grandeur et le déclin du rêve nassérien. Mais il n’a jamais lâché prise. Focus sur ce leader des travailleurs.

Militant à contre-courant 

Saber Barakat se hâte d’enfiler sa tenue de travail. Un uniforme de couleur bleue dont il est très fier. « Je me sens ainsi en forme, comme un osta, un patron, et c’est pour moi une mission toute de prestige », dit-il. Une tenue qu’il a commencé à porter dès l’âge de 15 ans lorsqu’il est entré dans cette fonderie en tant qu’apprenti. Un système qui était appliqué dans les années 1960 pour permettre aux enfants des pauvres de gagner leur vie tout en poursuivant leurs études. Bien que son salaire n’eût pas dépassé les 35 piastres, Saber était content de son travail. Il se vantait même du fait que son père était un ouvrier et son grand-père, un paysan. « J’ai été fasciné par les slogans socialistes de la période nassérienne qui insistait sur la valeur du travail. Une société en pleine mutation œuvrant pour le développement. C’était la période où les ouvriers bénéficiaient de plusieurs assurances sociales », souligne Barakat. Selon ses propos, l’ouvrier jouissait d’un certain prestige, ce qui lui permettait de mener une vie stable. Mais la situation a commencé à changer en 1977, avec l’ouverture économique. Et ce qui avait aggravé la situation, la privatisation de certaines usines en 1992. La vie de l’ouvrier égyptien s’est trouvée chamboulée. « Il suffit de préciser que notre usine comptait environ 5 000 ouvriers. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 1 000. La nouvelle génération n’est plus motivée pour exercer des métiers à risques sans aucune mesure de protection », dit-il. Selon Barakat, l’ouvrier ne bénéficie aujourd’hui d’aucune assurance médicale ou de prime de risques. Il n’existe pas de syndicats libres pouvant défendre les intérêts réels des ouvriers.

Armé de ses convictions, Barakat a mené deux vies en une. Il s’est lancé dans la lutte ouvrière. Une bataille qui lui a coûté cher, puisqu’il a été arrêté à plusieurs reprises. Sept fois entre 1977 et 1982, sous prétexte de faire partie d’une cellule qui vise à renverser le régime politique. Il a écopé de plusieurs peines de prison allant de 2 à 16 mois. Arrêté encore en 1989, il a passé 21 jours en taule. En prison, il a tissé des amitiés avec des journalistes et intellectuels égyptiens et a découvert en lui d’autres talents. « Je pense que les moments de crises peuvent parfois être investis de manière différente et profitable. Car j’ai pu en prison poursuivre mes études universitaires et obtenir enfin ma licence en droit ».

Aujourd’hui, Saber porte encore le flambeau du mouvement ouvrier. Ses relations étroites avec ses collègues, son long périple et ses nombreux déplacements dans divers secteurs industriels lui ont permis de saisir de près les souffrances des ouvriers. Il s’occupe du comité de la coordination des droits et de la liberté syndicale des ouvriers. Un des rares réseaux resté légal, à travers lequel les ouvriers ont la possibilité de s’exprimer.

Cela fait 41 ans que Saber travaille dans l’usine de métallurgie de Choubra Al-Kheima, une cité industrielle aux environs du Caire. Sa mission consiste à veiller au bon fonctionnement des machines et à contrôler les opérations de fusion et de coulée. Au sein de cette fournaise et avec une agilité déconcertante, Barakat se déplace d’une machine à l’autre. Tout comme sa vie, sa journée est faite de hauts et de bas. Un emploi du temps rigoureux qui répond à la cadence de chaque machine. Barakat se lève chaque jour à 4 heures du matin. A 6 heures, c’est la relève de l’équipe de nuit par celle du jour, un moment important où il doit prendre note du rapport détaillé, consigné par son collègue et sur lequel sont mentionnées quelques solutions en cas de panne. Très sollicité, Barakat ne semble pas être perturbé par les nombreux coups de fil émanant des unités de production. Etre responsable de la maintenance dans une unité métallurgique aussi importante et qui date des années 1940 n’est pas une mince affaire. « Tout doit fonctionner, car un arrêt de production risque de nous coûter très cher. La coulée de métal peut se refroidir et coller sur les parois du fourneau en brique. Et dans ce cas, la seule solution est de le démolir. Une opération difficile et fort coûteuse. Le rôle de la personne qui s’occupe de la maintenance est primordial. Il est comme l’ambulancier qui doit donner les premiers soins d’urgence pour éviter une catastrophe », explique Saber avec fierté. Il confie qu’avec l’expérience, il a fini par tisser une relation intime avec ses machines. « Je les compare à mes enfants. Lorsque je pose ma main sur l’une d’elles et qu’elle est chaude, je sais que quelque chose ne va pas et je ne la lâche que lorsqu’elle est en bon état de marche. 

Il m’arrive de passer une journée entière pour découvrir les raisons d’une panne », poursuit Saber. Et ce contact n’est pas sans risque, car toute machine peut se retourner contre son propre maître. « Les personnes chargées de la maintenance ont toujours cette phrase dans la bouche, comme quoi chaque machine est habitée par un djinn et doit se nourrir du sang d’un ouvrier pour que le travail continue. Ils prennent la vie avec philosophie et disent qu’il n’y a aucun métier sans sacrifices », souligne Saber. Sa longue expérience lui a appris qu’il faut s’attendre à tout avec une machine en panne. « Je ne peux oublier le jour où l’un de mes collègues a été pris par une machine et a eu le corps déchiqueté. Il se tenait debout sur une perche qui a cédé sous ses pieds. C’est la scène la plus tragique que j’ai vécue entre les murs délabrés de cette fonderie ».

Quand il n’est pas en bleu de travail, il active. « J’ai présenté un rapport à l’Organisation Internationale du Travail (OIT) ainsi qu’au Conseil égyptien des droits de l’homme. Ce rapport assure que les syndicats actuels ne représentent pas les intérêts des ouvriers. Il suffit de mentionner que « l’Union des ouvriers égyptiens ne compte que 4 millions de membres, alors que le nombre de travailleurs est bien plus important. D’ailleurs, l’Etat essaye depuis les années 1960 de soudoyer ces unions qui finissent par se soumettre au régime politique ». Pourtant, il existe, aujourd’hui et selon lui, un mouvement ouvrier actif et indépendant, qui œuvre pour les intérêts de la masse laborieuse que l’on tente de détruire ou de réduire son rôle. A la tête du mouvement ouvrier, Saber ne rate aucune occasion pour soutenir ses collègues dans d’autres secteurs industriels. « Saber est actuellement l’un des plus importants leaders de la lutte ouvrière en Egypte », estime Khaled Ali, directeur du Centre Hicham Moubarak pour les droits de l’homme et du comité de coordination des droits et des libertés syndicales des ouvriers. C’est l’heure de la pause. Saber ne quitte jamais son poste de travail. Son moment de repos, il le consacre à lire un ouvrage de son écrivain fétiche Youssef Idriss au bien à écouter sa chanteuse préférée Fayrouz. Parfois, il se lance dans un débat houleux avec ses collègues. En fin de journée, il retourne finalement chez lui. Au sein de sa famille, on le soutient dans ses deux vies. Grâce à son esprit avant-gardiste et à sa culture, il a su s’imposer. Sa femme médecin et sa fille enseignante à l’université respectent sa carrière. Quant à lui, il arbore son statut d’ouvrier comme un emblème et malgré la libéralisation et les privatisations, il ne lâche pas prise et continue plus que jamais sa lutte ouvrière .

Dina Darwich


 

Histoire d’un mouvement

C’est toute une action qui a commencé au début du XIXe siècle et connu des hauts et des bas sans pouvoir jamais s’imposer face au capital.

Le mouvement ouvrier en Egypte a vu le jour en 1818 sous le règne de Mohamad Ali, vice-roi d’Egypte, qui a introduit l’industrie moderne. On comptait à l’époque 29 usines et près de 30 000 ouvriers, alors que la population égyptienne ne dépassait pas les 2,3 millions d’âmes. Une renaissance qui n’a duré que 20 ans. Après le traité de Londres, Mohamad Ali a dû capituler face aux grandes puissances de l’époque. Cependant, cette période a eu un impact sur la masse prolétaire qui s’est libérée du système industriel des corporations de métiers, appliqué depuis le Moyen-Age. Les ouvriers ont connu un moment de gloire dans les années 1860 avec l’accès du khédive Ismaïl au pouvoir. Les capitaux étrangers arrivés en Egypte suite à la guerre civile aux Etats-Unis en 1861 outre les avantages dont bénéficiaient les étrangers en 1882 ont provoqué le déclenchement du mouvement ouvrier. Les grandes usines appartenant à des capitalistes étrangers ont rassemblé à la fois les ouvriers égyptiens et européens (italiens, grecs, maltais, chypriotes et arméniens). Ce contact a permis aux ouvriers de s’initier aux différents moyens de lutte ouvrière, comme les grèves, les sit-in, la création d’associations et de syndicats, etc. Cependant, la discrimination entre ouvriers égyptiens et étrangers a attisé l’esprit patriotique. La grève menée par les ouvriers de la Société de tabac en 1899 a été le début du mouvement de la lutte ouvrière en Egypte. Ce mouvement a joué un rôle important dans les revendications des travailleurs et contre la colonisation anglaise. Lors de la révolution de 1919, la grève menée par les ouvriers du tramway a paralysé toute l’Egypte et a contribué au succès du mouvement nationaliste. En 1946 et lors de l’intifada qui a marqué cette année, le comité patriotique des ouvriers et étudiants a mené une série de grèves réclamant l’indépendance de l’Egypte. Les ouvriers de l’industrie du textile ont été les leaders. La première association qui a défendu les droits des ouvriers a vu le jour en 1918. Une union, la première, a vu le jour en 1921. Malgré les tentatives permanentes du capitalisme égyptien de comprendre, dominer et limiter le mouvement ouvrier en Egypte, celui-ci a pu unir ses rangs après bien des difficultés en 1946 pour reprendre sa lutte. Suite à la Révolution de Juillet 1952, le mouvement a connu une période importante et particulière avec la montée des slogans socialistes .

D. D.

 




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