Le ministre de l’Industrie et du Commerce,
Rachid Mohamad Rachid,
explique sa politique et ses options souvent
contestées, mais qu’il justifie par une vue perspicace de
l’avenir.
«
Je suis plus concerné par les grands investisseurs »
Al-Ahram Hebdo : Votre remède pour stabiliser le marché du
fer à béton et du ciment n’a pas fait guérir. Les
entreprises concernées insistent toujours à exporter
davantage leurs productions, assoiffant ainsi le marché
local. Avez-vous déposé vos armes ?
Rachid Mohamad Rachid :
Dès le début, notre objectif était d’imposer des frais sur
l’exportation, pour que celle-ci devienne moins séduisante
aux yeux des exportateurs. Et par ce, ces entreprises
offrent leurs produits sur le marché local. Le but d’imposer
un droit de douane sur le fer et le ciment ne visait pas à
réduire directement les prix locaux.
— Mais, les prix du marché international demeurent toujours
plus attirants pour les producteurs ...
— Nous avons anticipé que ces prix internationaux
augmenteraient davantage parce que les cours du fer brut
importé sont à la hausse, au même titre que ceux du ciment.
Nous avons ainsi imposé ce droit de douane en prévision de
ces augmentations. Nous savions bien que les prix
augmenteraient sur le marché international. Au moment où
nous avons entrepris cette étape, le prix d’une tonne de
ciment était de 65 dollars, aujourd’hui il a atteint 90. Le
prix local d’une tonne de ciment devait, en conséquence,
atteindre 400 L.E. et celui du fer 4 000 L.E. Nous avons
réussi donc à maintenir les prix locaux à un niveau
inférieur. Imaginez-vous ce qui serait passé si l’on n’avait
pas imposé ce droit de douane.
— Cela n’a pas soulagé cependant le marché local, qui a vu
les prix augmenter du jour au lendemain. Quelle est donc
votre prochaine mesure ?
— Nous avons déclaré dès le premier jour que le droit de
douane va varier selon la fluctuation des prix
internationaux. Nous l’avons déjà haussé pour les grands
producteurs, de 160 à 180 L.E. Quant aux petits
exportateurs, nous avons exempté leurs produits de ce droit
et il en serait de même avec les exportations du ciment
blanc.
— Un autre sujet brûlant, lié toujours au ciment et au fer à
béton. Il s’agit de l’énorme subvention à l’énergie dont ils
bénéficient. Ne trouvez-vous pas injuste qu’une minorité
d’entreprises qui réalisent 40 % de bénéfices s’accaparent
des subventions à hauteur de 7 milliards L.E. ?
— Ne parlons pas de subventions pour ne pas soulever
l’opinion publique. Dans le monde entier, le secteur
industriel bénéficie de prix d’énergie privilégiés.
N’empêche que ces prix sont actuellement révisés. Le
gouvernement est en train d’élaborer une étude qui sera
annoncée fin juin pour calculer le prix de l’énergie pour
tous les secteurs industriels.
— Quels sont les principaux traits de cette étude ?
— Il s’agit en fait de hausser le prix sur un intervalle de
deux à trois ans. Ensuite, une autre augmentation, sur 5
ans. Dans les 10 ans qui suivent, chaque industrie pourra
calculer le prix de l’énergie selon une équation précise, en
fonction des cours internationaux de l’énergie. Je vous en
trace les grandes lignes. Les détails au cours des
intervalles pourraient changer d’après les résultats de
l’étude et les négociations avec les parties concernées.
— L’Organisme anti-monopole mène depuis plusieurs mois des
investigations concernant le cas des entreprises du ciment
ou du fer à béton. Pourtant, il a déjà conclu à des charges
contre 4 autres entreprises publiques. Est-ce que ce retard
est dû aux pressions des grandes entreprises ?
— Non. Pas du tout. En fait, dans le cas des 4 entreprises
publiques, c’était beaucoup plus facile. Là, c’est le
gouvernement, propriétaire des entreprises, qui nous a
présenté les cas. Il voulait connaître la situation de ces
entreprises afin de les restructurer, pour pouvoir les
vendre plus tard. Donc, les informations ont été offertes à
l’Organisme en toute transparence. Dans le cas du ciment et
du fer, les investigations prennent plus de temps. Les
accusés n’ont pas intérêt à dévoiler leurs informations. Ils
avancent les leurs, de leur point de vue, mais l’Organisme
doit fouiller pour avoir d’autres informations
indépendantes.
— Monopole, ambiguïté des prix de l’énergie ... ne
trouvez-vous pas ces conditions défavorables à l’ambiance de
l’investissement ?
— En
général, c’est oui. Cependant, il est à noter que l’ambiance
des investissements s’est beaucoup améliorée, de sorte que
les bons indicateurs dépassent de loin nos prévisions. La
semaine dernière, j’ai préféré ne pas publier les derniers
indicateurs industriels, de peur que les médias ne nous
accusent de les avoir édulcorés. Ainsi, en un seul mois, 8
milliards de L.E. ont été versées en capitaux frais sur le
marché. Les médias nous avaient déjà critiqués quand nous
avions prévu des investissements dans le secteur industriel
à hauteur de 175 milliards de L.E. sur 10 ans. En fait, sur
un intervalle de 6 mois seulement, nous en avons reçu 18
milliards.
— Les
fruits de ces réformes ne touchent cependant que les grands
investisseurs ...
— Je ne
le nie pas. Je suis plus concerné par les grands
investisseurs car ils représentent 80 % de l’activité
industrielle. D’autant plus que les problèmes qu’ils
soulèvent deviennent très urgents. En premier lieu, le
manque de terrains convenant à l’activité industrielle. Nous
avons une longue liste de 800 usines projetées qui ne
trouvent pas de locaux. Ainsi, nous sommes en train de
régler ces problèmes en allouant 800 000 feddans au secteur
privé, dans des régions appropriées, pour y installer et
gérer des zones industrielles. Sans oublier le problème du
manque de la main-d’œuvre qualifiée. Pour y remédier, nous
avons récemment créé un fonds de 500 millions de livres,
pour la formation de la main-d’œuvre. Finalement, ce que
vous appelez « les grands », ne le sont pas vraiment, selon
les normes internationales. Nous avons, en fait, un grand
défi de productivité. Ces soi-disant grands ont besoin
d’accroître leur productivité. J’ai été choqué quand j’ai
appris que les 7 plus grandes entreprises de prêt-à-porter
égyptiennes ont chacune un chiffre d’affaires aux alentours
de 100 millions de L.E., soit le niveau d’une entreprise
internationale petite ou moyenne.
— Cette
croissance n’est-elle pas d’ailleurs liée à la croissance
mondiale et aux flux records de capitaux étrangers dans le
monde entier ?
—
Certainement. Nous bénéficions actuellement de liquidité
internationale record. La croissance en Chine n’était-elle
pas basée sur le boom américain ? En revanche, si la
croissance en Chine ralentit, ou les cours pétroliers
baissent, nous serons touchés. C’est la nature des choses
dans ce monde ouvert. Les économistes ne disent-ils pas : «
Sur le long terme, nous mourrions tous » ? D’ailleurs, nous
sommes actuellement en train d’améliorer nos fondements
économiques, pour devenir mieux préparés aux chocs
extérieurs.
—
L’Egypte s’est récemment lancée dans des négociations pour
modifier l’Accord d’association avec l’Union Européenne
(UE). Vous avez réclamé la réciprocité. Une ouverture
européenne du secteur agricole contre une ouverture
égyptienne du secteur des services. Ne craignez-vous pas la
compétition avec ce bloc économique géant ?
— Il
s’agit d’un accord, et donc de profits mutuels. Là, il faut
comprendre que pour la première fois, l’UE est face à une
proposition d’ouvrir son marché agricole. Les négociateurs
européens hésitent énormément. Ce ne seront pas des
négociations faciles. Ces pays sont toujours les avocats de
l’ouverture des marchés et c’est le moment qu’ils appliquent
véritablement leurs slogans. Il faut s’attendre au moins à
trois ans de négociations.
— Est-ce
que les entreprises égyptiennes sont capables de faire face
aux entreprises européennes géantes dans le domaine des
services ?
— Vous
en serez surpris. L’Egypte possède déjà un grand nombre de
services libéralisés et ayant réalisé des succès :
télécommunications, hôtellerie, construction, entre autres.
Mais je reconnais qu’il y aura un prix à payer, comme par
exemple la concurrence qui sera exercée par exemple par un
bureau de comptabilité ou d’avocat européen. Toutefois, nous
croyons que nous profiterons sur le long terme. Prenons
l’exemple de la technologie informatique. Une fois
libéralisée, nous avons vu de grands noms s’installer, comme
Oracle et Microsoft. Au début, le haut personnel était
étranger. Maintenant, il est majoritairement égyptien. De
plus, l’accès libre à la main-d’œuvre permet aux employés
égyptiens de travailler en Europe.
—
Parlant des accords commerciaux, une récente étude effectuée
par Oxfam assure que de nombreux accords bilatéraux ont de
mauvaises répercussions sur l’économie des pays émergents
...
— C’est
tout à fait vrai. Dans le cas d’accords bilatéraux, la
position des pays émergents est plus faible et ils sont
obligés de se soumettre à de nombreuses conditions, sous la
pression des pays développés. Mais, en Egypte, ce n’est pas
le cas. Tout d’abord, nous n’avons pas un grand nombre
d’accords avec ces pays. Ainsi, nous n’avons conclu que
trois grands accords commerciaux, dont un seulement avec un
grand rassemblement économique. L’Accord d’association avec
l’Union européenne, l’Accord de la zone de libre-échange
interarabe, et le marché commun de l’est et du sud de
l’Afrique (Comesa). Quant aux autres accords bilatéraux, il
n’y a que celui avec la Turquie, qui fait partie du
processus de Barcelone, celui de l’Efta (Suisse, Norvège et
Islande), on parle toujours des pays européens. Le reste des
accords, avec la Chine, le Singapour, et autres. En réalité,
ce ne sont que des arrangements permettant à l’Egypte de
profiter de l’expérience de l’autre partenaire. Par ailleurs,
il faut signaler que l’on a choisi de libéraliser le marché
égyptien sans aucune pression étrangère. Prenez l’exemple de
la réduction des taxes douanières sur les produits importés.
Nous l’avons appliquée à deux intervalles, en 2004 et en
2007. Ces baisses vont au-delà de nos engagements
internationaux, mais nous avons estimé qu’elles sont
importantes pour l’économie égyptienne.
Névine
Kamel et Salma Hussein