Conflit arabo-israélien .
L’heure est-elle aux négociations à la suite de la relance
d’un plan de paix arabe qui, tout d’un coup, semble
intéresser tout le monde ? Ou
s’agit-il plutôt d’une grosse affaire de relations publiques
?
La quadraute du cercle
Pourrissement
ou mûrissement de la crise ? Chaos constructif ou processus
logique et bien organisé ? Gestion de crise ? Des questions
de méthode que l’on a à l’esprit dès qu’il est sujet du
conflit arabo-israélien. Cela parce que depuis que ce
problème existe, c’est-à-dire depuis 1948, lorsque la
Palestine fut usurpée (le seul terme qui définit la réalité
des choses), toutes sortes d’approches ont été proposées qui
ont figuré au cours de périodes intermédiaires, celles
séparant les guerres et les différents choix de violence. On
dirait un répit en attendant que les armes dictent leur loi.
Mais même finalement, il s’avère que ce langage militaire
est lui-même dans l’impasse. L’intervention israélienne au
Liban et son échec notoire, les différentes opérations et
interventions dans les territoires palestiniens, le blocus,
une guerre plus cruelle encore, tout cela n’a fait
qu’attiser le feu.
Et voilà que subitement on a décidé de chercher dans les
vieux dossiers une formule qui pourrait meubler ce vide. Et
ce fut l’initiative arabe de paix décidée lors du sommet
arabe de Beyrouth de 2002 et que l’on croyait avoir fait
long feu. A l’époque, Israël et les Etats-Unis l’avaient
dédaignée, au vrai sens du terme. En plein sommet arabe,
Ariel Sharon oppose une fin de non-recevoir à l’offre arabe.
Celle-ci prévoit la normalisation des relations avec Israël
en échange de son retrait total des territoires arabes
occupés depuis 1967, la création d’un Etat palestinien et le
règlement de la question des réfugiés palestiniens.
Difficile de déterminer pourquoi ce retour à une proposition
qui, certes, n’a jamais été abandonnée ? Une inspiration
occidentale ? Une sorte de promesse aux Arabes de faire un
pas en direction d’un Israël qui donne des apparences d’un
certain essoufflement ?
De toute façon, lors de leur sommet de Riyad, les dirigeants
arabes ont adopté une résolution qui relance ce plan. La
réaction israélienne n’a pas manqué d’être la même qu’en
2002 mais avec une certaine nuance. Tel-Aviv a dit non à
moins qu’il n’ait son mot à dire sur le contenu du plan. Et
Shimon Pérès, le numéro 2 du gouvernement israélien que l’on
qualifie de « colombe », de lancer qu’il n’était toujours
pas question pour Israël d’accepter cette initiative dans sa
forme actuelle, car « des négociations n’auraient (alors)
plus de raison d’être ». Les Arabes aussi ont tenté de
ménager la chèvre et le chou. « La réponse israélienne à
l’initiative a été très négative », a dit le ministre
égyptien des Affaires étrangères, Ahmad Aboul-Gheit. Mais de
s’empresser d’ajouter : « Nous ne considérons pas la réponse
israélienne comme définitive ».
Les propos de M. Pérès et la réponse de M. Aboul-Gheit
confirment l’affrontement de deux logiques sans pour autant
dédaigner une possibilité de percée. D’un côté, les leaders
arabes estiment qu’Israël doit accepter l’initiative dans
son intégralité avant d’en négocier ensuite les modalités. «
Nous leur disons, acceptez-la d’abord, puis venez à la table
de négociations afin que l’on puisse parvenir à un règlement
juste et acceptable pour tous et conforme à la loi
internationale, aux résolutions du Conseil de sécurité et au
principe de la terre contre la paix », a ainsi déclaré le
secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, lors de la
session d’ouverture du sommet.
Si un chercheur comme Saïd Okacha, spécialiste des affaires
israéliennes, minimise la portée de ce plan arabe et même
des réactions israéliennes, c’est qu’il considère qu’il
s’agit d’une simple « opération de relations publiques ». Il
y aurait un hiatus considérable entre de telles propositions
et la réalité des faits. Parce qu’au cœur de ce plan se
trouve la question cruciale des réfugiés palestiniens. Elle
vient d’ailleurs rappeler que le conflit arabo-israélien ne
se limite pas à des seules données stratégiques mais a pour
base tout un peuple, dont une grande partie vit dans l’exil.
Les Israéliens refusent d’accepter un texte qui prévoit
notamment « un règlement équitable et agréé du problème des
réfugiés palestiniens conformément à la résolution 194 de
l’Assemblée générale de l’Onu ». Israël souhaite également
des modifications concernant les clauses du plan relatives
aux frontières du futur Etat palestinien. Comme le souligne
Okacha, une solution prévoyant le « retour de quelque 3
millions de réfugiés mettrait fin à la majorité juive dans
l’Etat d’Israël », ce que Tel-Aviv ne veut accepter.
Toute la problématique concrète de la question est donc là.
Et si l’Etat hébreu ne peut admettre le principe du retour
des réfugiés, le président de l’Autorité palestinienne,
Mahmoud Abbass, n’est non plus en mesure, lui, de « brader
le droit au retour » comme l’indique Okacha.
Si la situation est telle, peut-on cependant expliquer le
regain d’intérêt pour le plan arabe de paix ? « Les Etats
arabes doivent s’ouvrir envers Israël afin de montrer à
Israël qu’ils ont accepté sa place au Proche-Orient », a
déclaré la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice.
Amener les Arabes, en tant que bloc, à négocier avec Israël
sur la base d’un plan, même si celui-ci, dans sa totalité,
ne répond pas aux exigences de son allié israélien, serait
un acquis pour un Washington embourbé en Iraq et en
difficulté avec l’Iran sur le nucléaire.
Toute relance du processus de paix a, en effet, été liée à
une quelconque guerre américaine dans la région. Oslo, qui a
ouvert la porte aux premières négociations
israélo-palestiniennes, est né dans la foulée de la guerre
contre l’Iraq après son invasion du Koweït. La Feuille de
route était le fruit de la deuxième guerre contre Bagdad.
L’activité actuelle serait-elle en prélude à une troisième
guerre, cette fois-ci contre l’Iran ? Beaucoup d’indices le
démontrent, surtout que les Américains demandent d’« activer
» l’offre arabe. Les Arabes croient ou veulent croire à
cette activation de la diplomatie après une activation de
leur plan. La déléguée générale de la Palestine auprès de
l’UE, Leïla Shahid, a ainsi affirmé qu’il « faut se
féliciter du retour d’une diplomatie arabe qui a été
pratiquement neutralisée depuis le 11 septembre 2001 ».
Cette initiative a été d’ailleurs incluse dans la Feuille de
route du Quartette. (lire page
5).
Négocier donc pour négocier ? Ou
mettre l’accent sur un règlement pratique du problème des
réfugiés ? Les Palestiniens ont toujours exigé qu’Israël
reconnaisse un droit au retour des réfugiés, tout en
affirmant qu’une fois ce principe reconnu, les modalités
d’application seraient négociées.
Le sort des réfugiés palestiniens, poussés à l’exode lors de
la création d’Israël en 1948, et de leurs descendants, soit
plus de quatre millions de personnes au total, est un
élément-clé de la cause palestinienne (Lire reportages).
Mais l’Etat hébreu refuse d’entendre parler de leur retour.
Certains Israéliens voient dans l’acceptation même du
principe, même s’il s’agit de compensations financières, une
remise en cause de la légitimité de l’Etat hébreu. C’est
comme si cet Israël né dans la violence et le sang a existé
ex cathedra.
Et plus est, Israël rejette tous les autres éléments de
l’initiative arabe, notamment le fait d’accepter la création
d’un Etat palestinien souverain sur les territoires
palestiniens occupés depuis 1967, avec Jérusalem-Est pour
capitale. Tout compte fait, c’est la sempiternelle attitude
d’Israël qui accepte de manière biaisée les résolutions
internationales et les accords, puis remet leur application
aux calendes grecques avant de conclure qu’ils sont devenus
caducs et qu’il faut renégocier sur d’autres principes. Un
oui ou un non mais, c’est toujours la réaction israélienne.
Pourquoi donc ce regain d’intérêt général pour l’initiative
arabe si rien n’a changé ? Meubler un vide — la nature a
horreur du vide. Occuper les protagonistes, surtout arabes,
en proie à toutes sortes de difficultés internes à l’heure
des grands choix américains dans la région ? Et pour Israël,
donner de l’éclat à un Olmert en perte de vitesse ?
« Si le roi saoudien initiait une réunion avec les pays
arabes modérés et m’invitait, avec le chef de l’Autorité
palestinienne, pour nous présenter les idées saoudiennes,
nous viendrions pour les écouter et serions heureux de
présenter les nôtres », a affirmé Olmert. Réaction : « M.
Olmert est en si mauvaise posture sur la scène politique
intérieure qu’une telle invitation lui redonnerait un peu de
couleurs », a ironisé le commentateur de la très influente
radio militaire. Qu’espérer donc
pour une relance du processus de paix ? Sans doute rien avec
cet adage toujours à propos : « Plus ça change, plus c’est
la même chose ».
Ahmed
Loutfi