Le synonyme de Azza Fahmy
ce sont les bijoux. Tellement cette femme colle à sa
passion. Sa griffe a le goût des ingrédients qu’elle y a mis
: force, originalité et profond amour du patrimoine. Elle
vient de publier un premier ouvrage, Enchanted Jewellery of
Egypt (les bijoux enchantés d’Egypte), éd. AUC Press.
Une carrière en prose
Elle répétait à sa tante quand elle était toute jeune : « Ma
très chère, je serai une notoriété ». Et elle a fini par y
arriver. Azza Fahmy est devenue une griffe qui s’est forgée
à coup de ténacité et de persévérance. Elle cultive un chic
qui a les pieds bien sur terre avec un enracinement très
fort dans les racines arabo-musulmanes.
Ces bijoux sont gravés de vers soufis d’Al-Hallaj, de Omar
Ibn Abi Rabiaa, d’Ahmad Chawqi. Sur certaines pièces sont
inscrits des proverbes égyptiens ou dictons : Bahiya kal
chams, gamila wa sabiya (belle comme le jour, toute jeune
comme elle est). Ana masriya (je suis égyptienne). C’est son
image de marque. Elle en est fière. Son emblème s’étale sur
l’enseigne du magasin très haut de gamme au deuxième étage
du First Mall à Guiza : il y a son nom, en dessus Le Caire,
en dessous l’Egypte. L’ambiance donne très vite le ton.
« Je crois qu’une personne ne peut faire de bons bijoux sans
avoir une profonde connaissance du métier. Il y a plus de
trente ans de cela lorsque j’étais encore apprentie
bijoutière, je traînais toujours avec mon cahier de notes,
marquant tous les détails en voyant un maître orfèvre
travailler. J’inscrivais les parcours des artisans, le
commerce qu’on entretenait avec la Libye, etc. Ainsi, ai-je
rassemblé beaucoup d’informations sur l’histoire du métier
et ses pratiques », précise Azza Fahmy dans un jargon
anglo-arabe expliquant comment elle a récolté les
informations pour son premier livre sur les bijoux Enchanted
Jewellery of Egypt (les bijoux enchantés d’Egypte) éd. AUC
press. Dans ce livre, elle décrit les caractères spécifiques
de l’artisanat de la bijouterie égyptienne, son évolution au
fil des ans et son foisonnement dans le quartier populaire
des Sagha à Khan Al-Khalili.
« Je m’intéresse beaucoup à la documentation. Car nous, les
Arabes, nous ne préserverons pas les traits spécifiques de
notre identité. Les costumes, les accessoires … constituent
une part du patrimoine qui sera entièrement perdue sans même
en avoir conscience ».
Puis, elle répète à sa manière : « Là où il y a volonté, il
y a toujours issue ».
Elle
crache sa devise en anglais : « When There is a Will There
is a Way ».
Dans les années 1960, la jeune Azza Fahmy a fait des
études de décoration. Plus tard, elle fut embauchée comme
graphiste de livres. Pendant 8 ans, elle a alors exécuté ses
tâches sans vraiment aimer son travail. Elle rêvait de faire
des céramiques, d’expérimenter autre chose. « Un jour, j’ai
trouvé un livre sur l’art des bijoux à l’époque médiévale en
Europe lequel m’a beaucoup marquée. J’ai considéré que Dieu
m’a donné un signe pour entamer une nouvelle carrière ».
Comment une jeune fille à l’époque peut-elle se lancer dans
le domaine artisanal des bijoux alors qu’elle a déjà un
poste et un salaire fixe ? La famille, les amis, tout le
monde la regardait d’un air suspect. Sa mère y compris.
Celle-ci n’appréciait pas du tout les tendances de sa fille,
fréquentant tout le temps les artisans de Khan Al-Khalili et
passant ses jours et nuits dans leurs ateliers.
« Moi, je n’y trouvais aucune bizarrerie. En fait, je ne
pensais qu’aux bijoux. Je vivais modestement et j’ai voulu
gagner ma vie en faisant de la bijouterie sans engager de
grands moyens. L’argent était alors un métal raisonnable, à
la portée de la main », raconte-t-elle. Or, ce métal
relativement bon marché est devenu pour cette femme une
fortune et une passion.
En fait, elle a passé deux ans de stage au Khan Al-Khalili,
avec son premier maître orfèvre Hag Sayed, dont elle garde
aujourd’hui la photo dans son bureau. Avide de tout savoir,
elle passait la journée dans son atelier. « J’attachais mes
longs cheveux pour éviter le feu du chalumeau, je portais
une salopette et des chaussures de sport », évoque-t-elle en
souriant. Parmi les artisans et les maîtres du métier, elle
était bien accueillie. On lui donnait une pièce à polir, une
autre à sculpter ... Et même lorsqu’elle n’avait rien à
faire, elle les aidait dans les détails du travail.
Progressivement, ses créations deviennent plus compliquées,
plus élaborées. Hag Sayed ne pouvait plus la suivre
techniquement. Car à l’époque, elle était entrée en contact
direct avec le Centre culturel britannique et son directeur.
« M. Daniel suivait mon travail. Un jour, je lui ai dit :
Hag Sayed ne peut plus m’instruire. Il n’a rien de plus à me
donner. A travers le Centre britannique, j’ai eu une bourse
pour étudier la bijouterie en Angleterre. Un vrai tournant
parce que j’avais des professeurs qui m’apprenaient suivant
une démarche méthodique ou scientifique ».
De retour, elle a loué un appartement dans le quartier
populaire de Boulaq et a formé des assistants. Le travail de
cet atelier lui a valu une certaine reconnaissance. De jour
en jour, le nombre de ses collaborateurs augmentait.
Fahmy cherchait à instaurer une nouvelle gamme de bijoux au
goût particulier. En 1995, elle installe son atelier ainsi
que l’Institut Azza Fahmy dans la cité du 6 Octobre. «
On a commencé avec 45 personnes, aujourd’hui on compte plus
de 150. Dans les réunions, je porte le chapeau du PDG, je
parle de plans, d’obstacles et de solutions. Par ailleurs,
je m’occupe personnellement de la section de designers. J’en
suis la chef. J’accorde beaucoup d’intérêts à la formation
de la main-d’œuvre. Sinon la griffe Azza Fahmy, son
empreinte, tout sera ruiné ». Ses créations puisent toujours
dans les cultures arabe et égyptienne. Il n’est pas question
d’imiter un modèle italien ou autre. Pour ses petites
pièces, qu’elle considère comme des « sculptures », elle
s’inspire de la nature, de l’architecture, de la poésie, de
tout ce qui est purement égyptien. Le désert et ses formes
ont donné naissance à une collection Désert. Les maisons
nubiennes lui ont inspiré une autre, etc. « J’adore la
poésie classique. Alors, j’ai mis ce que j’aime dans mon
art. Un coup réussi avec l’emploi de la calligraphie ».
Parfois même, il lui suffit quelques mots simples, pour
atteindre un public plus large. « Les gens sont
nostalgiques, ils aiment ces poèmes et ces dictons anciens.
Ils ont le sentiment que petit à petit notre identité arabe
se perdra. Mon travail leur donne espoir ». Elle a présenté
pendant deux ans d’affilée sa collection Poèmes autour du
cou. C’est en fait la metteuse en scène libanaise Nidal
Al-Achqar qui a proposé à Azza Fahmy l’idée et le titre de
cette collection, qui continue à vendre jusqu’à nos jours.
Il s’agit de vers de poètes du XXe siècle : Nazek Al-Malaëka,
Fadwa Touqane, Badr Chaker Al-Sayyab, Al-Hadi Adam et
d’autres.
Amies de longue date, les deux femmes travaillent
parfaitement ensemble. Azza Fahmy a conçu les costumes et
les accessoires de deux pièces à succès signées par
Al-Achqar, à savoir : Toqous al-echarat wa al-tahawolat (les
rites des signes et des transformations) et Monamnemat
tarikhiya (miniatures historiques). Fahmy ajoute : « J’ai
aussi travaillé avec Youssef Chahine dans Al-Mohaguer
(l’immigré) et dans le film Chafiqa wa Metoualli (Chafiqa et
Metoualli) de Ali Badrakhane ... Travailler pour le théâtre
ou pour le cinéma est un jeu, j’aime m’y lancer de temps en
temps ».
En mars dernier, elle a collaboré avec le styliste et
designer international Julien Mcdonalds pour une collection
à Londres. « Dans un défilé de mode, les accessoires
doivent être impressionnants aux niveaux de la forme et du
volume. Par exemple, Naomi portait un gigantesque bracelet.
Les boucles d’oreille doivent être grandes pour attirer
l’attention du public. En vente, ces productions regagnent
leurs tailles et mesures normales ». Et d’ajouter : «
Je suis une mère et divorcée. Les femmes qui ont une
carrière réussie et qui ont atteint une indépendance
financière, peuvent se permettre de mettre fin à leur vie
conjugale si elles ne se sentent pas heureuses. Elles
peuvent se passer de la stabilité économique que leur
offrent leurs maris. C’est plus sain », dit-elle.
Ses deux filles, Fatma et Amina, se sont engagées avec elle
dans le travail. Fatma s’intéresse à la gestion alors qu’Amina
a opté pour le design.
Aujourd’hui, la bijoutière peut se permettre de présenter
trois collections par an : une pour la haute couture, une
collection inspirée du patrimoine arabe, notamment la
poésie, et une troisième plus « fashion » introduite par sa
fille Amina.
La passion de Azza est in fine une affaire de famille.
May
Sélim