Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Des femmes qui ont choisi l'exception
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 25 avril au 1er mai 2007, numéro 659

 

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Nulle part ailleurs

Tradition . La galabiya traditionnelle des vilageoises et des bédouines n’a pratiquement plus droit de cité parmi les femmes égyptiennes. Pourtant, stylistes et intelectuelles issues de l’élite s’investissent corps et âme pour faire revivre ce patrimoine vestimetaire.  

Des femmes qui ont choisi l'exception

En lui rendant visite, on ne peut s’empêcher de tout admirer. Du décor typiquement oriental, aux meubles inspirés du patrimoine islamique, en passant par les tapis et rideaux portant des calligraphies et poèmes arabes, jusqu’à son costume qui n’est autre qu’une galabiya portée par les femmes du Sinaï. Chez Chahira Mehrez, tout est fait avec goût, mais surtout avec sélection. C’est en fait sa philosophie dans la vie : « Il faut savoir éliminer avec sélection et aussi absorber avec sélection ». C’est ainsi qu’elle qualifie son rapport avec les autres cultures. Elle qui a consacré toute sa vie à la recherche de son identité, à la compréhension des autres cultures mais surtout de la sienne, a dû faire un long parcours pour en arriver là. Elle est considérée comme l’une des plus importantes stylistes égyptiennes. Sa particularité est d’avoir réussi à collectionner un nombre impressionnant de costumes traditionnels de toutes les régions d’Egypte. Et ce n’est pas tout. Voulant faire revivre ce costume qui est en voie de disparition, elle a commencé par reproduire de nouvelles collections inspirées de ce costume et les mettre sur le marché. Une mission extrêmement difficile puisqu’il s’agit surtout de faire face à tout un style de vie, très occidentalisé. « Nous ne connaissons rien de notre culture, nous vivons le rêve occidental. Nos bâtiments, nos meubles, nos chansons et nos vêtements, tout autour de nous est occidental ». Le costume traditionnel n’était pas sa préoccupation au départ. C’est en se posant des questions sur sa culture qu’elle a décidé de s’y mettre. « Dès mon enfance, j’ai réalisé que je vivais dans un monde contradictoire. Je rêvais en français alors que je n’étais pas française. Je ne vivais pas dans la réalité. J’étais une fille arabe dans un contexte qui se voulait très occidental, une falsification à la base ». De l’architecture à l’art islamique, elle a fait ses recherches dans les origines. « Je suis choquée par la façon dont on qualifie notre culture. Le mot baladi est devenu une insulte alors qu’il est censé qualifier tout ce qui est authentique, tout ce qui est nous, en fait ».

En faisant le tour des villages, des bourgs et des oasis d’Egypte, elle a été fascinée par la multitude de styles d’habits portés par les villageoises, les Saïdies ou les bédouines. A chaque région son style inspiré des éléments de son milieu. « Les galabiyas de la fellaha (la paysanne) sont ornées de fleurs alors que celle de la bédouine du Sinaï est brodée de dessins en forme de poissons. Les couleurs gaies des costumes du Delta deviennent plus foncées dans les villages de la Haute-Egypte où les mœurs sont plus conservatrices », explique Neam Al-Baz, écrivain qui a décidé de porter des galabiyas traditionnelles depuis plus de 25 ans.

 

Les dernières couturières dans les villages

Sa décision tire ses origines de sa relation étroite avec Reaya Al-Nemr, une pionnière dans ce domaine. Cette styliste, décédée il y a quelques années, est considérée comme l’une des premières à avoir reproduit des costumes traditionnels en Egypte. La collection de galabiyas qu’elle a rassemblée de toutes les provinces porte actuellement son nom et est exposée à la Bibliothèque d’Alexandrie. Elle a ressuscité des robes telles que Al-Girgar d’Assouan, Al-Malass de Charqiya, Al-Talli d’Assiout, Fatafit Al-Sokkar, faite des restes de tissus et portée par les paysannes du Delta. Neam Al-Baz se sent chagrinée lorsqu’elle assiste à une conférence à l’étranger et qu’elle se trouve entourée de femmes indiennes, soudanaises ou japonaises, toutes s’attachant fermement à leur costume national.

En Egypte, celles qui ont choisi ce mode vestimentaire traditionnel ne sont pas des femmes madame tout-le-monde. La plupart d’entre elles viennent du milieu intellectuel, à savoir des actrices, des speakerines, des metteuses en scène, des écrivaines, etc. Bref, une élite.

Pour celles-ci, il s’agit surtout d’un moyen d’expression, une manière d’afficher leurs choix et opinions sur la question de l’appartenance. « Un costume traditionnel ne se démode pas. On ne le jette pas en fin de saison. La mode industrielle a réussi à imposer ses lois. Cette année la taille basse, le talon carré, le bout pointu, et l’année prochaine une autre mode, ce qui veut dire qu’on doit tout jeter pour acheter d’autres pièces. C’est de la folie », s’indigne Chahira Mehrez.

Aujourd’hui, le mode vestimentaire traditionnel survit dans de rares régions. Dans les villages du Delta, le jour du souq (le marché), les paysannes portent leurs plus belles robes ornées avec la sofra (le corsage brodé), les plissés en bas et la qatba vers les épaules. Cette rencontre hebdomadaire ressemble à un défilé de la mode paysanne. Ce sont deux ou trois couturières du village qui taillent ces robes.

« En fouinant dans les villages, j’avais la chance de trouver ces couturières. Je leur ai demandé de refaire les mêmes robes traditionnelles que portent les femmes de leur village. Je voulais copier les mêmes modèles et les garder pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli. J’ai fait une sorte d’archives liant chaque robe à son époque et sa région », explique Chahira. Son objectif était de refaire naître le costume traditionnel dans son propre milieu et par ses propres habitants. Sett Ihsane, sett Nosra, sett Badiaa sont des couturières de renommée qui ont pu sauvegarder la confection des galabiyas traditionnelles dans leurs propres villages.

Pourtant, les dernières couturières sont en train de disparaître. Ce qui a incité des stylistes, comme Chahira, à apprendre à des couturières cairotes à reproduire les costumes typiques des provinces d’Egypte. Sett Zakiya est une couturière de la région de Kerdassa. Elle est connue pour ses doigts de fée et son talent de faire des broderies sur les galabiyas.

 

« Je me sens unique »

Attiyat Al-Abnoudi, réalisatrice de films documentaires, est une cliente fidèle de sett Zakiya depuis qu’elle a décidé de porter la galabiya typiquement paysanne il y a plus de 20 ans. En optant pour ce choix, elle cherchait surtout le confort. Sa simplicité et son amour des gens marginalisés ont été à l’origine de cette décision. « Je me sens totalement dépaysée dans tout ce qui est moderne », confie-t-elle. Cette femme d’origine villageoise ne se sent à l’aise que dans les quartiers populaires. « J’ai passé les plus belles années de ma vie dans le quartier de Sayeda Zeinab ». Attiyat a renoncé à la mode moderne car elle a réalisé qu’elle ne pourra jamais se sentir « spéciale » en la portant. « Je faisais partie d’une masse qui se ressemble. Je n’ai pas les moyens de porter des pièces signées. je devais donc finir par acheter de l’imitation. Avec ma galabiya paysanne, je me sens unique ». Pour elle, tout ce qui est original a de la valeur. Son khôl égyptien pour maquiller ses yeux noirs ou le henné pour la teinture de ses cheveux, tout est inspiré du folklore égyptien.

Attiyat est fière de nous étaler sa garde-robe constituée uniquement de galabiyas. Elle en a pour toutes les occasions. La brodée avec extravagance pour les mariages, la chic et classique pour les festivals et conférences, la noire pour les deuils, et enfin la simple et confortable pour la maison. « Une galabiya ne me coûte pas plus de 25 L.E. pour le tissu et 25 autres pour la confection. A ce prix raisonnable, j’ai une belle pièce qui a le mérite d’être, en plus, confortable ».

A chaque fois qu’elle décide de faire une nouvelle galabiya, elle vit toutes les étapes avec fascination, comme si c’était la première fois. « J’ajoute ma propre touche. Je mélange différents tissus, choisis des dessins nouveaux pour la broderie du corsage, j’invente des plis ... De l’achat du tissu jusqu’au jour où je prends ma galabiya, c’est toute une aventure, une attente avec impatience ». Ce qu’elle adore le plus dans sa galabiya, c’est que tout a une fonction particulière. « La paysanne a cet art de rajouter des détails qui ont chacune une fonction. Consciente qu’elle ne pourra pas, vu ses moyens, s’acheter une galabiya chaque mois, elle a tout fait pour que la sienne soit le plus durable. Les plis sur les épaules lui permettent d’allonger les manches si le tissu rétrécit au lavage. La même loi s’applique sur les plis d’en bas », explique Attiyat. Quant au corsage, taillé la plupart du temps en velours noir pour attirer l’attention, tout est fait pour lui donner plus de charme et de richesse. La villageoise laisse libre cours à son imagination et à sa créativité pour choisir ses broderies.

Désormais, Attiyat et sa galabiya de paysanne ne font plus qu’un. C’est devenu son trait caractéristique. « Même ceux qui ne connaissent pas mon nom m’appellent la réalisatrice à la galabiya ».

D’ailleurs, cette description lui convient parfaitement et elle en est toute fière. Pourtant, elle confie que son choix nécessite une certaine audace. « Nous accordons beaucoup d’importance au regard de l’autre et au jugement qu’il portera sur nous. Nous devons être fiers de ce que nous sommes », confie Attiyat.

 

Un devoir national

Elle sait que le retour du costume traditionnel est loin d’être une réalité, il reste un rêve. La jeune génération est éblouie par tout ce qui est dernier cri. « Ma fille, même si elle adore la galabiya, n’est pas prête à troquer son jean contre un costume traditionnel », confie Attiyat.

« Nous ne demandons pas aux Egyptiennes de porter du jour au lendemain des galabiyas, c’est un choix personnel. Mais, ce que nous réclamons, c’est d’être plus tolérants et de respecter le choix de celles qui portent ces galabiyas ».

En revanche, Mehrez, qui lutte pour la renaissance du costume traditionnel, le fait par patriotisme et considère cette mission comme un devoir national. « Cela devrait être un projet national parrainé par l’Etat. Dans des pays du Golfe tels que le Koweït, les femmes des diplomates sont obligées de porter leur costume traditionnel lors des fêtes nationales. Ainsi, ce costume est-il devenu associé à l’élite de la société, contrairement à l’Egypte où il demeure l’apanage de la classe démunie », regrette Mehrez.

Cette styliste a ouvert une boutique pour vendre des galabiyas typiques, provenant de toutes les provinces d’Egypte. Elle commence à promouvoir l’idée dans son petit entourage, mobilisant de plus en plus de femmes de porter cet habit.

Si l’idée n’impressionne pas tout le monde, elle réalise graduellement du succès. « Les femmes égyptiennes de la classe bourgeoise tiennent aujourd’hui à posséder quelques galabiyas traditionnelles. Elles les portent dans leur villa lors des vacances d’été ou pendant le mois de Ramadan, et les offrent à une amie qui habite à l’étranger ou à sa fille qui prépare son trousseau ».

Aujourd’hui, même les villageoises accordent peu d’intérêt à ce costume traditionnel. La abaya (autre forme de galabiya souvent de couleur noire et sobre) importée du Golfe envahit de plus en plus les villages d’Egypte aux dépens de la galabiya authentique. Les corsages brodés et inspirés du milieu rural et les plis sont en voie de disparition. Peu de régions restent fières de leurs costumes. Au Nord du Sinaï, la bédouine n’ose pas encore céder sa galabiya noire brodée au canevas rouge et bleu ou son borqoe (voile qui cache tout son visage). Dans cette région d’Egypte, le costume traditionnel demeure encore synonyme d’identité et de fierté.

Amira Doss

 




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