Union européenne .
Frédéric Charillon,
professeur de sciences politiques et directeur du Centre
d’études en sciences sociales de la défense (Paris), analyse les
défaillances de la politique étrangère de l’UE, notamment au
Moyen-Orient.
«
L’Europe mène une politique de dialogue critique »
Al-Ahram Hebdo : Quelles sont les grandes lignes de la politique
étrangère menée par l’Union Européenne (UE) au Moyen-Orient et
pourquoi la juge-t-on inefficace ?
Frédéric Charillon :
L’hypothèse générale est que l’Union européenne a une politique
d’accompagnement, elle se contente de suivre l’actualité, ce qui
n’est pas suffisant. Elle n’a pas de politique pour changer
structurellement les choses, en cela, elle est opposée aux
Etats-Unis qui veulent tout refaire dans la région. Cela est dû
à une sorte de fatalisme en UE : la région serait trop
compliquée, trop dramatique. L’UE accompagne le processus de
paix quand il y en a un. Par exemple, avec le processus de
Barcelone qui accompagnait le processus de paix palestinien,
l’UE était devenue le premier bailleur de fonds de la Palestine.
Mais elle a des difficultés quand il n’y a pas de processus de
paix, car elle est incapable d’agir dans un cadre conflictuel.
—
Pourquoi ?
—
L’UE a un problème de définition d’une politique étrangère
commune, ses membres sont toujours d’accord pour des actes
positifs tels que participer à la reconstruction de l’Iraq, ou
soutenir la police palestinienne, par exemple. Mais ces actions
ne sont que financières. Et il lui est plus difficile de trouver
un accord pour des actes négatifs tels que des sanctions, des
menaces, etc. Les différents membres sont toujours tentés de
laisser les autres assumer les décisions difficiles. La solution
serait d’améliorer le processus de définition des politiques
étrangères communes, peut-être avec un ministre européen de
politique étrangère. Il est difficile pour l’UE de mettre en
place une politique commune car elle est divisée sur les grands
dossiers : Iran, Iraq, Liban. La volonté française de reprendre
le dialogue avec l’Iran est rejetée par le reste de l’Europe,
pour l’Iraq, elle était très déchirée, et pour le Liban,
certains veulent discuter avec la Syrie, d’autres non.
—
Quelles différences concrètes existe-t-il donc entre les
politiques étrangères européenne et américaine ?
—
L’UE n’émet pas de jugements, ni d’arbitrage politique. Elle
fait beaucoup d’efforts pour comprendre mais n’émet pas de
jugements, ce qui est l’exact contraire de ce que font les
Etats-Unis. Ceux-ci ne font plus de politique étrangère,
c’est-à-dire avoir des relations et un dialogue avec les pays
étrangers, même avec ceux que l’on n’aime pas. L’UE mène une
politique de « dialogue critique » : elle parle avec tout le
monde, et ne rompt pas ce dialogue.
Les actions de l’UE sont neutres et politiquement correctes,
toutes ses actions sur chaque dossier sont banales. Pourtant, à
propos du Moyen-Orient, il y a des experts très compétents à
Bruxelles, ils rassemblent et étudient toutes les expertises
faites : universitaires, ONG, etc. Le problème est qu’il n’en
sort rien de politique. Par exemple, la question des conflits
entre sunnites et chiites est trop délicate pour que l’UE puisse
prendre position. Elle observe avant d’agir, contrairement aux
Etats-Unis dont l’UE pense que les actions sans observations
sont dangereuses dans cette région si difficile. Le chiisme est
un acteur compliqué. De plus, en relations internationales, il
n’y a pas de loyautés définitives car les intérêts propres sont
plus importants. Il n’y a donc peut-être pas de réel bloc
sunnite ni de croissant chiite.
—
Quel est le rapport entre la politique étrangère menée par
l’Union européenne dans cette région, et celle de la France,
notamment celle de Chirac ?
—
Il y a une forte influence des experts bruxellois sur les
différentes politiques étrangères nationales. L’objectif est de
créer une politique étrangère commune, il y a donc une
obligation morale de concertation. Tous les Etats membres sont
obligés de ne pas prendre des positions trop incompatibles avec
celles des autres.
Quant à la politique menée par Chirac dans cette région, la
question est : qu’en restera-t-il ? La nouveauté par rapport aux
présidents précédents est son ouverture sur le monde non
occidental, son attirance pour l’Orient. Il se démarque aussi
par son volontarisme politique dans des moments où l’on pensait
qu’il n’avait pas de marges de manœuvre. Par exemple pendant la
crise sur l’Iraq où il a non seulement refuser la guerre, mais
où il a aussi fait campagne contre la volonté américaine de la
faire. C’est un homme d’intuition plus que de construction, il a
eu les bonnes intuitions aux bons moments, à court et long
termes. Mais est-ce que ces bonnes intuitions se sont
transformées en vraie politique ? Il est peut-être la plus belle
réussite en politique étrangère pour l’opinion française. Il a
un sens très fort de l’exception française, il ne voulait pas
que la politique étrangère de la France soit celle de la
Grande-Bretagne : suivre les Etats-Unis, ni celle de la Suisse :
faire de l’humanitaire et du financement seulement. Il est
convaincu que la France est attendue dans le monde pour des
positions fortes. Il a du bon feeling en politique étrangère,
mais à part le Liban, notamment en 2006, et la Côte-d’Ivoire,
qu’a-t-il fait concrètement ?.
Julie Durand |