Avortement.
Permise sous certaines conditions très strictes, la pratique
est très répandue dans la clandestinité en raison des
pressions sociales et religieuses subies par les femmes. Les
conditions d’hygiène sont déplorables et les médecins sans
scrupules.
Evitons le sujet ...
La question du droit à l’avortement ne cesse de provoquer
des remous de par le monde. Des manifestations se
produisent, des conférences et des référendums se tiennent,
dont le dernier au Portugal y a enfin dépénalisé
l’avortement.
En Egypte, c’est le silence total. La question ne semble pas
être prise en compte. Ce qui est loin de refléter la
réalité. Car, selon les chiffres du Centre du Caire pour les
droits de l’homme et les études sur la femme moderne, plus
de 34 % des Egyptiennes ont avorté au moins une fois dans
leur vie. Les raisons sont multiples : grossesse non
désirée, âge avancé, désamour de l’époux, ambitions
professionnelles, raisons économiques. Aujourd’hui, l’Egypte
fait partie des 40 pays ayant mis en place des programmes de
soins post-avortement depuis la Conférence Internationale
pour la Population et le Développement (CIPD) tenue en 1994.
Le nombre de centres offrant des soins post-avortement a
aussi sensiblement augmenté ces dernières années, et les
soins obstétriques suite à des complications dues à un
avortement sont maintenant pratiqués de manière
satisfaisante.
Mais les tabous autour de l’avortement demeurent, et les
peines encourues, aussi bien pour les femmes avortées que
pour les médecins qui le pratiquent, constituent des
obstacles supplémentaires. En effet, l’Egypte fait partie
des 72 pays du monde ayant formellement interdit
l’avortement, ou l’admettant à deux conditions : pour sauver
la vie de la mère et en cas de malformation du fœtus.
La loi égyptienne pénalise gravement l’avortement dans les
articles 260 à 264 du code pénal. Une peine de trois ans de
prison est encourue par la femme qui le subit et par celui
qui l’a aidée à avorter. La punition est plus sévère pour le
médecin qui risque 15 ans d’emprisonnement avec travaux
forcés. Et ce, outre les autres sanctions imposées par
l’Ordre des médecins, allant du simple avertissement à la
radiation de l’Ordre des médecins. Al-Azhar et Dar Al-Iftaa,
les plus importantes institutions religieuses du pays,
prohibent aussi l’avortement sauf dans deux cas : grossesse
menaçant la vie de la mère ou lorsqu’une fille est victime
d’un viol. Quant à l’Eglise copte, elle refuse
catégoriquement l’avortement sauf en cas de malformation du
fœtus ou de maladie grave de la mère. Les grandes
institutions coptes et musulmanes se sont de plus accordées
pour que l’avortement ne soit pratiqué que pendant les 120
premiers jours de la grossesse.
Réseaux illégaux
Peu importe l’interdit, les pressions sociale, juridique et
religieuse ont donné naissance à des réseaux illégaux.
Un journaliste, qui a souhaité garder l’anonymat, témoigne
après une visite d’une clinique clandestine, effectuée avec
un comité du ministère de la Santé à la suite d’une plainte
dans le quartier de Choubra, au Caire. « La clinique était
macabre, très obscure. Seuls quelques équipements médicaux
rudimentaires y étaient disposés. Un rideau translucide
séparait la salle d’opération du bureau du médecin. Aucune
garantie d’hygiène puisqu’elle n’a pas d’eau potable ... »,
raconte-t-il. L’image de cette clinique semble être
représentative puisque les études effectuées sur les
conditions d’avortement prouvent qu’une femme sur quatre
avorte dans des conditions d’hygiène déplorables. Selon les
chiffres du Centre National de la Population (CNP), le taux
d’avortement provoqué en Egypte est estimé à 14,8 sur 100
grossesses. Le temps de gestation moyen des grossesses
interrompues est de 10,8 semaines, et la majorité de ces
grossesses (86 %) sont interrompues à moins de 12 semaines.
(Etude effectuée sur un échantillon aléatoire de 569
hôpitaux).
Dans l’ombre, ce marché ne cesse de prospérer. La clientèle
est reçue discrètement dans les cliniques, grâce aux
relations personnelles des médecins. « Le coût moyen d’un
avortement varie entre 150 et 700 L.E. Mais il faut aussi
prendre en compte le statut de la femme, mariée ou non. Une
femme célibataire peut verser dans l’une de ces cliniques le
triple de ce que peut verser une autre mariée », confie Soha,
32 ans, secrétaire. Les honoraires du médecin varient aussi
selon les quartiers. Dans les plus riches comme Mohandessine,
Manial, Madinet Nasr, pour avorter, une femme peut verser
jusqu’à 5 000 L.E. Soit la même somme que pour une
césarienne.
Et les médecins ont appris à mettre en œuvre des astuces
pour échapper au contrôle du ministère de la Santé. « Ils
louent une clinique spécialement pour les avortements et
changent de nom de famille », témoigne Hoda, professeure de
25 ans. Plus grave encore : des médecins ayant une
spécialité autre se lancent dans la pratique des avortements
qu’ils considèrent très lucrative. Comme cet urologue réputé
d’un quartier pauvre du Caire. Les femmes se pressent chez
lui, car ses prix sont modérés. Selon Hatem S., gynécologue,
ils ne font qu’administrer des comprimés d’un coût de 4 L.E.,
destinés à traiter l’ulcère de l’estomac et dont les effets
secondaires provoquent la dilatation du col de l’utérus. Il
y a aussi le trafic de comprimés pour avorter, importés en
Egypte de manière illégale. Ces cachets provoquent
l’avortement durant les premiers jours de grossesse. Mais le
problème, selon le Dr Khaled, gynécologue, est que ces
comprimés peuvent être dangereux en cas de grossesse
extra-utérine ou bien chez les femmes souffrant de troubles
endocriniens. Pire encore, presque 1 % de celles qui
utilisent ce médicament risquent une hémorragie.
Dans quelques-uns des 569 hôpitaux publics égyptiens, le CNP
a demandé au personnel de remplir une fiche de suivi médical
pour chaque patiente admise après un avortement, pendant une
période continue de 30 jours. Parmi les 22 656 admissions
dans les services de gynécologie-obstétrique durant la
période étudiée, environ une patiente sur cinq (19 %) était
admise pour soins après avortement (spontané ou provoqué). A
leur arrivée à l’hôpital, 14 % des femmes souffraient d’une
hémorragie, 1 % d’elles présentaient un choc traumatique et
5 % des signes d’infection. La dilatation et le curetage
sous anesthésie générale ont été les principaux gestes
effectués.
Ces pratiques en hausse continue découlent également de
plusieurs facteurs sociaux. L’augmentation du nombre de
mariages orfi (mariage non officiel) en Egypte a été
considérable ces dernières années, surtout parmi les
étudiants. Le couple qui s’unit par un mariage orfi ne
désire généralement pas d’enfant et l’avortement est pour
lui un moyen d’éviter les problèmes. D’après une étude
effectuée par le Centre national de recherches sociales et
criminelles, la violence contre la femme durant la grossesse
est un autre facteur direct provoquant une fausse couche (25
% de victimes). De plus, la loi n’offre aucune protection
pour la femme enceinte, qui trouve dans l’avortement
l’unique issue .
Dina
Darwich