Al-Ahram Hebdo,Société | Qui trompe qui ?
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
Nos Archives

 Semaine du 7 au 13 mars 2007, numéro 652

 

Contactez-nous Version imprimable

  Une

  Evénement

  Enquête

  Dossier

  Nulle part ailleurs

  Invité

  Egypte

  Economie

  Monde Arabe

  Afrique

  Monde

  Opinion

  Société

  Arts

  Idées

  Littérature

  Visages

  Environnement

  Voyages

  Sports

  Vie mondaine

  Echangez, écrivez



  AGENDA


Publicité
Abonnement
 
Société

Virginité. Une récente fatwa, du mufti de la République, autorisant la reconstitution de l’hymen avant le mariage a eu l’effet d’une bombe. Elle ne changera peut-être rien aux croyances mais aura cependant le mérite de démystifier la fameuse membrane.

Qui trompe qui ?

« Ça c’est la meilleure, avec cette fatwa, tous les hommes vont se faire avoir ! ». Chez les hommes, telle est la première réaction à la récente fatwa émise par le mutfi de la République, Ali Gomaa, et par le Dr Soad Saleh, recteur de la faculté des études islamiques de l’Université d’Al-Azhar, qui autorise la reconstitution de l’hymen pour les filles ayant perdu leur virginité avant le mariage. Selon cette fatwa, le rafistolage de l’hymen est tout à fait licite, quelles que soient les raisons. Le mufti s’est basé sur le principe islamique du « satr », c’est-à-dire de la protection et de la discrétion. Une fatwa qui a choqué l’opinion publique, dans une société où la virginité reste un véritable tabou, et surtout un principe sacro-saint.

Au-delà de la polémique purement religieuse sur la justesse de cette fatwa, c’est au sein de la société que ce sujet brûlant a provoqué de vifs débats, et surtout des réactions qui témoignent du poids des traditions. Dans la plupart des cas, la fatwa a été très mal accueillie, aussi bien par les hommes que ... par les femmes. « C’est totalement inacceptable, cette fatwa va encourager les filles à avoir des relations sexuelles avant le mariage sans se soucier des conséquences. C’est une erreur fatale de perdre sa virginité avant le mariage, et si ça arrive, la fille doit en assumer la responsabilité le reste de sa vie », estime Noha, 35 ans. Un avis intransigeant mais qui reflète un point de vue largement répandu parmi la société égyptienne. Quand il s’agit d’une tradition ancrée de cette manière, c’est le social qui prend le dessus sur le religieux, même dans une société qui se dit pieuse. Agé de 25 ans, Mohamad affiche sans vergogne ses multiples conquêtes féminines et se déclare comme un véritable Don Juan, pourtant, ce qu’il s’autorise, il ne l’accepte absolument pas pour sa future femme. Il refuse aussi bien la fatwa que l’éventualité d’épouser une non vierge, quelles que soient les raisons. « J’ai déjà beaucoup de mal à faire confiance aux filles, et après cette fatwa, je me demande si je vais pouvoir me marier. Je n’ai aucune envie d’être le dindon de la farce », dit-il. Et d’ajouter : « La société m’accepte tel que je suis, je ne risque pas d’être taxé de quoi que ce soit parce que j’ai eu de nombreuses aventures, mais quand il s’agit d’une fille, le moindre écart n’est pas toléré. Je n’y peux rien, c’est comme ça. C’est peut-être injuste, mais c’est toute la société qui réagit de la sorte ». Triste vérité. Là aussi, on a affaire une fois de plus à la discrimination hommes-femmes. Dans une société où hommes et femmes se côtoient au quotidien, où l’âge du mariage recule de plus en plus pour des raisons socioéconomiques et où pl#us de 9 millions de personnes de plus de 35 ans sont célibataires, est-il possible d’éviter toute vie sexuelle avant le mariage ?

De quel côté se situe l’hypocrisie ?

« En matière de sexualité, la société ne donne pas aux femmes les mêmes droits que ceux accordés aux hommes, même s’il s’agit tout simplement d’un instinct naturel. Elle n’a pas droit à l’erreur », juge l’activiste Fardos Al-Bahnassi. Elle ajouter : « Ce débat m’écœure, en arriver à réduire toute une personne à une simple membrane, c’est une humiliation de plus infligée à la femme. On ne peut juger un être humain que sur ce qu’il est véritablement, son fond et son honnêteté, alors que maintenant, on pousse à davantage d’hypocrisie puisque la femme doit mentir pour prouver sa chasteté ».

Associé au concept d’honneur, l’hymen a donc avant tout une fonction sociale capitale. « C’est pour cela que de nombreuses filles tiennent à préserver leur hymen intact alors que dans les faits, on ne peut pas les considérer comme étant véritablement vierges », estime Al-Bahnassi. Les exemples ne manquent pas. Achraf, 38 ans, qui a été marié deux fois et a connu beaucoup de femmes, raconte : « Après toutes les expériences que j’ai vécues, ma vision des choses a changé. Je ne peux plus être naïf, j’ai connu des filles non vierges qui étaient tout à fait respectables et intègres. J’en ai connu d’autres qui se permettaient tout, y compris les pénétrations anales, à condition de rester vierges. Ce serait alors ridicule de juger une femme sur cela. Ce qu’il faut, ce n’est pas pousser les filles à se refaire leur virginité, mais c’est changer les mentalités, être plus flexible et surtout moins superficiel, ne pas s’en tenir uniquement à la présence ou à l’absence d’une membrane qui finalement n’a aucune signification ». D’autres se montrent compréhensifs, mais autrement. Sami, 60 ans, considère que puisque l’islam ouvre la voie au repentir, la société ne doit pas être aussi intolérante et pousser donc certaines filles ayant fauté une fois à la débauche.

Si ces points de vue reflètent une certaine évolution, ils sont loin d’illustrer l’opinion de la majorité. D’où la question hautement épineuse de l’honnêteté. En effet, l’argument principal avancé par les hommes de religion ou même par les simples gens opposés à la nouvelle fatwa est que celle-ci consacre en quelque sorte l’imposture. Selon Amna Nosseir, professeure de charia à l’Université d’Al-Azhar, la transparence est l’une des conditions du mariage. D’après elle, la fille non vierge doit donc l’avouer, quant à l’homme, il peut l’accepter ou non. Quant à Gamal Qotb, ex-président du comité de la « daawa » (prédication) à Al-Azhar, il affirme que « cet avis religieux prend en compte le principe du satr, mais ne prend pas en compte l’imposture qu’il engendre. La reconstitution de l’hymen est une imposture ».

 

« J’aimerais être honnête ... »

Sauf que dans les faits, les choses se passent autrement. C’est justement parce qu’il est rare de trouver un homme qui l’accepte que les filles font face à un véritable dilemme. Avouer au nom de l’honnêteté ou ne pas le faire au nom du satr et surtout pour ne pas subir les conséquences souvent fâcheuses d’un tel aveu ? Mariée depuis 7 ans,Mariam, par principe, a refusé de se refaire la virginité.

Son mari l’a accepté par amour, mais il n’arrive pas à l’assumer. « J’en subis les conséquences au quotidien, il me le fait rappeler tout le temps et à chaque dispute, ça revient. Je sens qu’au fond, il ne me le pardonnera jamais », dit-elle, tout en ajoutant : « Parfois, je regrette d’avoir été honnête. Après tout, les hommes arabes préfèrent ne rien savoir, ça les arrange, ils préfèrent se mentir. Pour eux, la virginité, c’est tout un mythe ».

Et c’est justement à cause de ce mythe que la solution la plus pratique est l’hypocrisie. Une hypocrisie que l’on retrouve à tous les niveaux dans les relations hommes-femmes. A l’exemple de tant d’autres, Sally, 33 ans, a fait un mariage de raison. Auparavant, elle sortait avec un autre qui a refusé de l’épouser parce que justement il l’a fréquentée. Et il s’est avéré que son mari lui aussi connaissait une autre avant le mariage et qu’il l’a laissée pour les mêmes raisons. Le tout est de faire l’autruche. C’est le comble de l’hypocrisie. Et aussi de la contradiction. Radwa, une femme de ménage de 50 ans qui se dit non convaincue par la fatwa, pense tout de même qu’une fille non vierge n’a pas d’autre choix que d’opter pour la fameuse intervention chirurgicale. « Pour les hommes, la preuve de la virginité, ce sont les quelques gouttes de sang qui s’écoulent. Sans cela, le doute s’installe et c’est l’enfer », dit-elle.

Ironie du sort, le rafistolage de l’hymen provoque un saignement plus important au moment de la « défloration » que dans le cas d’une première relation sexuelle, comme l’explique le Dr Tareq, gynécologue. « Toutefois, on ne peut pas juger aussi simplement, les physionomies sont différentes, certaines femmes sont nées sans hymen, d’autres ont un hymen élastique, donc ne saignent pas », poursuit le Dr Tareq selon lequel, le concept de virginité, c’est-à-dire de chasteté, ne peut pas être lié à une simple membrane.

Reste à savoir quel genre de filles optent pour l’opération. Selon un autre gynécologue qui pratiquait cette intervention et qui a requis l’anonymat, « ce sont dans la plupart des cas des femmes qui croient en la liberté sexuelle, qui ont eu de nombreuses aventures mais qui sont conscientes du poids des traditions. Pour elles, la fatwa ne changera rien du tout, elles se refont la virginité de toutes les manières ».

« Cette fatwa est acceptable dans des cas spécifiques. Mais en l’émettant de cette manière, de nombreux abus sont prévisibles, et c’est là le véritable danger », souligne le Dr Gamal Qotb. Outre ce dernier, nombreux sont ceux qui avancent cette raison pour justifier leur refus de la fatwa, indépendamment de l’aspect religieux du débat.

Car il est question du concept sacro-saint de l’honneur. D’où le refus catégorique d’une large tranche de la société de la nouvelle fatwa, bien qu’elle soit émise par le mufti de la République. Et d’où aussi le dilemme de certaines filles non vierges, à l’exemple de Nermine, âgée de 33 ans. « Je suis tout le temps tiraillée. Je n’arrive pas à assumer mon acte. Ce n’était pas décidé, c’était un geste de désespoir et d’amour. Je n’ai eu qu’un seul partenaire et ça n’a pas duré longtemps. Je ne sais pas si je serai capable de faire l’opération ou non. Mais qui peut croire qu’une femme de mon âge non vierge vit dans l’abstinence ? J’aimerais bien être honnête mais la société ne me le permet pas ».

Dossier réalisé par
Doaa Khalifa et Abir Taleb 


 

Le corps médical perplexe

La nouvelle fatwa a également semé la zizanie parmi les médecins. Bien qu’elle soit désormais licite, nombreux sont ceux qui, pour des raisons de principes, refusent de pratiquer l’opération de reconstitution de l’hymen. Tareq, gynécologue, estime que cela s’oppose à ses convictions. « Je ne l’ai jamais faite et je ne la ferai pas, malgré la fatwa », affirme-t-il. Selon lui, c’est tout bonnement une manière inadmissible de tricher. Tareq a cependant des collègues qui pratiquent ce genre d’intervention, et d’après eux, la plupart des filles qui la font sont des filles aux mœurs légères. « Elles ne méritent donc pas d’être protégées au nom du satr ». Le gynécologue explique que les filles se présentent pour subir cette intervention quelques jours avant le mariage. Il existe, en effet, deux sortes d’interventions chirurgicales pour la reconstitution de l’hymen. La première est considérée comme une réparation simple faite quelques jours avant le mariage. Quant à la deuxième, elle permet une reconstitution permanente de l’hymen.

Jusqu’à présent, il n’existe pas de loi qui interdise une telle intervention. En revanche, le Syndicat des médecins l’interdisait, se basant sur un ancien avis religieux émis par le comité de la prédication et de la charia d’Al-Azhar, selon lequel cette opération était considérée illicite. Le syndicat se retrouve donc désormais face à une nouvelle donne. Etant donné que sa position était basée sur l’avis d’Al-Azhar et non sur une loi, il est prévisible que cela change. En effet, d’après Hamdi Al-Sayed, président du Syndicat des médecins, le comité de déontologie du syndicat va se réunir prochainement pour étudier les mesures à prendre après la nouvelle fatwa.

Peut-on donc s’attendre à une autorisation officielle accordée aux médecins pour pratiquer la reconstitution de l’hymen ? Pour l’heure, rien n’est moins sûr. Au sein du corps médical, cela ne dépend pas uniquement de la fatwa, mais des convictions personnelles de chacun. « Certains gynécologues affirment faire ce genre d’opérations pour protéger les filles. Ce n’est pas vrai, c’est seulement une question d’argent. Et pour ces médecins, la fatwa ne changera rien. Moi-même, je la pratiquais, mais j’ai arrêté il y a dix ans pour des raisons de conscience professionnelle, et ce n’est pas la fatwa qui me fera revenir sur ma décision », affirme un gynécologue qui a requis l’anonymat.

 

Imbroglio juridico-religieux

La fatwa de Ali Gomaa a suscité des remous dans les milieux religieux. En effet, c’est en raison des principes sur lesquels le mutfi s’est basé que la polémique a éclaté. En déclarant licite la reconstitution de l’hymen, Ali Gomaa s’est basé sur la règle religieuse selon laquelle dans de tels cas, on opte pour le moindre mal, en l’occurrence le concept de « satr » qui veut dire discrétion et protection. D’un autre côté, le mufti a déclaré que selon l’islam, la femme n’a pas à avouer à son futur mari si elle n’est pas vierge. Selon lui, il s’agit d’aider ces jeunes filles à se repentir et à refaire leur vie dans la légitimité. Ali Gomaa estime à cet effet que cela n’est pas en contradiction avec le principe islamique opposé à l’hypocrisie. Cet avis est partagé par le Dr Mohamad Raafat Osmane, recteur de la faculté de charia et de droit de l’université d’Al-Azhar, selon lequel le « satr » est, en général, recommandé en islam, et plus particulièrement dans le domaine de l’honneur. Osmane a fait ainsi référence à un épisode cité dans un hadith selon lequel un homme est venu voir le prophète Mohamad pour lui avouer avoir eu des relations sexuelles et demander de subir le châtiment correspondant à ce péché. Or, le prophète a essayé de le faire revenir sur son aveu.

Pour ce qui est de la question de l’imposture, Osmane appuie le point de vue du mufti et affirme que les deux principes ne se contredisent pas en ce qui concerne cette fatwa, d’autant plus que, selon l’islam, l’homme n’a pas à demander à sa future femme quoi que ce soit sur son passé. « A ce sujet, il y a une équité entre les hommes et les femmes. Lorsque c’est l’homme qui a eu des relations sexuelles avant le mariage et qui l’a caché, considère-t-on alors que c’est un imposteur ou qu’il l’a trahie ? », dit-il.

Mais ce point ne fait pas l’unanimité. D’autres hommes de religion opposés à la fatwa considèrent que la reconstitution de l’hymen est tout simplement une tromperie inacceptable selon les principes religieux, à l’exemple du cheikh Mohamad Abdel-Metaal. D’après ce dernier, « c’est une falsification dans l’acte de mariage, qui mentionne que la mariée est vierge ». On se retrouve ainsi face à une polémique religieuse mais aussi à un problème juridique. En effet, selon maître Alaa Abdel-Wahab, avocat spécialisé dans les affaires du statut personnel, « sur le plan juridique, mentir sur une des clauses de l’acte de mariage rend celui-ci caduc, à condition toutefois que le mari porte plainte. Dans ce cas, la partie ayant falsifié risque une amende ou encore une peine de prison ». Il s’agit là d’une règle juridique générale qui stipule que tout contrat fondé sur du faux est caduc, la falsification d’une des clauses étant bien sûr illégale. Cependant, le contrat de mariage, tel qu’il existe actuellement, répond à des critères civils. En effet, la mention « vierge » écrite dans le contrat de mariage est une clause purement administrative. Il ne s’agit pas d’une obligation religieuse sans laquelle l’union devient illicite, comme l’ont affirmé Gamal Qotb, ex-président de la « daawa » (prédication) à Al-Azhar et Alaa Abdel-Wahab. Et quand bien même cette mention serait une sorte de falsification, « la fille est dans les apparences redevenue vierge, ça ne pose donc pas problème », conclut Mohamad Raafat Osmane .

 

 




Equipe du journal électronique:
Equipe éditoriale: Névine Kamel- Howaïda Salah - Chourouq Chimy
Assistant technique: Karim Farouk
Webmaster: Samah Ziad

Droits de reproduction et de diffusion réservés. © AL-AHRAM Hebdo
Usage strictement personnel.
L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la Licence

de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.