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Virginité.
Une récente fatwa, du mufti de la République, autorisant la
reconstitution de l’hymen avant le mariage a eu l’effet
d’une bombe. Elle ne changera peut-être rien aux croyances
mais aura cependant le mérite de démystifier la fameuse
membrane.
Qui trompe qui ?
«
Ça c’est la meilleure, avec cette fatwa, tous les hommes
vont se faire avoir ! ». Chez les hommes, telle est la
première réaction à la récente fatwa émise par le mutfi de
la République, Ali Gomaa, et par le Dr Soad Saleh, recteur
de la faculté des études islamiques de l’Université
d’Al-Azhar, qui autorise la reconstitution de l’hymen pour
les filles ayant perdu leur virginité avant le mariage.
Selon cette fatwa, le rafistolage de l’hymen est tout à fait
licite, quelles que soient les raisons. Le mufti s’est basé
sur le principe islamique du « satr », c’est-à-dire de la
protection et de la discrétion. Une fatwa qui a choqué
l’opinion publique, dans une société où la virginité reste
un véritable tabou, et surtout un principe sacro-saint.
Au-delà de la polémique purement religieuse sur la justesse
de cette fatwa, c’est au sein de la société que ce sujet
brûlant a provoqué de vifs débats, et surtout des réactions
qui témoignent du poids des traditions. Dans la plupart des
cas, la fatwa a été très mal accueillie, aussi bien par les
hommes que ... par les femmes. « C’est totalement
inacceptable, cette fatwa va encourager les filles à avoir
des relations sexuelles avant le mariage sans se soucier des
conséquences. C’est une erreur fatale de perdre sa virginité
avant le mariage, et si ça arrive, la fille doit en assumer
la responsabilité le reste de sa vie », estime Noha, 35 ans.
Un avis intransigeant mais qui reflète un point de vue
largement répandu parmi la société égyptienne. Quand il
s’agit d’une tradition ancrée de cette manière, c’est le
social qui prend le dessus sur le religieux, même dans une
société qui se dit pieuse. Agé de 25 ans, Mohamad affiche
sans vergogne ses multiples conquêtes féminines et se
déclare comme un véritable Don Juan, pourtant, ce qu’il
s’autorise, il ne l’accepte absolument pas pour sa future
femme. Il refuse aussi bien la fatwa que l’éventualité
d’épouser une non vierge, quelles que soient les raisons. «
J’ai déjà beaucoup de mal à faire confiance aux filles, et
après cette fatwa, je me demande si je vais pouvoir me
marier. Je n’ai aucune envie d’être le dindon de la farce »,
dit-il. Et d’ajouter : « La société m’accepte tel que je
suis, je ne risque pas d’être taxé de quoi que ce soit parce
que j’ai eu de nombreuses aventures, mais quand il s’agit
d’une fille, le moindre écart n’est pas toléré. Je n’y peux
rien, c’est comme ça. C’est peut-être injuste, mais c’est
toute la société qui réagit de la sorte ». Triste vérité. Là
aussi, on a affaire une fois de plus à la discrimination
hommes-femmes. Dans une société où hommes et femmes se
côtoient au quotidien, où l’âge du mariage recule de plus en
plus pour des raisons socioéconomiques et où pl#us de 9
millions de personnes de plus de 35 ans sont célibataires,
est-il possible d’éviter toute vie sexuelle avant le mariage
?
De quel côté se situe l’hypocrisie ?
«
En matière de sexualité, la société ne donne pas aux femmes
les mêmes droits que ceux accordés aux hommes, même s’il
s’agit tout simplement d’un instinct naturel. Elle n’a pas
droit à l’erreur », juge l’activiste Fardos Al-Bahnassi.
Elle ajouter : « Ce débat m’écœure, en arriver à réduire
toute une personne à une simple membrane, c’est une
humiliation de plus infligée à la femme. On ne peut juger un
être humain que sur ce qu’il est véritablement, son fond et
son honnêteté, alors que maintenant, on pousse à davantage
d’hypocrisie puisque la femme doit mentir pour prouver sa
chasteté ».
Associé au concept d’honneur, l’hymen a donc avant tout une
fonction sociale capitale. « C’est pour cela que de
nombreuses filles tiennent à préserver leur hymen intact
alors que dans les faits, on ne peut pas les considérer
comme étant véritablement vierges », estime Al-Bahnassi. Les
exemples ne manquent pas. Achraf, 38 ans, qui a été marié
deux fois et a connu beaucoup de femmes, raconte : « Après
toutes les expériences que j’ai vécues, ma vision des choses
a changé. Je ne peux plus être naïf, j’ai connu des filles
non vierges qui étaient tout à fait respectables et
intègres. J’en ai connu d’autres qui se permettaient tout, y
compris les pénétrations anales, à condition de rester
vierges. Ce serait alors ridicule de juger une femme sur
cela. Ce qu’il faut, ce n’est pas pousser les filles à se
refaire leur virginité, mais c’est changer les mentalités,
être plus flexible et surtout moins superficiel, ne pas s’en
tenir uniquement à la présence ou à l’absence d’une membrane
qui finalement n’a aucune signification ». D’autres se
montrent compréhensifs, mais autrement. Sami, 60 ans,
considère que puisque l’islam ouvre la voie au repentir, la
société ne doit pas être aussi intolérante et pousser donc
certaines filles ayant fauté une fois à la débauche.
Si ces points de vue reflètent une certaine évolution, ils
sont loin d’illustrer l’opinion de la majorité. D’où la
question hautement épineuse de l’honnêteté. En effet,
l’argument principal avancé par les hommes de religion ou
même par les simples gens opposés à la nouvelle fatwa est
que celle-ci consacre en quelque sorte l’imposture. Selon
Amna Nosseir, professeure de charia à l’Université
d’Al-Azhar, la transparence est l’une des conditions du
mariage. D’après elle, la fille non vierge doit donc
l’avouer, quant à l’homme, il peut l’accepter ou non. Quant
à Gamal Qotb, ex-président du comité de la « daawa »
(prédication) à Al-Azhar, il affirme que « cet avis
religieux prend en compte le principe du satr, mais ne prend
pas en compte l’imposture qu’il engendre. La reconstitution
de l’hymen est une imposture ».
« J’aimerais être honnête ... »
Sauf
que dans les faits, les choses se passent autrement. C’est
justement parce qu’il est rare de trouver un homme qui
l’accepte que les filles font face à un véritable dilemme.
Avouer au nom de l’honnêteté ou ne pas le faire au nom du
satr et surtout pour ne pas subir les conséquences souvent
fâcheuses d’un tel aveu ? Mariée depuis 7 ans,Mariam, par
principe, a refusé de se refaire la virginité.
Son mari l’a accepté par amour, mais il n’arrive pas à
l’assumer. « J’en subis les conséquences au quotidien, il me
le fait rappeler tout le temps et à chaque dispute, ça
revient. Je sens qu’au fond, il ne me le pardonnera jamais
», dit-elle, tout en ajoutant : « Parfois, je regrette
d’avoir été honnête. Après tout, les hommes arabes préfèrent
ne rien savoir, ça les arrange, ils préfèrent se mentir.
Pour eux, la virginité, c’est tout un mythe ».
Et c’est justement à cause de ce mythe que la solution la
plus pratique est l’hypocrisie. Une hypocrisie que l’on
retrouve à tous les niveaux dans les relations
hommes-femmes. A l’exemple de tant d’autres, Sally, 33 ans,
a fait un mariage de raison. Auparavant, elle sortait avec
un autre qui a refusé de l’épouser parce que justement il
l’a fréquentée. Et il s’est avéré que son mari lui aussi
connaissait une autre avant le mariage et qu’il l’a laissée
pour les mêmes raisons. Le tout est de faire l’autruche.
C’est le comble de l’hypocrisie. Et aussi de la
contradiction. Radwa, une femme de ménage de 50 ans qui se
dit non convaincue par la fatwa, pense tout de même qu’une
fille non vierge n’a pas d’autre choix que d’opter pour la
fameuse intervention chirurgicale. « Pour les hommes, la
preuve de la virginité, ce sont les quelques gouttes de sang
qui s’écoulent. Sans cela, le doute s’installe et c’est
l’enfer », dit-elle.
Ironie du sort, le rafistolage de l’hymen provoque un
saignement plus important au moment de la « défloration »
que dans le cas d’une première relation sexuelle, comme
l’explique le Dr Tareq, gynécologue. « Toutefois, on ne peut
pas juger aussi simplement, les physionomies sont
différentes, certaines femmes sont nées sans hymen, d’autres
ont un hymen élastique, donc ne saignent pas », poursuit le
Dr Tareq selon lequel, le concept de virginité, c’est-à-dire
de chasteté, ne peut pas être lié à une simple membrane.
Reste à savoir quel genre de filles optent pour l’opération.
Selon un autre gynécologue qui pratiquait cette intervention
et qui a requis l’anonymat, « ce sont dans la plupart des
cas des femmes qui croient en la liberté sexuelle, qui ont
eu de nombreuses aventures mais qui sont conscientes du
poids des traditions. Pour elles, la fatwa ne changera rien
du tout, elles se refont la virginité de toutes les manières
».
« Cette fatwa est acceptable dans des cas spécifiques. Mais
en l’émettant de cette manière, de nombreux abus sont
prévisibles, et c’est là le véritable danger », souligne le
Dr Gamal Qotb. Outre ce dernier, nombreux sont ceux qui
avancent cette raison pour justifier leur refus de la fatwa,
indépendamment de l’aspect religieux du débat.
Car il est question du concept sacro-saint de l’honneur.
D’où le refus catégorique d’une large tranche de la société
de la nouvelle fatwa, bien qu’elle soit émise par le mufti
de la République. Et d’où aussi le dilemme de certaines
filles non vierges, à l’exemple de Nermine, âgée de 33 ans.
« Je suis tout le temps tiraillée. Je n’arrive pas à assumer
mon acte. Ce n’était pas décidé, c’était un geste de
désespoir et d’amour. Je n’ai eu qu’un seul partenaire et ça
n’a pas duré longtemps. Je ne sais pas si je serai capable
de faire l’opération ou non. Mais qui peut croire qu’une
femme de mon âge non vierge vit dans l’abstinence ?
J’aimerais bien être honnête mais la société ne me le permet
pas ».
Dossier réalisé par
Doaa Khalifa et Abir Taleb
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Le corps médical
perplexe
La nouvelle fatwa a également semé la zizanie parmi les
médecins. Bien qu’elle soit désormais licite, nombreux sont
ceux qui, pour des raisons de principes, refusent de
pratiquer l’opération de reconstitution de l’hymen. Tareq,
gynécologue, estime que cela s’oppose à ses convictions. «
Je ne l’ai jamais faite et je ne la ferai pas, malgré la
fatwa », affirme-t-il. Selon lui, c’est tout bonnement une
manière inadmissible de tricher. Tareq a cependant des
collègues qui pratiquent ce genre d’intervention, et d’après
eux, la plupart des filles qui la font sont des filles aux
mœurs légères. « Elles ne méritent donc pas d’être protégées
au nom du satr ». Le gynécologue explique que les filles se
présentent pour subir cette intervention quelques jours
avant le mariage. Il existe, en effet, deux sortes
d’interventions chirurgicales pour la reconstitution de
l’hymen. La première est considérée comme une réparation
simple faite quelques jours avant le mariage. Quant à la
deuxième, elle permet une reconstitution permanente de
l’hymen.
Jusqu’à présent, il n’existe pas de loi qui interdise une
telle intervention. En revanche, le Syndicat des médecins
l’interdisait, se basant sur un ancien avis religieux émis
par le comité de la prédication et de la charia d’Al-Azhar,
selon lequel cette opération était considérée illicite. Le
syndicat se retrouve donc désormais face à une nouvelle
donne. Etant donné que sa position était basée sur l’avis
d’Al-Azhar et non sur une loi, il est prévisible que cela
change. En effet, d’après Hamdi Al-Sayed, président du
Syndicat des médecins, le comité de déontologie du syndicat
va se réunir prochainement pour étudier les mesures à
prendre après la nouvelle fatwa.
Peut-on donc s’attendre à une autorisation officielle
accordée aux médecins pour pratiquer la reconstitution de
l’hymen ? Pour l’heure, rien n’est moins sûr. Au sein du
corps médical, cela ne dépend pas uniquement de la fatwa,
mais des convictions personnelles de chacun. « Certains
gynécologues affirment faire ce genre d’opérations pour
protéger les filles. Ce n’est pas vrai, c’est seulement une
question d’argent. Et pour ces médecins, la fatwa ne
changera rien. Moi-même, je la pratiquais, mais j’ai arrêté
il y a dix ans pour des raisons de conscience
professionnelle, et ce n’est pas la fatwa qui me fera
revenir sur ma décision », affirme un gynécologue qui a
requis l’anonymat.
Imbroglio juridico-religieux
La fatwa de Ali Gomaa a suscité des remous dans les milieux
religieux. En effet, c’est en raison des principes sur
lesquels le mutfi s’est basé que la polémique a éclaté. En
déclarant licite la reconstitution de l’hymen, Ali Gomaa
s’est basé sur la règle religieuse selon laquelle dans de
tels cas, on opte pour le moindre mal, en l’occurrence le
concept de « satr » qui veut dire discrétion et protection.
D’un autre côté, le mufti a déclaré que selon l’islam, la
femme n’a pas à avouer à son futur mari si elle n’est pas
vierge. Selon lui, il s’agit d’aider ces jeunes filles à se
repentir et à refaire leur vie dans la légitimité. Ali Gomaa
estime à cet effet que cela n’est pas en contradiction avec
le principe islamique opposé à l’hypocrisie. Cet avis est
partagé par le Dr Mohamad Raafat Osmane, recteur de la
faculté de charia et de droit de l’université d’Al-Azhar,
selon lequel le « satr » est, en général, recommandé en
islam, et plus particulièrement dans le domaine de
l’honneur. Osmane a fait ainsi référence à un épisode cité
dans un hadith selon lequel un homme est venu voir le
prophète Mohamad pour lui avouer avoir eu des relations
sexuelles et demander de subir le châtiment correspondant à
ce péché. Or, le prophète a essayé de le faire revenir sur
son aveu.
Pour ce qui est de la question de l’imposture, Osmane appuie
le point de vue du mufti et affirme que les deux principes
ne se contredisent pas en ce qui concerne cette fatwa,
d’autant plus que, selon l’islam, l’homme n’a pas à demander
à sa future femme quoi que ce soit sur son passé. « A ce
sujet, il y a une équité entre les hommes et les femmes.
Lorsque c’est l’homme qui a eu des relations sexuelles avant
le mariage et qui l’a caché, considère-t-on alors que c’est
un imposteur ou qu’il l’a trahie ? », dit-il.
Mais ce point ne fait pas l’unanimité. D’autres hommes de
religion opposés à la fatwa considèrent que la
reconstitution de l’hymen est tout simplement une tromperie
inacceptable selon les principes religieux, à l’exemple du
cheikh Mohamad Abdel-Metaal. D’après ce dernier, « c’est une
falsification dans l’acte de mariage, qui mentionne que la
mariée est vierge ». On se retrouve ainsi face à une
polémique religieuse mais aussi à un problème juridique. En
effet, selon maître Alaa Abdel-Wahab, avocat spécialisé dans
les affaires du statut personnel, « sur le plan juridique,
mentir sur une des clauses de l’acte de mariage rend
celui-ci caduc, à condition toutefois que le mari porte
plainte. Dans ce cas, la partie ayant falsifié risque une
amende ou encore une peine de prison ». Il s’agit là d’une
règle juridique générale qui stipule que tout contrat fondé
sur du faux est caduc, la falsification d’une des clauses
étant bien sûr illégale. Cependant, le contrat de mariage,
tel qu’il existe actuellement, répond à des critères civils.
En effet, la mention « vierge » écrite dans le contrat de
mariage est une clause purement administrative. Il ne s’agit
pas d’une obligation religieuse sans laquelle l’union
devient illicite, comme l’ont affirmé Gamal Qotb,
ex-président de la « daawa » (prédication) à Al-Azhar et
Alaa Abdel-Wahab. Et quand bien même cette mention serait
une sorte de falsification, « la fille est dans les
apparences redevenue vierge, ça ne pose donc pas problème »,
conclut Mohamad Raafat Osmane .
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