Janadria et le dialogue national saoudien !
Mohamed Salmawy
Celui qui visite l’Arabie saoudite doit remarquer le nouveau
climat qui règne dans les milieux intellectuels, politiques
et sociaux du royaume. Mon voyage en Arabie saoudite, dix
ans après la précédente, m’a permis de faire la comparaison
entre l’ancienne image que j’ai connue et la nouvelle à
laquelle je ne m’attendais pas.
Je
me suis rendu à Riyad en réponse à une invitation qui m’a
été adressée pour assister aux activités de la 22e édition
du Festival national du patrimoine et de la culture qui
s’est tenu à Janadria, à 35 km de Riyad. Selon mes
connaissances, ce festival est l’unique de par le monde
organisé par une institution militaire, en l’occurrence la
garde nationale saoudienne. Cette information peut étonner.
La réalité est qu’après avoir assisté au festival et après
avoir traité avec les membres de la garde, des plus jeunes
aux plus hauts gradés, j’étais étonné par l’excellent niveau
d’organisation. A tel point que l’on se trouve en train
d’espérer que toutes les institutions militaires de par le
monde organisent des festivals culturels semblables à celui
de la garde nationale saoudienne. Non seulement pour leur
bonne organisation et ponctualité, car ce sont des
caractéristiques reconnues dans tous les festivals, qui se
tiennent bien entendu en dehors du monde arabe. Mais surtout
pour la touche humaine que le festival laisse sur les
membres de la garde eux-mêmes. Ce qui m’a frappé, c’est
cette dimension humaine évidente que j’ai pu déceler lorsque
je suis entré en contact avec les membres de la garde
nationale, qui gardaient le sourire quel que soit le
problème qu’on leur expose.
L’homme qui parraine le festival n’est autre que
l’incontournable roi Abdallah Ibn Abdel-Aziz, qui l’a fondé
22 ans plutôt, lorsqu’il était encore héritier du trône et
en l’absence, à l’époque, d’un ministère de la Culture.
L’organisme que présidait l’héritier du trône n’était autre
que la garde nationale. C’est pourquoi il lui avait assigné
cette mission. Et j’ai vu au cours de cette 22e édition du
festival que cette institution a assumé ses responsabilités
avec une compétence non négligeable.
Heureusement
pour le pays, le roi Abdallah, fondateur du festival, est
celui qui tient aujourd’hui les rênes du pouvoir. Raison
pour laquelle l’esprit de Janadria s’est glissé dans les
cercles du pouvoir pour en fin de compte régner sur
l’ensemble du climat intellectuel, politique et social du
pays. Les éditions successives du festival ont été témoin
d’un dialogue continu entre les représentants de toutes les
tendances des intellectuels, des écrivains et des poètes
saoudiens, ainsi qu’avec leurs homologues venant des quatre
coins du monde arabe. Un dialogue qui se poursuivait, après
les différents colloques, dans les hôtels où les invités
sont accueillis. Les sujets des colloques ont contribué à la
poursuite de la discussion entre les Saoudiens mêmes après
le festival.
Les séances du festival de cette année ont abordé des thèmes
très intéressants tels « la modération dans l’islam », « la
réforme : les fondements religieux et scientifiques », « le
monde et la culture de l’animosité », « le fanatisme,
l’hégémonie et le conflit des cultures ». Sans oublier les
soirées poétiques, la course traditionnelle des chameaux,
considérée comme un aspect important du patrimoine populaire
de la péninsule arabique et dont les origines remontent à
l’époque pré-islamique.
Le ministre saoudien de la Culture et de l’Information, Iyad
Madani, partage cet avis : « Le festival se termine, mais le
dialogue qu’il entame se poursuit après la fin de ses
activités. Et c’est son grand succès parce qu’il constitue
un mécanisme pour le dialogue entre les différents courants
intellectuels du pays ».
Le dialogue entamé à Janadria s’est effectivement généralisé
à toute la société saoudienne. Abdallah Ibn Abdel-Aziz en
était encore une fois le déclencheur après avoir accédé au
trône. Le roi a ainsi appelé à instaurer ce qu’il a appelé
le « dialogue national ». Ce dialogue a été entamé dans la
Bibliothèque nationale (bibliothèque du roi Abdel-Aziz)
entre les représentants des différents courants religieux.
Avant, le pays ne voulait reconnaître qu’une seule doctrine
et ignorait la présence des autres. Mais aujourd’hui, nous
avons trouvé, pour la première fois, les sunnites, les
chiites, les soufis et autres en train de dialoguer entre
eux devant le public de la bibliothèque.
Juste quelques mois plus tard, le dialogue a commencé à
transcender les causes religieuses pour s’attaquer aux
sujets politiques, intellectuels et sociaux en général.
Rapidement, ce dialogue a été diffusé en direct sur les
chaînes officielles de la télévision. Un dialogue qui envoie
un message implicite disant que tout est sujet au dialogue.
Et que nous devons accepter l’avis de l’autre. Le plus
important est que ce dialogue envoie également le message
suivant : devons-nous nous éloigner du fanatisme et
apprendre la coexistence avec l’autre.
Lorsque je suis arrivé en Arabie saoudite, le climat du
dialogue régnait sur tous les aspects de la société.
D’ailleurs, ceci s’est reflété de manière spéciale dans la
presse. J’ai vu qu’un nombre de nouveaux rédacteurs en chef
ont été nommés. Ils sont connus pour leur modernisme, leur
dynamisme et leur ouverture sur les réalités de l’époque que
nous vivons.
J’ai lu à titre d’exemple un article dans la page courrier
du journal Al-Jazira portant un titre que je n’ai jamais
imaginé lire dans un journal saoudien auparavant : «
L’institution religieuse n’est pas au-dessus de la critique
».
Malgré la présence de beaucoup de caractéristiques de
l’ancienne société fermée en Arabie saoudite, le visiteur ne
peut manquer de remarquer le changement sain qui s’est
emparé de la société saoudienne. Un changement qui se
développe non pas à travers la confrontation et le conflit,
mais à travers la discussion et le dialogue.
Comme il
arrive dans les colloques du Festival de Janadria .