Bouteilles de Gaz.
De l’usine à l’entrepôt de stockage, des dizaines de
manutentionnaires jusqu’au livreur, les bonbonnes sont mises
à rude épreuve, en faisant parfois de véritables bombes à
retardement.
Hautement explosif
Bruit
d’une explosion sourde. Tout le village de Tamouh, à Guiza,
semble avoir été soufflé par une bombe. La panique bat son
plein. Et il y a de quoi. Un camion chargé de 350 bonbonnes
de gaz, garé devant l’usine de pétrochimie, a explosé. Une
semaine plus tard, c’est à Minyet Sammanoud, à Daqahlyia,
dans le Delta, que 500 bonbonnes ont explosé. Bilan : des
blessés graves et des morts. Au cours de la même période, un
couple de jeunes mariés est mort asphyxié suite à une fuite
d’une bonbonne de gaz mal fermée. Un incident similaire
s’est produit à Minya Al-Bassal, à Charqiya, où une famille
entière a perdu la vie. A Matariya, un entrepôt de stockage
qui ne répondait pas aux critères de sécurité a pris feu,
provoquant l’explosion de 200 bonbonnes. Les flammes d’une
hauteur de 32 mètres ont atteint trois maisons qui ont été
complètement incendiées. Autre incident, les habitants de
Helmiyet Al-Zeitoun ont échappé de justesse à la mort. Un
court-circuit causé par des fils électriques, volés par un
propriétaire d’un entrepôt à partir d’un poteau, a provoqué
une forte explosion. Cela aurait causé d’énormes dégâts s’il
n’y avait pas eu l’intervention rapide des pompiers qui ont
réussi à éviter le pire. Par ailleurs, et dans le même
cadre, 8 000 bonbonnes de gaz ont été saisies à Qalioubiya,
car elles ne répondaient pas aux normes de sécurité. Et la
liste est encore bien longue. On peut dire sans exagérer que
la menace pèse désormais au quotidien au point de devenir un
des plus importants sujets de débat. Des bombes prêtes à
exploser à tout moment, d’où la question : comment
arrivent-elles chez nous dans cet état ? Selon Mohamad
Soliman, responsable de la sécurité industrielle, 36
millions de bonbonnes de gaz sont en usage en Egypte, dont
la plupart sont périmées et ne répondent plus aux critères
de sécurité. La majorité date depuis 40 ans, or dans tous
les pays du monde, la durée de vie d’une bonbonne est de 10
ans au maximum. « Les critères de sécurité sont connus par
les fabricants et les importateurs. Pourtant, du point de
vue solidité et épaisseur, nos bonbonnes dépassent les
normes internationales de 20 % et ce, pour qu’elles puissent
supporter n’importe quel choc. Malheureusement, ces
bonbonnes, à force d’être posées brutalement et traînées par
terre, finissent par être en piteux état. Tout cela réduit
leur durée de vie et peut les transformer en une véritable
bombe à retardement. De plus, aucune indication n’est portée
sur la bouteille de gaz quant à la date de sa fabrication »,
explique-t-il, tout en ajoutant que deux millions de
régulateurs chinois ont été importés par le secteur privé et
répartis sur 45 usines à travers tout le territoire. Des
régulateurs qui ne répondent pas aux normes de sécurité et
provoquent des fuites. Pourtant, comme cela c’est souvent le
cas chez nous, on ne réagit sérieusement qu’une fois la
catastrophe survenue.
Il est 16 heures et Karima n’a pas encore préparé son
déjeuner. Sa bouteille de gaz étant terminée, elle ne
possède pas de réchaud à pétrole pour préparer de quoi
manger. Elle ne cesse de faire le va-et-vient devant la
fenêtre, dans l’espoir d’entendre le livreur qui signale son
arrivée en frappant à l’aide d’une clé à molette la carcasse
d’une bonbonne vide. Un tintamarre que l’on n’entend plus
depuis cette grande pénurie. Karima a chargé le portier de
faire descendre la bouteille vide depuis le matin et elle
n’est pas la seule à être en panne de gaz. Ses voisines qui
ont des bonbonnes de rechange sont dans la même situation.
Restaurants, gargotes et hôpitaux, la pénurie a touché tous
les secteurs. « La bonbonne qui coûte normalement 4 L.E. se
vend au marché noir entre 12 et 20 L.E. Nous sommes prêts à
débourser n’importe quel prix pourvu que l’on arrive à se
procurer une bouteille pour préparer les repas à nos enfants
», se plaint Karima tout en ajoutant que son mari a passé la
journée du vendredi devant l’entrepôt d’Al-Hawamdiya, à
Guiza, pour tenter de remplir la seconde bonbonne de
rechange, mais sans y parvenir. En fait, c’est l’avidité des
propriétaires des entrepôts qui a aggravé la crise. Ces
derniers vendent quotidiennement leur quota à des marchands
ambulants qui les revendent à leur tour avec un bénéfice de
4 ou 5 L.E. par unité.
Soudain, Karima entend au loin le bruit des roues branlantes
d’une charrette. Une foule de gens est amassée autour de
lui. Avec son apprenti, ils ne savent plus où donner de la
tête. Les bonbonnes sont posées par terre brutalement,
provoquant un bruit fracassant. Un enfant, ne pouvant
transporter la bouteille de gaz sur ses frêles épaules, la
fait rouler par terre jusqu’à son domicile. Une scène que
l’on voit souvent dans la rue et qui peut dégénérer en
véritable catastrophe. En moins d’une demi-heure, le livreur
a liquidé toutes ses bouteilles de gaz. Il repart sans que
personne ne sache s’il va revenir. Et c’est à Saad, le
portier, de faire le reste du travail, à savoir faire monter
la bonbonne de gaz et l’installer. Ce dernier ajuste le
régulateur et le serre à l’aide d’une clé à molette, ouvre
le robinet de la bonbonne et pour s’assurer qu’il n’y a pas
de fuite, il se serre d’une allumette. Un geste dangereux
auquel utilisateurs et livreurs recourent et qui peut être
très dangereux en cas de fuite du tuyau relié au régulateur.
Une petite flamme jaillit. Saad se presse aussitôt de fermer
le robinet. Il tente de comprendre si la fuite de gaz vient
de la bonbonne elle-même ou du tuyau. Il remarque que le
tuyau est en mauvais état et se rend au magasin le plus
proche pour en ramener un tout neuf et l’installe. Il se
rend compte aussi qu’il y a un problème avec le régulateur,
de fabrication chinoise. « Je viens de l’échanger il y a à
peine un mois », lance Karima au portier. Après plusieurs
tentatives, Saad sent toujours une odeur de gaz et conclut
que le bouteille présente une défaillance.
Des installations peu adaptées
Or, si la bonbonne de gaz est mise à rude épreuve par le
livreur et le citoyen, elle l’est aussi par les
manutentionnaires qui travaillent dans les entrepôts et qui
ne respectent pas les critères de sécurité.
A Matariya se trouve une aire de stockage pour bonbonnes de
gaz, située dans une zone à forte agglomération au
rez-de-chaussée d’un immeuble. L’endroit est mal aéré alors
qu’il doit posséder plusieurs bouches d’aération pour éviter
que le gaz ne s’accumule en cas de fuite. Plusieurs
bonbonnes sont allongées dans le sens vertical et l’entrepôt
est dépourvu d’extincteurs. Des manutentionnaires sont en
train de charger un camion. Ils balancent brutalement les
bouteilles sur le plateau du véhicule. Le bruit qu’ils
provoquent est fracassant. L’un d’eux, assis par terre, fume
tranquillement une cigarette alors qu’il est interdit de le
faire. Plus loin, un ouvrier se prépare une tasse de thé sur
un petit réchaud à pétrole. Inconscient du danger, il
continue de soulever des bouteilles sans se soucier des
mesures de sécurité. Soudain, un citoyen se présente à eux
pour échanger une bonbonne qui présente une fuite. C’est la
deuxième fois que cela lui arrive. Furieux, Hassan ne
comprend pas comment l’usine livre toujours des bonbonnes
pareilles, il demande qu’on lui échange la défaillante avec
une autre en meilleur état. « La faute est à l’usine de
fabrication qui n’a pas l’installation nécessaire pour
détecter les fuites de gaz », lui lance un manutentionnaire.
Hassan repart tout en se demandant s’il finira, un jour, par
mourir brûlé ou asphyxié par une bouteille de gaz .
Chahinaz Gheith