Champion du monde 2006, le lutteur
Mohamad Abdel-Fattah,
dit Bougui (84 kg), débute la saison la tête dans les
JO de 2008. Depuis 20 ans qu’il s’entraîne, pas question que
la médaille olympique lui échappe une troisième fois.
L’Hercule national
Robuste, vêtu à la mode, visage rayonnant et yeux miel. Le
champion du monde de lutte gréco-romaine (catégorie 84 kg),
Mohamad Abdel-Fattah, dit Bougui, a la démarche d’une
vedette de cinéma. Sa voix douce et sa manière de s’exprimer
le rapprochent plus d’un comédien romantique. Difficile
d’imaginer qu’il pratique un sport aussi violent. « J’ai
souvent pensé à tenter ma chance dans le cinéma. J’ai même
essayé d’être modèle dans les spots publicitaires »,
avoue-t-il. Le plus étonnant est qu’en dépit de sa jeunesse
et de son effervescence, il maintient toujours un calme
olympien. Ce qui fait sans doute son charisme.
A 28 ans, Bougui est le prince charmant de pas mal
d’adolescentes. Là où il se trouve, les admiratrices
l’entourent. Malgré tout, il reste timide, les regards des
jeunes filles le troublent. « Ça me rend confus. Je n’arrive
toujours pas à entamer une discussion avec une jeune fille
égyptienne. A l’étranger, les rapports sont beaucoup plus
faciles. Ici, il faut toujours changer de stratégie, faire
semblant », dit-il.
Le meilleur lutteur égyptien en 2007 passe la plupart de son
temps à l’étranger, en Europe ou aux Etats-Unis. L’année
dernière, il a réalisé un vrai exploit et décroché son titre
mondial, grâce à ses entraînements aux Etats-Unis sur bourse
d’un an octroyée par la Fédération américaine de lutte.
Réputé pour son style de jeu spectaculaire et sa rage de
vaincre, Bougui vient de recevoir une nouvelle invitation de
la Fédération américaine de lutte, pour s’entraîner avec sa
sélection à Colorado Springs (Etats-Unis). « On lui a même
proposé la nationalité américaine. Lorsqu’il a refusé, on
lui a proposé de s’entraîner avec la sélection américaine
pour que leurs lutteurs profitent de son expérience »,
témoigne le père de Bougui, suivant de près l’évolution de
son fils. Depuis, Bougui passe plusieurs mois de l’année aux
Etats-Unis. Dernièrement, il a aussi passé du temps avec la
sélection suédoise. « L’entraînement aux Etats-Unis est
totalement différent de celui suivi en Egypte. Les
Américains ont tous les équipements nécessaires pour
améliorer mon physique. L’atmosphère et le lieu
d’entraînement sont sains, contrairement à l’Egypte, où je
suis la plupart du temps au Centre olympique de Maadi,
suivant un régime alimentaire qui ne me convient pas. De
plus, je m’entraîne sur une montagne, avec des lutteurs d’un
très haut niveau. Les grandes nations de lutte viennent au
camp américain pour s’entraîner », fait remarquer le
lutteur.
Le Centre olympique de Colorado Springs et le Centre
olympique de Maadi, c’est le jour et la nuit. Le premier est
à 3 000 mètres d’altitude, son restaurant est ouvert 24
heures sur 24, offrant un régime alimentaire adapté à chaque
athlète. « Je m’entraîne dans une salle immense, avec des
équipements de pointe. Le programme d’entraînement ne se
limite pas à la pratique de la lutte. Il consiste aussi à
escalader une montagne, à nager dans une eau agitée et à
faire des kilomètres à vélo », ajoute-t-il. A Colorado
Springs, Bougui s’est bien intégré à la communauté. D’abord,
la langue constituait un obstacle, mais au fur et à mesure,
il a commencé à parler l’anglais. « Au début, la vie aux
Etats-Unis était un peu difficile. Lorsqu’on apprenait que
j’étais égyptien, donc arabe, on me regardait d’un air
suspect. Je passais pour un extraterrestre. En m’approchant,
l’on changeait d’attitude, m’interrogeant sur mon pays et ma
religion », raconte Bougui. Ajoutant : « En Egypte, je
m’ennuie, contrairement aux Etats-Unis où je m’entraîne 2
fois par jour. Durant les week-ends, je sors avec mes amis,
au cinéma ou au club ». Les Américains se sont pas
insensibles à son physique oriental et son titre de
champion. Ce qui n’est pas sans lui déplaire. « Je n’ai
aucun inconvénient à épouser une Américaine, mais jusque-là,
je n’ai pas rencontré la femme de mes rêves : calme, douce,
sensible, avec beaucoup d’esprit », avoue-t-il.
Grâce à sa résidence aux Etats-Unis, l’hymne national
égyptien a retenti à Guangzhou, en Chine, lors des
Championnats du monde, début octobre dernier. En remportant
la finale de la catégorie 84 kg contre le Turc Nazmi Avluca,
Bougui a raflé la première médaille d’or pour l’Egypte
depuis 46 ans. En effet, le dernier titre mondial avait été
obtenu en 1960 par feu Moustapha Hamed en catégorie 62 kg
lors des Mondiaux de Tokyo, au Japon. « Cette médaille m’est
très précieuse. C’est un rêve que je caressais depuis bien
des années. Avant ces Mondiaux, j’ai subi les attaques
virulentes des médias et de la Fédération égyptienne. Cette
dernière a même annulé ma bourse aux Etats-Unis, prétendant
que je ne m’y entraînais pas, que je m’étais marié et que je
voulais obtenir la nationalité américaine. Face à ce déluge
de fausses accusations, je n’ai pas pu me défendre. Cette
médaille est donc arrivée au bon moment, c’était ma seule
riposte », déclare-t-il. Ajoutant : « Je ressentais depuis
longtemps que je méritais cette médaille ».
Depuis des années, son niveau s’est nettement amélioré, mais
la chance ne lui souriait pas. Aux Jeux Olympiques (JO) de
Sydney 2000, il a été classé 8e après un mauvais arbitrage
du match en quarts de finale. Aux JO d’Athènes 2004, il
s’est heurté encore une fois au mauvais arbitrage, a perdu
son calme et s’est fait éliminer de la compétition. Ce n’est
pas tout : à chaque édition des Championnats du monde, il
subissait une blessure. La seule médaille qu’il a décrochée
était celle de bronze, aux Championnats du monde 2002.
Dans la défaire, Bougui devient une boule de nerfs, au grand
dam de tous. « Les JO étaient mon rêve d’enfance, j’aspirais
à une médaille olympique. Voir ce rêve filer entre mes
doigts ces deux dernières éditions m’a rendu fou. Je me
sentais victime d’un arbitrage injuste ». Malgré ses échecs,
il n’est pas peu fier de son coéquipier Karam Gaber, qui a
remporté le titre olympique de la catégorie 96 kg à Athènes
en 2004. Amis d’enfance, la relation entre ces deux hommes a
traversé des turbulences, mais a atteint le respect mutuel
qu’ils se vouent.
Ses débuts, à 8 ans au club de Suez, montrent que Mohamad
Abdel-Fattah n’était pas comme les autres. En 1986, à 9 ans,
il a remporté le Tournoi de Suez. En 1994, il a intégré la
sélection nationale, mais ce n’est qu’en 1996 qu’il a été
sélectionné lutteur principal par le directeur technique de
l’équipe de l’époque, Yahia Kazarian. Cet Arménien d’Egypte
a aidé Bougui à atteindre un niveau international et lui a
inculqué la noblesse du jeu. Son décès en 2002 a beaucoup
affecté le champion. Mais il s’est vite ressaisi, il le
devait pour sa famille. « Mes parents ont tout sacrifié pour
que je me consacre à la lutte. Aujourd’hui, lorsque je suis
seul au Caire dans mon nouvel appartement de Maadi, j’ai le
cafard. Je ne me sens bien que lorsque mes proches sont à
mes côtés », dit-il, ému. C’est aussi à sa famille qu’il
doit sa réputation de sportif attaché aux valeurs
religieuses, chose rare parmi les stars du milieu. Il aime
la vie, les filles, la danse et prie régulièrement à la
mosquée. Cette année, il est même parti en pèlerinage à La
Mecque.
Ses 20 ans de lutte ont imprégné sa personnalité. « Grâce à
ce sport, ma volonté s’est affermie tout comme mon esprit de
combat, essentiels pour renverser une situation lors d’un
match comme dans la vie. J’ai appris à réfléchir vite et à
prendre des décisions rapides », précise-t-il, avant
d’affirmer que « la lutte est un sport qui nécessite une
grande intelligence. Il y a quand même un prix à payer. Car
pour m’y consacrer, j’ai raté beaucoup de plaisirs ».
Pendant ses études à la faculté de commerce de Suez, il est
tombé amoureux, mais n’a pas eu le temps ni les moyens de
s’investir dans ce sentiment à cause de ses entraînements au
Caire ou à l’étranger. Aujourd’hui, depuis sa médaille d’or,
tout va beaucoup mieux matériellement. Ceci dit, il pense
déjà à son avenir une fois sa carrière sportive terminée.
Journaliste à Al-Ahram Al-Riyadi, grâce à l’aide de son
rédacteur en chef, Ibrahim Hégazi, il apprend un autre
métier, sachant qu’un de ces jours, il aura à couvrir les
exploits des autres. Le mois dernier, il a aussi signé un
contrat avec le club égyptien Cairo AC Milan pour fonder une
Académie de lutte portant son nom « L’Académie Bougui ». Il
y tient le rôle de consultant, offrant son expérience aux
enfants. Mais pour le moment, il est le lutteur
professionnel qui continue à rêver. « Je vais continuer à
pratiquer la lutte, je ne sais pas jusqu’à quand. Si je
remporte la médaille olympique à Beijing en 2008, je vais
encore me mettre à rêver d’une autre médaille olympique,
celle de 2012 », conclut le champion .
Doaa
Badr