Tala.
Au cours des 6 mois passés, ce village a vécu un véritable
drame. Sept enfants ont été enlevés. Angoisse, prudence et
peur, un trio qui fait le quotidien du village. Reportage.
Une ténébreuse affaire
Village
de Tala, dans le gouvernorat de Ménoufiya, le 17 juillet
2006. Les habitants du bourg sont encore plongés dans un
profond sommeil quand la petite Marwa, âgée de 7 ans, sort
de sa modeste maison pour ramener de quoi préparer le
petit-déjeuner à sa petite famille composée de sa maman
divorcée et son grand-père, ouvrier dans une entreprise de
drainage sanitaire. Un chauffeur de camion s’arrête et
demande un verre d’eau à une voisine qui se trouvait par
hasard au seuil de sa porte. Lorsque cette dernière revient,
le véhicule avait disparu. Marwa aussi. Aidée par les
habitants du village, la famille la cherche partout mais en
vain. Certains même font le tour des villages voisins munis
de haut-parleurs pour donner son signalement.
Malheureusement, Marwa reste introuvable. Quinze jours se
sont écoulés quand un homme découvre le cadavre d’une petite
fille en état de décomposition, dissimulé dans un sac de
ciment et flottant sur la rivière. La tête, séparée du
corps, présente un gros trou. Alertée, la police fait un
constat et convoque la mère. Cette dernière reconnaît Marwa
par son accoutrement et l’élastique qu’elle porte sur ses
cheveux.
Quelques semaines plus tard, un garçon de 8 ans disparaît
encore. Il est retrouvé mort au bord de la rivière. Sa
famille noyée par le chagrin refuse de parler.
A Tala, situé à environ 100 km du Caire, la disparition des
enfants au cours des six derniers mois est devenue un
véritable cauchemar. Selon les chiffres de la police, 7
enfants auraient disparu des deux bourgs Tala et Al-Chohada
(qui compte environ un demi-million d’habitants). Pourtant,
la police nie la présence d’une bande ou d’un crime organisé
et avance tout simplement des cas isolés. Pourtant, la
campagne médiatique menée par le journaliste Waël Al-Ibrachi
sur une chaîne satellite et la colère des habitants du
village semblent avoir fait pression sur la police. Depuis,
c’est la mobilisation générale dans ces deux villages. Et
cela semble avoir porté ses fruits. Deux autres enfants ont
failli connaître le même sort, mais ont été retrouvés sains
et saufs, alors que les enquêtes sont en cours pour
découvrir les criminels.
Cependant,
l’anxiété, la peur et la consternation règnent toujours à
Tala. Tout le monde est sur ses gardes. Une prudence qui a
même obligé les habitants de ce village à changer de mode de
vie. « Les parents terrifiés tiennent à accompagner leurs
enfants à l’école car la mort de Marwa a beaucoup secoué les
gens de Tala », commente Hag Loutfi, commerçant et père de
cinq enfants, tout en confiant qu’il ferme son magasin pour
aller emmener et ramener ses enfants de l’école. D’autres
parents ont recours aujourd’hui au bus scolaire pour
garantir la sécurité de leurs enfants. Un service qui
n’existait pas dans ce petit village où tout le monde se
connaît. Les gardiens des établissements scolaires ont
depuis une lourde responsabilité sur le dos. « Je dois
vérifier la carte d’identité de chaque étranger voulant
pénétrer à l’école. Si j’ai un doute, j’alerte la foule qui
accourt pour me prêter main forte », déclare Mohamad Abdel-Rahmane,
gardien. Dans le souk du village, toutes les mamans tiennent
vigoureusement la main de leurs enfants. Walaa a deux
garçons. Elle confie que les enfants sont traumatisés. « Nos
enfants ne sont pas habitués à rester enfermés à la maison.
Pour eux, la rue est un club puisque c’est là où ils se
distraient. Aujourd’hui, on a peur de les laisser jouer
dehors. Un moment d’inattention de notre part pourrait
coûter cher à nos enfants », dit-elle tristement.
Ahmad Al-Béheiri, l’avocat qui défend la cause de Marwa,
estime que l’angoisse des habitants est bien justifiée. «
Face aux nombreux cas de kidnapping, j’ai essayé
d’interpréter ces faits en m’appuyant sur des preuves qui
montrent qu’il s’agit bien d’un trafic d’organes. L’état des
deux cadavres retrouvés justifie cette hypothèse. Alors que
le premier présentait un trou à la tête, l’autre n’avait
plus les yeux », confie Al-Béheiri, tout en ajoutant qu’un
autre enfant kidnappé a regagné sa maison avec la tête
complètement rasée. « Sa famille garde un silence froid et
ne veut plus parler du sujet, alors que l’état psychologique
de l’enfant est lamentable », ajoute Al-Béheiri.
Comme à Béni-Mazar
Les habitants ont même fait la liaison entre ces massacres
et celui perpétré, il y a quelques mois, dans le village de
Béni-Mazar, en Haute-Egypte. Le criminel a égorgé dix
membres d’une même famille et coupé certains organes de
leurs corps. Les enquêtes de la police avaient, entre
autres, porté sur la piste du trafic d’organes. « On a alors
pensé que la contagion avait atteint notre village et que
cette mafia tentait de faire son beurre chez nous »,
poursuit Hag Mohamad.
Les gens du village ont trouvé les moyens pour se prémunir
contre tout danger en se dotant d’outils de défense pour
faire face à l’ennemi. C’est quand Radwa, la petite fille
d’un directeur d’école, a disparu il y a trois mois alors
qu’elle se dirigeait vers un kiosque tout près de chez elle
pour acheter la taamiya dont elle raffole. Une jeune femme
s’est approchée d’elle lui affirmant qu’elle connaissait
bien sa famille et qu’elle avait la permission de sa mère
pour l’accompagner à l’école. L’inconnue prend alors une
autre route, puis lui pose un mouchoir imbibé de chloroforme
sur le nez et l’embarque avec elle dans un train. Radwa,
âgée de 8 ans, tarde à rentrer, un cauchemar pour sa famille
qui n’a pas oublié le sort de Marwa. « Je m’enfermais dans
ma chambre et criais fort comme un gamin », confie le père.
Quant à la mère, elle a failli être paralysée par la peur.
Mais tout le village s’est mobilisé pour chercher Radwa. Les
jeunes fouillaient les trains, les plus âgés sillonnaient le
village et les bourgs mitoyens donnant son signalement à
travers des haut-parleurs, et les femmes fouinaient dans le
souk. Les efforts de ces villageois soutenus par la police
sont venus à bout de la criminelle qui a lâché sa victime à
la station de Toukh après lui avoir enfilé d’autres
vêtements pour qu’on ne la reconnaisse pas. « La femme qui
m’a kidnappée m’a dit que dorénavant mon nom c’est Menna et
non pas Radwa, puis elle m’a menacée si j’ouvrais la bouche
», rapporte la petite fille, sous le choc depuis deux mois.
Pourtant aujourd’hui, Radwa n’hésite pas à raconter son
aventure afin de sensibiliser les enfants du village sur un
ton adulte, elle estime qu’il ne faut jamais suivre une
personne inconnue.
Mais si Radwa a pu regagner son domicile vu qu’elle est
issue d’une grande famille et que son père est parvenu à
mobiliser tout le village, d’autres enfants pourraient ne
pas avoir cette chance. Le dossier de Marwa, issue d’une
famille pauvre, va-t-il de nouveau s’ouvrir pour retrouver
les responsables de ce crime crapuleux ? Les jours à venir
vont peut-être élucider cette énigme .
Dina
Darwich