Al-Ahram Hebdo,Nulle part ailleurs | Une ténébreuse affaire
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 28 mars au 3 avril 2007, numéro 655

 

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Nulle part ailleurs

Tala. Au cours des 6 mois passés, ce village a vécu un véritable drame. Sept enfants ont été enlevés. Angoisse, prudence et peur, un trio qui fait le quotidien du village. Reportage.  

Une ténébreuse affaire 

Village de Tala, dans le gouvernorat de Ménoufiya, le 17 juillet 2006. Les habitants du bourg sont encore plongés dans un profond sommeil quand la petite Marwa, âgée de 7 ans, sort de sa modeste maison pour ramener de quoi préparer le petit-déjeuner à sa petite famille composée de sa maman divorcée et son grand-père, ouvrier dans une entreprise de drainage sanitaire. Un chauffeur de camion s’arrête et demande un verre d’eau à une voisine qui se trouvait par hasard au seuil de sa porte. Lorsque cette dernière revient, le véhicule avait disparu. Marwa aussi. Aidée par les habitants du village, la famille la cherche partout mais en vain. Certains même font le tour des villages voisins munis de haut-parleurs pour donner son signalement. Malheureusement, Marwa reste introuvable. Quinze jours se sont écoulés quand un homme découvre le cadavre d’une petite fille en état de décomposition, dissimulé dans un sac de ciment et flottant sur la rivière. La tête, séparée du corps, présente un gros trou. Alertée, la police fait un constat et convoque la mère. Cette dernière reconnaît Marwa par son accoutrement et l’élastique qu’elle porte sur ses cheveux.

Quelques semaines plus tard, un garçon de 8 ans disparaît encore. Il est retrouvé mort au bord de la rivière. Sa famille noyée par le chagrin refuse de parler.

A Tala, situé à environ 100 km du Caire, la disparition des enfants au cours des six derniers mois est devenue un véritable cauchemar. Selon les chiffres de la police, 7 enfants auraient disparu des deux bourgs Tala et Al-Chohada (qui compte environ un demi-million d’habitants). Pourtant, la police nie la présence d’une bande ou d’un crime organisé et avance tout simplement des cas isolés. Pourtant, la campagne médiatique menée par le journaliste Waël Al-Ibrachi sur une chaîne satellite et la colère des habitants du village semblent avoir fait pression sur la police. Depuis, c’est la mobilisation générale dans ces deux villages. Et cela semble avoir porté ses fruits. Deux autres enfants ont failli connaître le même sort, mais ont été retrouvés sains et saufs, alors que les enquêtes sont en cours pour découvrir les criminels.

Cependant, l’anxiété, la peur et la consternation règnent toujours à Tala. Tout le monde est sur ses gardes. Une prudence qui a même obligé les habitants de ce village à changer de mode de vie. « Les parents terrifiés tiennent à accompagner leurs enfants à l’école car la mort de Marwa a beaucoup secoué les gens de Tala », commente Hag Loutfi, commerçant et père de cinq enfants, tout en confiant qu’il ferme son magasin pour aller emmener et ramener ses enfants de l’école. D’autres parents ont recours aujourd’hui au bus scolaire pour garantir la sécurité de leurs enfants. Un service qui n’existait pas dans ce petit village où tout le monde se connaît. Les gardiens des établissements scolaires ont depuis une lourde responsabilité sur le dos. « Je dois vérifier la carte d’identité de chaque étranger voulant pénétrer à l’école. Si j’ai un doute, j’alerte la foule qui accourt pour me prêter main forte », déclare Mohamad Abdel-Rahmane, gardien. Dans le souk du village, toutes les mamans tiennent vigoureusement la main de leurs enfants. Walaa a deux garçons. Elle confie que les enfants sont traumatisés. « Nos enfants ne sont pas habitués à rester enfermés à la maison. Pour eux, la rue est un club puisque c’est là où ils se distraient. Aujourd’hui, on a peur de les laisser jouer dehors. Un moment d’inattention de notre part pourrait coûter cher à nos enfants », dit-elle tristement.

Ahmad Al-Béheiri, l’avocat qui défend la cause de Marwa, estime que l’angoisse des habitants est bien justifiée. « Face aux nombreux cas de kidnapping, j’ai essayé d’interpréter ces faits en m’appuyant sur des preuves qui montrent qu’il s’agit bien d’un trafic d’organes. L’état des deux cadavres retrouvés justifie cette hypothèse. Alors que le premier présentait un trou à la tête, l’autre n’avait plus les yeux », confie Al-Béheiri, tout en ajoutant qu’un autre enfant kidnappé a regagné sa maison avec la tête complètement rasée. « Sa famille garde un silence froid et ne veut plus parler du sujet, alors que l’état psychologique de l’enfant est lamentable », ajoute Al-Béheiri.

 

Comme à Béni-Mazar

Les habitants ont même fait la liaison entre ces massacres et celui perpétré, il y a quelques mois, dans le village de Béni-Mazar, en Haute-Egypte. Le criminel a égorgé dix membres d’une même famille et coupé certains organes de leurs corps. Les enquêtes de la police avaient, entre autres, porté sur la piste du trafic d’organes. « On a alors pensé que la contagion avait atteint notre village et que cette mafia tentait de faire son beurre chez nous », poursuit Hag Mohamad.

Les gens du village ont trouvé les moyens pour se prémunir contre tout danger en se dotant d’outils de défense pour faire face à l’ennemi. C’est quand Radwa, la petite fille d’un directeur d’école, a disparu il y a trois mois alors qu’elle se dirigeait vers un kiosque tout près de chez elle pour acheter la taamiya dont elle raffole. Une jeune femme s’est approchée d’elle lui affirmant qu’elle connaissait bien sa famille et qu’elle avait la permission de sa mère pour l’accompagner à l’école. L’inconnue prend alors une autre route, puis lui pose un mouchoir imbibé de chloroforme sur le nez et l’embarque avec elle dans un train. Radwa, âgée de 8 ans, tarde à rentrer, un cauchemar pour sa famille qui n’a pas oublié le sort de Marwa. « Je m’enfermais dans ma chambre et criais fort comme un gamin », confie le père. Quant à la mère, elle a failli être paralysée par la peur. Mais tout le village s’est mobilisé pour chercher Radwa. Les jeunes fouillaient les trains, les plus âgés sillonnaient le village et les bourgs mitoyens donnant son signalement à travers des haut-parleurs, et les femmes fouinaient dans le souk. Les efforts de ces villageois soutenus par la police sont venus à bout de la criminelle qui a lâché sa victime à la station de Toukh après lui avoir enfilé d’autres vêtements pour qu’on ne la reconnaisse pas. « La femme qui m’a kidnappée m’a dit que dorénavant mon nom c’est Menna et non pas Radwa, puis elle m’a menacée si j’ouvrais la bouche », rapporte la petite fille, sous le choc depuis deux mois. Pourtant aujourd’hui, Radwa n’hésite pas à raconter son aventure afin de sensibiliser les enfants du village sur un ton adulte, elle estime qu’il ne faut jamais suivre une personne inconnue.

Mais si Radwa a pu regagner son domicile vu qu’elle est issue d’une grande famille et que son père est parvenu à mobiliser tout le village, d’autres enfants pourraient ne pas avoir cette chance. Le dossier de Marwa, issue d’une famille pauvre, va-t-il de nouveau s’ouvrir pour retrouver les responsables de ce crime crapuleux ? Les jours à venir vont peut-être élucider cette énigme .

Dina Darwich


 

Ahmad Al-Béheiri, l’avocat qui s’occupe de la cause de Marwa assassinée depuis plus de 7 mois dans le village de Tala, met l’accent sur l’évolution de cette affaire.

« Jusqu’à présent, personne n’a réussi à connaître les causes de ces disparitions »

Al-Ahram Hebdo : Le dossier a-t-il été clos avec l’incapacité de déterminer l’outil du crime suite à la décomposition du cadavre ?

Ahmad Al-Béheiri : Je m’occupe toujours de ce procès vu que les parents de la victime sont des gens très pauvres et ont besoin de quelqu’un pour les soutenir. En effet, la justification de la médecine légale était pour moi illogique. J’ai présenté une demande auprès du procureur général pour refaire les analyses des tissus restants du cadavre afin de déterminer précisément la raison de la mort de Marwa. J’ai vraiment besoin d’une réponse plus convaincante.

— Le droit à la sécurité est-il devenu aujourd’hui l’apanage des plus aisés ?

— Je ne pense pas. La police a en fait déployé de grands efforts après cette série de kidnappings pour mettre fin à ce massacre. Certains enfants ont même regagné leurs maisons. Mais jusqu’à présent, personne n’a réussi à connaître les causes de ces disparitions. Aujourd’hui, on peut dire que tout le monde est mobilisé pour assurer la sécurité de ces villageois. En ce qui concerne le cas de Marwa, les enquêtes sont en cours à la recherche d’une information qui pourrait élucider cette énigme.

— Pensez-vous que les enquêtes sur l’assassinat de Marwa ont été insuffisantes ?

— Je ne peux plus prétendre cela, mais tout ce que je peux dire est que les services de médecine légale dans les villages manquent énormément de moyens et je veux profiter de l’occasion pour lancer un appel au ministre de la Justice, afin de moderniser cet organisme dont le travail s’avère primordial pour toutes les parties concernées.

— Estimez-vous qu’il existe vraiment un trafic d’organes ?

— Je ne peux ni nier ni confirmer. Mais il faut être prudent, car jusqu’à présent, on ne connaît pas les motifs de ces criminels .

 




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