Sadeq
Al-Mahdi,
chef charismatique des Mahdistes et figure quasi légendaire,
demeure au combat pour un Soudan libre et démocratique.
Le
messager de la liberté
« Son apparence physique dégageait une fascination étrange.
Il était solidement charpenté, de peau très sombre et son
visage s’éclairait en permanence d’un agréable sourire. Ses
dents étaient singulièrement blanches et ses deux incisives
supérieures écartées, chose considérée au Soudan comme un
porte-bonheur. Il avait pris l’habitude de s’exprimer d’un
ton doux et extrêmement agréable ». Lorsque Alan Moorehead
décrivait dans Le Nil blanc le Mahdi, ce personnage
charismatique, il ne savait peut-être pas que ses
caractéristiques allaient se retrouver chez
l’arrière-petit-fils de cet homme qui symbolisait la lutte
contre l’occupation britannique. A ce portait aussi ancien,
il suffit juste d’ajouter une moustache et une barbe peu
poilues et parées de henné, et des pas rapides et
paradoxalement non stressés. On dirait que cette sérénité
qui couvre son regard et velouté sa voix s’est aussi emparée
de son corps. Lorsqu’avec sa djellaba blanche, sa tête
enturbannée, et à peine appuyée sur sa canne traditionnelle,
Al-Sadeq Al-Mahdi déambule les larges couloirs du splendide
Ritz Carlton à Doha, les haussements de tête, les
compliments et les glorifications ne cessent de l’envelopper
comme s’il était au rendez-vous des Ansar à Oum Dourman.
Populaire ? Il le sait. Au Soudan comme à l’étranger. « Même
dans les pays arabes où les régimes ont souvent peur
d’accueillir les opposants de leurs confrères ». Un respect
qu’il a imposé à tout le monde, même à ses ennemis les plus
farouches et en dépit des perpétuelles tentatives «
d’assassinat de ma personnalité ». C’est pourquoi dit-il : «
Tous ceux qui sont arrivés au pouvoir au Soudan, même par la
force, me proposèrent de le partager avec eux ». Le poids de
la famille l’exige, les expériences politiques aussi. Une
sorte d’immunité fragile, surtout dans un pays « basé sur la
non-loi », mais qui reste un luxe qu’il ne pouvait pas se
permettre par le passé. Les différents régimes soudanais ne
lui ont jamais épargné ni arrestations, ni procès, ni
confiscation de richesses et pourquoi pas … « menace de mort
». Le président Noumeiry l’accuse d’être « islamiste » et
son successeur Al-Béchir l’accuse d’être « laïc ». Mais le
petit Mahdi, ou Al-Sadeg, comme il plaît aux Soudanais de
l’appeler, se souvient de ce jour-là, lorsqu’il sentait
cette « menace » plus proche que jamais, après les «
arrestations des mille et une nuits ». Sa référence est
1989. Un nouveau coup d’Etat marque le pays des deux Nil.
Omar Al-Béchir prend le pouvoir, soutenu par Hassan Al-Tourabi,
l’idéologue influent du Front national islamique. Pendant
plusieurs années, Sadeq Al-Mahdi, qui était élu premier
ministre, au terme d’élections libres, est arrêté, puis
relâché et assigné à résidence, puis une nouvelle fois
relâché, mais sous surveillance.
Quelques années plus tard : décembre 1996. La situation se
compliquait dans le pays, le régime avait fermé toutes les
portes des libertés et du travail politique et Mahdi voulait
le renverser. A Khartoum, on le savait bien. « Des forces
encerclaient ma maison et m’escortaient à chaque pas. Mais
j’étais décidé. Je quitterai le pays pour organiser les
rangs de l’opposition en exil ». Un de ses quatre fils, « le
militaire », dirige l’opération Yahtadoun, une opération qui
a percé les mailles du filet sécuritaire. Son regard
s’égare, ses mains tremblent et il raconte : « C’était
étrange, on préparait le mariage de ma fille Rabah et le
plan était que je quitterai le pays quelques jours après la
fête … Mais un décès a eu lieu dans la famille. Du coup, le
mariage a été reporté et paradoxalement, la nouvelle date
tombait le jour même de mon départ ». Pas question de
changer de plans, tout était prêt pour franchir la frontière
en direction de l’Erythrée, « Dieu l’a voulu ». Mahdi
abandonne sa Land Rover, prend une autre bagnole et quitte
la maison au su de ses gardiens qui, « je ne comprends pas
comment, ne m’ont pas aperçu partir ». Est-ce la baraka du
grand-père ? Mahdi n’a pas de réponse claire, mais dix ans
auparavant, il était parvenu aussi à fuir alors que les
forces de l’ordre encerclaient son domicile à Wedd Nebawi,
dans le nord d’Oum Dourman. « Cela aussi, je ne l’ai jamais
compris. Je suis sorti de la maison et j’ai marché environ
100 mètres devant eux avant de me cacher dans une ruelle.
J’étais presque invisible pour eux ». Il pousse d’un doigt
son turban et gratte un crâne chauve et... sourit. Ce qu’il
n’aurait pas osé faire à l’époque. La peur ? Il prend un
long souffle. On est humain, en fin de compte. « On oscille
entre différents tempéraments. J’avais peur que tout cela me
fatigue trop. Mais à chaque fois qu’un répit ou une trêve
avec la confrontation me tente, je me dis que je préfère
subir le sort de mon père, de mon oncle et de mon grand-père
». Tous les trois ont passé leur vie dans cette lutte pour
la liberté du Soudan. « Trop de souffrance en raison de la
politique ».
Al-Sadeq, lui, voulait rester loin des arènes de cette
politique qui tue. C’était un gosse têtu, agité. « Je
voulais faire des études d’économie et d’agronomie ». Il
abandonne l’université à un certain moment en signe de
protestation contre le système éducatif qui « isolait les
étudiants de leur identité arabe et musulmane ». Finalement,
il étudie les sciences à Khartoum et plus tard l’économie à
Oxford. Mais la politique le guettait comme son ombre. Son
père, qui n’était pas encore l’imam des Ansar, s’oppose
virulement au régime militaire de Abboud. « Je me suis
retrouvé à ses côtés » et c’est à ce moment-là que commence
l’histoire d’une perpétuelle vie à risque. « Je suis un
homme peut-être pas très rebelle, mais un homme qui prend
toujours des risques et en assume les conséquences ». Et
depuis, rien ni personne ne peut le dissuader, le risque
devient un ressort de son caractère, c’est peut-être le
point de départ, mais aussi le point d’arrivée de son
parcours. A 71 ans, il a toujours l’enthousiasme d’un jeune
homme. Il partage les rêves de ses petits-fils, parle d’un «
régime démocratique, d’une paix qui englobe le pays » qui
jadis était l’un des plus riches du continent noir.
Lorsqu’il avait décidé de rebrousser chemin et d’abandonner
l’exil, il croyait aux promesses d’Al-Béchir. « Je pensais
qu’il allait rectifier les erreurs du coup d’Etat et qu’il
avait désormais une vue stratégique ». La stratégie s’est
avérée plus tard une simple tactique, un moyen de combler la
fissure suite au différend du président soudanais avec
Tourabi, qui n’est en effet que le beau-frère de Mahdi. « Un
calmant, pas plus ». Aujourd’hui, il croit que la solution
passerait par le départ de l’actuel régime. Un départ
pacifique, pourtant, car le Soudan « est plein de
contradictions, de religions, d’ethnies, de cultures et
d’armes. La violence le pousserait à davantage de déchirure
», croit-il.
La déchirure pourrait-elle être encore plus profonde ? Après
le sud et le Darfour, y a-t-il pire ? Déjà cette situation
n’est-elle pas inquiétante ? « Ce sont les maux de
dentition. Le Soudan, comme les autres pays de la région,
vivait une stabilité maladive, une stabilité mortelle.
Aujourd’hui, les anciens problèmes remontent à la surface.
Les douleurs d’accouchement, mais non pas à la façon naïve
de Condoleezza Rice ». Il croit à l’impossible. C’est
pourquoi se déplace-t-il d’un pays à l’autre, d’une
conférence à l’autre. Il prend l’avion au moins deux fois
par mois. A bord, comme partout d’ailleurs, il ne cesse de
lire ni d’écrire. Là où il se trouve, il y a un livre ou des
dossiers qui traînent. C’est sa manière de penser à
l’avenir. C’est pourquoi il ne regrette pas ses huit ans et
demi en prison. « J’en suis fier. C’est la période la plus
florissante de ma vie qui m’a permis de découvrir un nouvel
ami ». Si ses amis avec qui il jouait au tennis et au polo
n’étaient plus accessibles, en taule, il en forme des
milliers d’autres. Il dévore 3 000 livres et depuis devient
un obsédé de la lecture, pense autrement et remodèle ses
idées. Des idées aussi bien que son combat politique mettent
sa vie en risque. Des idées avant-gardistes d’un philosophe
sur un « islam éclairé », qui ne plaisent « ni à la droite
ni à la gauche ». Les radicaux les trouvent libérales et les
laïcs les trouvent radicales. L’équation n’est-elle pas
difficile comme celle de son pays ? .
Samar
Al-Gamal