Al-Ahram Hebdo,Société | Le miroir aux alouettes
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 14 au 20 mars 2007, numéro 653

 

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Société

Femmes. Les Egyptiennes ont décroché plusieurs acquis ces 10 dernières années avec des réformes notoires du statut de la famille. Mais l’évolution tarde à se faire sentir sur le terrain. Etat des lieux à l’occasion de la Journée égyptienne de la femme, le 16 mars.

Le miroir aux alouettes

Voyage sans autorisation du mari, nouvel acte de mariage permettant à la femme d’exiger plus de droits concernant sa vie conjugale, réforme du statut personnel, y compris l’application de la loi sur le kholea autorisant la femme à divorcer en échange de la remise de sa dot, création d’un tribunal de la famille spécialisé dans les procès du statut personnel, attribution de la nationalité aux enfants de mère égyptienne et de père étranger, nomination de femmes juges au sein du tribunal de la famille et au Parquet ... Autant d’acquis dont la femme égyptienne s’est prévalue ces dix dernières années et auxquels elle avait tant aspiré.

La promulgation de telles lois aurait dû faire évoluer la situation de la femme égyptienne. Ce qui, a posteriori, n’a pas été le cas. L’expérience sur le terrain révèle qu’il existe des tas de lacunes, même si les réformes paraissent multiples. A chaque fois, ces droits se heurtent à une société conservatrice qui fait tout pour priver la femme de ses acquis. « Des acquis sur papier, des réformes purement théoriques », c’est ainsi que Fardos Al-Bahnassi, militante pour les droits de la femme, qualifie la situation actuelle.

Pour preuve, les histoires de femmes étourdies dans les méandres des tribunaux ou celles qui sollicitent l’assistance des ONG se font de plus en plus nombreuses. En mars 2000, lorsque la Cour suprême constitutionnelle avait enfin décrété la loi sur le kholea, tout le monde y a vu une aubaine émancipatrice. Aujourd’hui, il faut considérer l’épreuve que traverse la femme intentant un procès de kholea pour savoir que tous ces rêves sont non fondés. Car pour qu’elle puisse bénéficier de la loi sur le kholea, il faut qu’elle connaisse les règles du jeu. En effet, il existe toute une tactique pour s’adresser aux juges. Si la femme n’en est pas consciente, elle en sortira perdante.

Tout d’abord, il lui faut un avocat très compétent qui sache plaider sa cause. « Le seul motif efficace pour obtenir le kholea est de dire qu’elle ne supporte plus la vie avec son mari et qu’elle le déteste. Si elle tombe dans le piège d’avancer un autre motif pour sa demande de séparation, le procès se transforme en une procédure ordinaire de divorce. Ce qui signifie au moins 5 ans de déboires devant les tribunaux », explique Bahiga Jahine, avocate. Si l’avocat ne dicte pas à la femme ce qu’elle doit dire, celle-ci risque d’avancer d’autres raisons telles que : il m’insulte, il me bat, il me trompe, il est avare, il est jaloux ... Une série de plaintes très communes dans les foyers égyptiens et qui malheureusement ne permettent pas à la femme d’obtenir sa liberté. D’où la nécessité de choisir un avocat expert en la matière. Et pour pouvoir le désigner, la femme doit avoir les moyens de payer les honoraires exorbitants de son « savoir-faire ».

Autre obstacle juridique : pour que le tribunal prononce un jugement en faveur de la femme, il faut qu’il demande à sa famille d’assister à une séance d’arbitrage. Si les parents ou les frères de cette femme sont absents ce jour-là, un conseil d’arbitrage dépendant d’Al-Azhar assumera la tâche. Dans ce cas, la femme se retrouvera devant un panel d’arbitres, tous de sexe masculin qui feront de leur mieux pour la convaincre de renoncer à sa demande de kholea. « Dans la plupart des cas, les proches refusent d’assister à cette séance. C’est une façon de faire pression sur la femme pour qu’elle renonce au divorce. Pour eux, mieux vaut supporter la vie avec son mari qu’elle déteste plutôt que de porter l’étiquette de femme divorcée », commente Amal Abdel-Hadi, activiste dans l’Association de la femme nouvelle.

Elle cite l’exemple d’une femme originaire d’Assiout qui a dû verser 60 000 L.E. pour obtenir le kholea. « Le juge a considéré le fait qu’une femme soit prête à restituer la dot à son mari pour obtenir sa liberté comme une atteinte à la dignité masculine. Dans cette région d’Egypte où les mœurs sont pesantes, le machisme du juge a pris le dessus. Il a multiplié la dot par 10. Une manière de lui mettre des bâtons dans les roues. Mais la dame, bien déterminée et issue d’une famille aisée, a décidé de payer pour mettre fin à son calvaire », commente Abdel-Hadi.

Des mentalités de plus en plus rigoureuses

Procédures trop compliquées, mécanismes juridiques déficients, frais exorbitants, autant d’obstacles auxquels la femme doit faire face pour arriver à son but. En effet, toutes les apparences laissent croire que les lois sont en sa faveur, mais la réalité est tout autre. Même si les lois sont de moins en moins discriminatoires, les mentalités, elles, sont de plus en plus rigoureuses. L’expérience sur le terrain révèle un profond attachement au passé.

L’octroi de la nationalité aux enfants de mère égyptienne et de père étranger est une question qui touche plus de 400 000 enfants. Lorsque l’Etat a annoncé la promulgation de la loi qui leur donne droit à la nationalité, la communauté internationale avait félicité l’Egypte pour cet exploit. Mais, les femmes et les enfants touchés par ce problème ont une autre vision des choses. « Seuls les enfants nés après la promulgation de la loi ont droit à cette nationalité. Ceux qui sont nés avant doivent présenter un tas de documents difficiles à se procurer et verser une somme de 1 200 L.E. par enfant », précise Imane Bibars, présidente de l’Association de l’émancipation et du développement de la femme.

Un problème qui peut paraître minime, mais qui devient accablant pour les femmes issues de la classe défavorisée. Mariées à des hommes riches du Golfe, leurs époux ne tardent pas à les répudier et les abandonner avec leurs enfants en Egypte. « Si la femme a trois ou quatre enfants, elle ne pourra pas assumer les frais de cette demande de nationalité », explique Beibars. La promulgation de la loi sur la nationalité a, de plus, exclu les enfants nés de mère égyptienne et de père palestinien. Ce qui a privé une large catégorie de femmes de ce droit incomplet.

Ce fossé énorme entre la loi et la pratique a sa justification. Pour les défenseurs des droits de la femme, la promulgation des lois en faveur du sexe « faible » est souvent le résultat de pressions étrangères. Voulant donner une image ouverte et moderne du pays, les faiseurs de lois font des réformes sur mesure tout en gardant les lacunes qui entravent leur application. La preuve : ces réformes ont souvent lieu avant la participation de l’Egypte à une conférence mondiale sur la femme ou avant la signature d’une convention liée aux droits de la femme.

« Nous avons à maintes reprises soulevé la question de la nationalité. Il ne faut pas minimiser les efforts des ONG, ceux de Mona Zoulfoqar, avocate, qui a profité de son poste au Conseil national de la femme et de ses liens étroits avec Fathi Naguib, président de la Cour suprême constitutionnelle à l’époque, pour faire avancer les choses. Or, l’Etat n’a décidé d’agir que lorsque les pressions internationales ont atteint leur apogée », explique Bahiga Jahine.

ONG peu influentes

Ces pressions internationales sont souvent la principale raison de n’importe quel acquis concernant la femme. Car, sur la scène locale, le rôle des ONG reste peu influent. C’est le constat de Fardos Al-Bahnassi. « Nous sommes présents sur le terrain, nous travaillons auprès des femmes. Mais notre voix n’a pas assez de poids sur les preneurs de décision ». Elle cite l’exemple des revendications faites par des ONG concernant la promulgation d’une loi interdisant l’excision. En vain. « La seule réaction a été celle de l’ex-ministre de la Santé ayant interdit la pratique de l’excision dans les hôpitaux publics. Mais, il a été flou en annonçant que l’excision peut être pratiquée en cas de nécessité, laissant ainsi la porte ouverte aux partisans de cette pratique. Nous faisons partie d’un show. Nous jouons le rôle de figurants et l’Etat fait ce qu’il veut », s’indigne Bahiga Jahine.

Une déception partagée par Imane Beibars, qui cite l’exemple des revendications des ONG pour consacrer un quota pour les femmes au sein du Parlement et qui ne semblent pas avoir un écho chez les responsables.

Mais au-delà de tout cela, la femme elle-même est à blâmer. Dans plusieurs cas, elle n’ose pas revendiquer ses droits par crainte du regard de la société. « Nous avons malheureusement constaté que très peu de femmes ont opté pour le nouvel acte de mariage. Ce contrat lui donne le droit d’imposer toutes ses conditions par rapport à son travail, donner le droit ou non à son mari de prendre une deuxième épouse, et le nombre d’enfants qu’elle souhaite avoir ... Elle préfère y renoncer pour ne pas gêner son futur époux », explique Amal Abdel-Hadi. Les maris, eux, n’acceptent pas ce contrat par crainte du regard de la société envers eux. « Que vont dire les gens si je la laisse dès le début dicter sa loi ? ».

Le jugement des autres, c’est le problème-clé. Le regard des autres a tellement d’influence dans notre société qu’il intimide les femmes qui désirent revendiquer leurs droits et pousse les hommes à ne pas céder.

Hind Al-Hinnawi est un cas qui révèle à quel point le regard de la société est pesant. « La femme qui a ébranlé le trône masculin », c’est ainsi qu’on l’a qualifiée. Issue d’une famille ouverte d’esprit, elle a brisé tous les tabous.

Cette jeune femme avait annoncé dans les médias qu’elle avait eu une relation avec le jeune acteur Ahmad Al-Fichawi et que la naissance de la petite Lina en a été le fruit. L’acteur, qui a tout fait pour nier sa paternité, a fini par avouer qu’il avait eu une relation sexuelle avec Hind. Le procès, qui a duré plus d’un an, se termine par un jugement historique : la confirmation de la parenté d’Al-Fichawi de la petite Lina grâce à l’analyse d’ADN exigée par le juge.

Pour Hind, la raison principale de cette victoire réside dans sa détermination. « La femme ne doit pas payer seule le prix d’une relation sexuelle. Je ne suis pas une victime comme on a tenté de me présenter. Je suis une femme mûre. J’étais choquée d’entendre Ahmad dire que Dieu lui pardonnerait. Même le pardon de Dieu est devenu le monopole du sexe fort », confie-t-elle à l’Hebdo.

Une audace peu commune dans une société conservatrice. Ceci explique pourquoi la jeune femme n’a pas eu un grand nombre de sympathisants même parmi les activistes des droits de la femme.

Peu importe la sympathie des autres, l’important pour Hind est d’avoir atteint son but et obtenu un jugement en sa faveur. Autre acquis aussi important : le nombre de procès intentés par d’autres femmes ayant vécu le même drame a sensiblement augmenté suite à ce procès. « Hind leur a ouvert le chemin. Son procès restera à jamais gravé dans l’Histoire. Il a fallu qu’une femme ose briser le tabou, mettant de côté le regard de la société pour que d’autres se débarrassent du tabou de la peur », conclut Amal Abdel-Hadi.

Amira Doss

 




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