Femmes.
Les Egyptiennes ont décroché plusieurs acquis ces 10
dernières années avec des réformes notoires du statut de la
famille. Mais l’évolution tarde à se faire sentir sur le
terrain. Etat des lieux à l’occasion de la Journée
égyptienne de la femme, le 16 mars.
Le
miroir aux alouettes
Voyage
sans autorisation du mari, nouvel acte de mariage permettant
à la femme d’exiger plus de droits concernant sa vie
conjugale, réforme du statut personnel, y compris
l’application de la loi sur le kholea autorisant la femme à
divorcer en échange de la remise de sa dot, création d’un
tribunal de la famille spécialisé dans les procès du statut
personnel, attribution de la nationalité aux enfants de mère
égyptienne et de père étranger, nomination de femmes juges
au sein du tribunal de la famille et au Parquet ... Autant
d’acquis dont la femme égyptienne s’est prévalue ces dix
dernières années et auxquels elle avait tant aspiré.
La promulgation de telles lois aurait dû faire évoluer la
situation de la femme égyptienne. Ce qui, a posteriori, n’a
pas été le cas. L’expérience sur le terrain révèle qu’il
existe des tas de lacunes, même si les réformes paraissent
multiples. A chaque fois, ces droits se heurtent à une
société conservatrice qui fait tout pour priver la femme de
ses acquis. « Des acquis sur papier, des réformes purement
théoriques », c’est ainsi que Fardos Al-Bahnassi, militante
pour les droits de la femme, qualifie la situation actuelle.
Pour preuve, les histoires de femmes étourdies dans les
méandres des tribunaux ou celles qui sollicitent
l’assistance des ONG se font de plus en plus nombreuses. En
mars 2000, lorsque la Cour suprême constitutionnelle avait
enfin décrété la loi sur le kholea, tout le monde y a vu une
aubaine émancipatrice. Aujourd’hui, il faut considérer
l’épreuve que traverse la femme intentant un procès de
kholea pour savoir que tous ces rêves sont non fondés. Car
pour qu’elle puisse bénéficier de la loi sur le kholea, il
faut qu’elle connaisse les règles du jeu. En effet, il
existe toute une tactique pour s’adresser aux juges. Si la
femme n’en est pas consciente, elle en sortira perdante.
Tout d’abord, il lui faut un avocat très compétent qui sache
plaider sa cause. « Le seul motif efficace pour obtenir le
kholea est de dire qu’elle ne supporte plus la vie avec son
mari et qu’elle le déteste. Si elle tombe dans le piège
d’avancer un autre motif pour sa demande de séparation, le
procès se transforme en une procédure ordinaire de divorce.
Ce qui signifie au moins 5 ans de déboires devant les
tribunaux », explique Bahiga Jahine, avocate. Si l’avocat ne
dicte pas à la femme ce qu’elle doit dire, celle-ci risque
d’avancer d’autres raisons telles que : il m’insulte, il me
bat, il me trompe, il est avare, il est jaloux ... Une série
de plaintes très communes dans les foyers égyptiens et qui
malheureusement ne permettent pas à la femme d’obtenir sa
liberté. D’où la nécessité de choisir un avocat expert en la
matière. Et pour pouvoir le désigner, la femme doit avoir
les moyens de payer les honoraires exorbitants de son «
savoir-faire ».
Autre
obstacle juridique : pour que le tribunal prononce un
jugement en faveur de la femme, il faut qu’il demande à sa
famille d’assister à une séance d’arbitrage. Si les parents
ou les frères de cette femme sont absents ce jour-là, un
conseil d’arbitrage dépendant d’Al-Azhar assumera la tâche.
Dans ce cas, la femme se retrouvera devant un panel
d’arbitres, tous de sexe masculin qui feront de leur mieux
pour la convaincre de renoncer à sa demande de kholea. «
Dans la plupart des cas, les proches refusent d’assister à
cette séance. C’est une façon de faire pression sur la femme
pour qu’elle renonce au divorce. Pour eux, mieux vaut
supporter la vie avec son mari qu’elle déteste plutôt que de
porter l’étiquette de femme divorcée », commente Amal
Abdel-Hadi, activiste dans l’Association de la femme
nouvelle.
Elle cite l’exemple d’une femme originaire d’Assiout qui a
dû verser 60 000 L.E. pour obtenir le kholea. « Le juge a
considéré le fait qu’une femme soit prête à restituer la dot
à son mari pour obtenir sa liberté comme une atteinte à la
dignité masculine. Dans cette région d’Egypte où les mœurs
sont pesantes, le machisme du juge a pris le dessus. Il a
multiplié la dot par 10. Une manière de lui mettre des
bâtons dans les roues. Mais la dame, bien déterminée et
issue d’une famille aisée, a décidé de payer pour mettre fin
à son calvaire », commente Abdel-Hadi.
Des mentalités de plus en plus rigoureuses
Procédures trop compliquées, mécanismes juridiques
déficients, frais exorbitants, autant d’obstacles auxquels
la femme doit faire face pour arriver à son but. En effet,
toutes les apparences laissent croire que les lois sont en
sa faveur, mais la réalité est tout autre. Même si les lois
sont de moins en moins discriminatoires, les mentalités,
elles, sont de plus en plus rigoureuses. L’expérience sur le
terrain révèle un profond attachement au passé.
L’octroi de la nationalité aux enfants de mère égyptienne et
de père étranger est une question qui touche plus de 400 000
enfants. Lorsque l’Etat a annoncé la promulgation de la loi
qui leur donne droit à la nationalité, la communauté
internationale avait félicité l’Egypte pour cet exploit.
Mais, les femmes et les enfants touchés par ce problème ont
une autre vision des choses. « Seuls les enfants nés après
la promulgation de la loi ont droit à cette nationalité.
Ceux qui sont nés avant doivent présenter un tas de
documents difficiles à se procurer et verser une somme de 1
200 L.E. par enfant », précise Imane Bibars, présidente de
l’Association de l’émancipation et du développement de la
femme.
Un problème qui peut paraître minime, mais qui devient
accablant pour les femmes issues de la classe défavorisée.
Mariées à des hommes riches du Golfe, leurs époux ne tardent
pas à les répudier et les abandonner avec leurs enfants en
Egypte. « Si la femme a trois ou quatre enfants, elle ne
pourra pas assumer les frais de cette demande de nationalité
», explique Beibars. La promulgation de la loi sur la
nationalité a, de plus, exclu les enfants nés de mère
égyptienne et de père palestinien. Ce qui a privé une large
catégorie de femmes de ce droit incomplet.
Ce fossé énorme entre la loi et la pratique a sa
justification. Pour les défenseurs des droits de la femme,
la promulgation des lois en faveur du sexe « faible » est
souvent le résultat de pressions étrangères. Voulant donner
une image ouverte et moderne du pays, les faiseurs de lois
font des réformes sur mesure tout en gardant les lacunes qui
entravent leur application. La preuve : ces réformes ont
souvent lieu avant la participation de l’Egypte à une
conférence mondiale sur la femme ou avant la signature d’une
convention liée aux droits de la femme.
« Nous avons à maintes reprises soulevé la question de la
nationalité. Il ne faut pas minimiser les efforts des ONG,
ceux de Mona Zoulfoqar, avocate, qui a profité de son poste
au Conseil national de la femme et de ses liens étroits avec
Fathi Naguib, président de la Cour suprême constitutionnelle
à l’époque, pour faire avancer les choses. Or, l’Etat n’a
décidé d’agir que lorsque les pressions internationales ont
atteint leur apogée », explique Bahiga Jahine.
ONG peu influentes
Ces pressions internationales sont souvent la principale
raison de n’importe quel acquis concernant la femme. Car,
sur la scène locale, le rôle des ONG reste peu influent.
C’est le constat de Fardos Al-Bahnassi. « Nous sommes
présents sur le terrain, nous travaillons auprès des femmes.
Mais notre voix n’a pas assez de poids sur les preneurs de
décision ». Elle cite l’exemple des revendications faites
par des ONG concernant la promulgation d’une loi interdisant
l’excision. En vain. « La seule réaction a été celle de
l’ex-ministre de la Santé ayant interdit la pratique de
l’excision dans les hôpitaux publics. Mais, il a été flou en
annonçant que l’excision peut être pratiquée en cas de
nécessité, laissant ainsi la porte ouverte aux partisans de
cette pratique. Nous faisons partie d’un show. Nous jouons
le rôle de figurants et l’Etat fait ce qu’il veut »,
s’indigne Bahiga Jahine.
Une déception partagée par Imane Beibars, qui cite l’exemple
des revendications des ONG pour consacrer un quota pour les
femmes au sein du Parlement et qui ne semblent pas avoir un
écho chez les responsables.
Mais au-delà de tout cela, la femme elle-même est à blâmer.
Dans plusieurs cas, elle n’ose pas revendiquer ses droits
par crainte du regard de la société. « Nous avons
malheureusement constaté que très peu de femmes ont opté
pour le nouvel acte de mariage. Ce contrat lui donne le
droit d’imposer toutes ses conditions par rapport à son
travail, donner le droit ou non à son mari de prendre une
deuxième épouse, et le nombre d’enfants qu’elle souhaite
avoir ... Elle préfère y renoncer pour ne pas gêner son
futur époux », explique Amal Abdel-Hadi. Les maris, eux,
n’acceptent pas ce contrat par crainte du regard de la
société envers eux. « Que vont dire les gens si je la laisse
dès le début dicter sa loi ? ».
Le jugement des autres, c’est le problème-clé. Le regard des
autres a tellement d’influence dans notre société qu’il
intimide les femmes qui désirent revendiquer leurs droits et
pousse les hommes à ne pas céder.
Hind Al-Hinnawi est un cas qui révèle à quel point le regard
de la société est pesant. « La femme qui a ébranlé le trône
masculin », c’est ainsi qu’on l’a qualifiée. Issue d’une
famille ouverte d’esprit, elle a brisé tous les tabous.
Cette jeune femme avait annoncé dans les médias qu’elle
avait eu une relation avec le jeune acteur Ahmad Al-Fichawi
et que la naissance de la petite Lina en a été le fruit.
L’acteur, qui a tout fait pour nier sa paternité, a fini par
avouer qu’il avait eu une relation sexuelle avec Hind. Le
procès, qui a duré plus d’un an, se termine par un jugement
historique : la confirmation de la parenté d’Al-Fichawi de
la petite Lina grâce à l’analyse d’ADN exigée par le juge.
Pour Hind, la raison principale de cette victoire réside
dans sa détermination. « La femme ne doit pas payer seule le
prix d’une relation sexuelle. Je ne suis pas une victime
comme on a tenté de me présenter. Je suis une femme mûre.
J’étais choquée d’entendre Ahmad dire que Dieu lui
pardonnerait. Même le pardon de Dieu est devenu le monopole
du sexe fort », confie-t-elle à l’Hebdo.
Une audace peu commune dans une société conservatrice. Ceci
explique pourquoi la jeune femme n’a pas eu un grand nombre
de sympathisants même parmi les activistes des droits de la
femme.
Peu importe la sympathie des autres, l’important pour Hind
est d’avoir atteint son but et obtenu un jugement en sa
faveur. Autre acquis aussi important : le nombre de procès
intentés par d’autres femmes ayant vécu le même drame a
sensiblement augmenté suite à ce procès. « Hind leur a
ouvert le chemin. Son procès restera à jamais gravé dans
l’Histoire. Il a fallu qu’une femme ose briser le tabou,
mettant de côté le regard de la société pour que d’autres se
débarrassent du tabou de la peur », conclut Amal Abdel-Hadi.
Amira
Doss