Marché noir
Les bergers iraqiens sont de plus en plus nombreux à
risquer leur vie pour ramener à dos d’âne leur précieuse
récolte : des mines, obus et autres armes encore
éparpillées dans tout le nord-est du pays, à la
frontière iranienne, près de vingt ans après la guerre
Iraq-Iran de 1980-88. Les pasteurs désargentés
s’aventurent dans les champs de mines pour récupérer les
explosifs et les revendre à l’insurrection, qui se bat
depuis maintenant quatre ans contre les forces de la
coalition dirigée par les Etats-Unis.
Signe de cette activité, en novembre dernier, les
troupes américaines ont intercepté, errant sur un
chemin, six ânes qui transportaient 53 mines antichars
et une roquette, près de Khanaqin, à moins de 10 km de
la frontière iranienne. Les mines de fabrication
soviétique et italienne étaient les mêmes que celles
qu’utilisaient les troupes de Saddam Hussein pendant la
guerre Iran-Iraq. La Campagne internationale pour
l’interdiction des mines antipersonnel estime que
l’ancien président iraqien avait fait enfouir 12 à 16
millions de mines le long des 1 400 km de frontière avec
l’Iran. Moins de 10 000 ont été éliminées lors du
programme de déminage mené par les Nations-Unies de 1998
à 2002, et en 2001, la Croix-Rouge faisait état d’une
trentaine d’Iraqiens blessés chaque mois par ces engins
dans l’est du pays.
Actuellement, la plupart de l’arsenal des extrémistes
sunnites et chiites iraqiens provient du pillage des
stocks militaires après la chute de Saddam Hussein en
avril 2003, mais environ 30 % de l’armement de
l’insurrection saisi dans la province frontalière de
Diyala date de la guerre de 1980-88, à en croire le
major Suzanne MacDonald, officier américain des
renseignements. Il s’agit de mines mais aussi d’armes
cachées par l’armée iraqienne, confirme le général Nazim
Sharif Muhamed, ancien rebelle kurde aujourd’hui à la
tête du service iraqien de contrôle de la frontière à
Khanaqin.
Et les paysans de la région, qui travaillent cette terre
depuis des générations, sont les mieux placés pour
trouver ces munitions. D’après l’Organisation
humanitaire Human Rights Watch, près de 150 000
familles, soit environ 900 000 personnes, vivent près de
champs de mines. « La plupart des gens ici ne croient
pas à un succès du gouvernement iraqien. Moins ils sont
optimistes pour l’avenir, plus ils pensent d’abord à
eux, leur clan ou leur village », explique le major
MacDonald. Et dans un pays où le chômage frappe par
endroits plus de 60 % de la population active, même des
Iraqiens sans rôle direct dans l’insurrection se
rabattent sur le marché noir de l’armement pour
survivre.