Mervat Al-Télawy,
secrétaire générale de la Commission économique et sociale
de l’Asie occidentale (ESCWA) de l’Onu et siégeant à
Beyrouth s’exprime sur la stratégie adoptée pour encourager
les pays membres à adopter des réformes politiques,
économiques et sociales.
« Le chômage dans le monde arabe est une bombe à
retardement »
Al-ahram hebdo : Quelles sont les fonctions et les priorités
de l’ESCWA ?
Mervat Al-Talawi : Notre but principal but est de favoriser
la coopération entre les pays arabes afin d’arriver à une
complémentarité régionale, en soutenant les accords visant à
établir des politiques communes dans certains domaines comme
ceux des réseaux routiers, des chemins de fer et des
transports maritimes. On œuvre également à la mise en commun
de bases de données et de leur traitement, ce qui est
important notamment pour les informations relatives aux
domaines de l’eau et de l’énergie. Plus important encore,
nous nous intéressons aux politiques sociales qui, elles,
définissent la relation entre l’individu et l’Etat. Ce sera
d’ailleurs le thème d’une conférence qui sera organisée au
Caire par le ministère de la Solidarité sociale cette
semaine.
— Pourquoi cet accent mis sur la politique sociale ?
— Toutes les critiques adressées aux pays arabes concernent
avant tout l’environnement social, par exemple le problème
des enfants de la rue, la violence contre les femmes, les
droits de l’homme et la démocratie. A mon avis, tout cela
s’explique par l’absence d’une politique sociale.
— A votre avis, pourquoi les pays arabes n’entreprennent-ils
pas des politiques sociales rigoureuses ?
— Au Parlement, on adopte beaucoup de législations
économiques, mais aucune ne touche à la société. A mon avis,
les pays arabes confondent les politiques sociales comme la
lutte contre la discrimination raciale, la tolérance
religieuse, etc. avec les services sociaux comme
l’éducation, l’habitation et la santé. Même les valeurs
sociales qui sont déjà mentionnées dans la Constitution ne
sont pas respectées. Par exemple, la Constitution exige de
l’Etat qu’il aide la femme à réaliser un équilibre entre sa
vie familiale et professionnelle. Or il n’en est rien.
— Quelles sont d’après vous les conséquences de l’absence de
politique sociale ?
— Les conséquences ne sont pas à envier. L’absence de
politique sociale crée un vide dans la société et ce vide
est souvent rempli par des formations non reconnues comme
les Frères musulmans en Egypte. N’importe quel extrémiste
peut ainsi tout simplement créer un Etat dans l’Etat. Les
extrémistes peuvent se servir des mosquées comme tribunes et
offrir des services, voire de l’argent, aux citoyens qui
sont dans le besoin, et petit à petit ils arrivent à se
poser comme une autorité alternative. Cela leur donne un
pouvoir sur les masses qu’ils endoctrinent.
— Comment jugez-vous la situation des droits de l’homme dans
le monde arabe ?
— Je vais prendre l’exemple de l’Egypte. En 1997, quand
j’étais ministre des Affaires sociales, parler des droits de
l’homme était un tabou. Aujourd’hui, nous avons en Egypte un
Conseil national pour les droits de l’homme. L’Egypte est
signataire de 7 accords internationaux sur les droits de
l’homme. Il est vrai que ce conseil fait ses premiers pas et
il lui faudra quelque temps pour s’affermir mais sa création
en elle-même est quelque chose de positif. Il y a eu un pas
en avant. Bien sûr, le chemin est encore long mais le plus
important est de commencer et nous l’avons fait.
— Quel est, selon vous, le problème social le plus grave en
Egypte ?
— Nos problèmes sociaux sont multiples, mais, à mon avis, le
problème le plus grave est celui du déséquilibre dans la
répartition des richesses. Il y a des gens trop riches et
d’autres trop pauvres. Le fossé entre les classes sociales
peut mettre en péril notre système économique tout entier.
En plus, l’Etat doit trouver des solutions rapides au
problème du chômage dont souffre les jeunes. A dire vrai, le
chômage dans le monde arabe représente une bombe à
retardement. Selon les statistiques les plus récentes, la
région arabe est la plus touchée dans le monde par le
chômage des jeunes.
— Quels sont les efforts déployés par l’ESCWA dans le
domaine du développement durable ?
— Depuis l’an 2000, l’ESCWA soutient des efforts déployés
par les pays membres pour réaliser le développement durable
en accordant la priorités aux secteurs de l’eau et de
l’énergie. Le but principal de l’ESCWA dans le domaine de
l’énergie est de renforcer le rôle de ce secteur pour
réaliser le développement durable. Ceci est réalisable à
travers la promotion des énergies renouvelables, comme
l’énergie solaire et celle éolienne par exemple. De plus,
nous avons fait des études sur les émissions de gaz à effet
de serre dans le secteur de l’électricité et dans celui des
transports. Nous avons également tenu des ateliers de
travail dans ce domaine. En outre, nous avons exécuté un
projet-pilote au Qatar, qui vise à améliorer l’usage de
l’énergie électrique dans les différents secteurs.
— En 2002, vous avez fondé un partenariat avec la Ligue
arabe et le Programme des Nations-Unies pour l’Environnement
(PNUE). Qu’en est-il de ce partenariat ?
— Nous avons créé un secrétariat pour suivre les questions
se rapportant au développement durable dans les pays de la
région. Le but de ce secrétariat est de préparer les pays
arabes à participer aux forums internationaux et par exemple
aux réunions de la Commission des Nations-Unies pour le
développement durable. Il appelle à renforcer la coopération
entre les pays arabes et les organisations régionales et
encourage les projets de complémentarité régionale dans le
domaine de l’énergie, surtout en ce qui concerne les réseaux
électriques et les réseaux de gaz naturel.
Propos recueillis à Abou-Dhabi
par Dalia Abdel-Salam