Le secrétaire général de la Ligue des
Etats arabes, Amr Moussa évalue l’action arabe commune ainsi que la politique
américaine au Proche-Orient. L’occasion également de faire le point sur sa
médiation dans la crise du Liban.
« Les pays arabes ont commis des
erreurs de priorités »
Al-ahram hebdo : Lors du Forum
Etats-Unis-monde islamique, tenu vendredi et samedi derniers à Doha (Qatar),
vous avez proféré des critiques virulentes contre la politique des Etats-Unis
au Proche-Orient. Est-ce une façon de formuler un constat d’échec ?
Amr Moussa : Mes critiques étaient plutôt dirigées contre les idées des néoconservateurs
qui ont déformé la politique américaine. Les Etats-Unis ont opté pour les
intimidations et les menaces à la place de la coopération, faisant du monde
islamique l’ennemi visé et dirigeant leur combat sous plusieurs titres, comme
le conflit des civilisations ou la guerre contre le terrorisme ou le conflit
entre les modérés et les extrémistes. Comment peut-on accepter une politique
constamment alignée sur celle d’Israël ? Nous ne pourrons pas accepter une
politique américaine soutenant Israël et son occupation des territoires arabes,
ou cette position américaine contradictoire vis-à-vis des programmes nucléaires
israélien et iranien. Un programme militaire sur lequel ils restent muets alors
qu’ils ne cessent de s’opposer à l’autre. C’est pourquoi j’appelle les
Américains à revoir leur politique au Proche-Orient.
— Croyez-vous que les Etats-Unis sont
prêts à procéder à un réexamen de leur politique au Proche-Orient ? Ne
cessent-ils pas plutôt de renvoyer la balle dans le camp des Arabes en leur
disant que c’est à vous de faire le choix ?
— Nous
avons certainement notre part de responsabilité. Les pays arabes ont commis des
erreurs dans le choix de leurs priorités et ont beaucoup tardé à rejoindre la
voie du développement. Mais nous avons précisé clairement ce que nous voulons.
Nous réclamons un règlement du conflit israélo-arabe et un Etat palestinien
indépendant.
— Vous appelez à la tenue d’une
conférence internationale de paix, alors que les Américains croient que le
moment n’est pas encore propice à une telle rencontre. En même temps, le
Quartette international sur le Proche-Orient (Etats-Unis, Union européenne,
Russie, Nations-Unies) semble bloqué. Que faire ?
— Le
Quartette sur le Proche-Orient n’a absolument rien fait. Son travail était
stérile, surtout au moment où il devait intervenir. Dans une situation comme
celle qui se déroule à Jérusalem (fouilles israéliennes près de la mosquée
d’Al-Aqsa), ce groupe international devait se prononcer et afficher sa
position, mais cela n’a pas eu lieu. Le Quartette n’a pris non plus aucune
mesure en faveur d’une reprise des négociations de paix israélo-palestiniennes.
Il est resté également inactif face à la construction des colonies juives dans
les territoires palestiniens. Une lueur d’espoir existe cependant. Nous suivons
de près l’action de la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, pour
relancer le processus de paix israélo-palestinien.
— Pensez-vous que le regain d’activité
américaine peut vraiment relancer le processus de paix entre Palestiniens et
Israéliens ?
— Nous
la suivons de près pour voir si cette défaillance de la politique américaine
est sur le point d’être réglée ou si nous allons encore nous retrouver dans ce
cercle vicieux au bout duquel on se rend compte que le temps est passé et que
rien n’a été fait.
— La médiation que vous menez au nom de
la Ligue des Etats arabes au Liban semble marquer le pas en raison des
divergences persistantes entre la majorité et l’opposition. Avez-vous
enregistré un quelconque progrès dans votre mission en vue de rapprocher les
positions des différents protagonistes ?
— Dans
une affaire comme celle des négociations entre le gouvernement et l’opposition
au Liban, il est dangereux de les publier dans la presse car chaque détail a un
poids et un rôle. Il est conseillé, dans ce genre de situation aussi sensible,
que les négociations ne soient pas menées au niveau des médias. Pour l’instant,
elles doivent être gérées politiquement.
— Mais qu’est-ce qui a changé depuis
votre dernière visite à Beyrouth et aujourd’hui ?
— Il
n’y a pas eu de grands changements. Ce qui a été proposé avant était une sorte
d’enveloppe, une offre globale traitant de tous les aspects de la crise. Nous
nous étions mis d’accord sur certains éléments de propositions. Il y a eu plus
tard une certaine escalade, et la tension est montée affectant l’ambiance
générale du dialogue. Mais je crois qu’il est indispensable de retourner au
stade des propositions pour une solution au Liban, conformément à une formule
qui consiste à dire que dans cette affaire, il ne doit y avoir ni perdant, ni
gagnant. On ne pourra atteindre aucun accord, on ne pourra avancer sur la voie
de la stabilité au Liban que si l’on respecte la formule de «
vainqueur-vainqueur ». C’est-à-dire que l’on doit parvenir à une situation dans
laquelle tout le monde se sent gagnant.
— Avez-vous au moins reçu des signes
encourageants des différentes parties libanaises ?
— Il y
a des signes positifs, mais il y en a aussi des négatifs. Ceux-ci touchent
plutôt à l’atmosphère générale et non aux détails d’un accord entre les
parties. Ces signes à la fois positifs et négatifs reflètent, en effet, cette
contradiction qui caractérise le Liban.
— Certains observateurs, même au Liban,
craignent que la crise ne tourne en un conflit entre sunnites et chiites, un
retour en quelque sorte à la guerre civile ...
—
J’espère et je travaille intensément pour faire en sorte qu’un tel scénario ne
se reproduise pas. Je crois que les Libanais dans leur ensemble sont très
inquiets de la possibilité d’un retour à la guerre civile. Personnellement, je
ne crois pas que les Libanais sont sur le point de faire ce retour en arrière,
mais le risque est toujours là.
— La Syrie a un rôle important à jouer
dans ce contexte. Avez-vous enregistré des avancées avec Damas ?
— Je
viens d’effectuer une visite en Syrie. Les contacts se poursuivent. Et les
Syriens sont certainement inquiets de la situation au Liban. Je ne préfère pas
m’attaquer aux détails à cette phase précise, mais les discussions avec les
dirigeants syriens étaient très positives et toujours dans le cadre de ce que
je propose suivant la formule « ni vainqueur-ni vaincu ».
— Le prochain sommet arabe se tiendra fin
mars à Riyad, en Arabie saoudite. Le bilan de l’action arabe commune depuis le
dernier sommet est loin d’être positif ...
— Si
l’on procède à une évaluation de l’action arabe commune, on y trouvera certes
beaucoup d’éléments négatifs. De nombreux événements ont engendré cette
situation trouble. Multiplication des problèmes et multiplication des pressions
et intérêts. Le bilan est négatif, mais il est essentiel dans ces conditions de
garder espoir que le prochain sommet arabe sera efficace.