Al-Ahram Hebdo, Visages | Mohamad Al-Sayed Saïd, Un combattant en habit de chercheur
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 5 au 11 décembre 2007, numéro 691

 

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Visages

Chercheur, militant et rédacteur en chef, Mohamad Al-Sayed Saïd est resté fidèle à ses convictions de gauche. Ses contradictions n’affectent pas son intégrité. 

Un combattant en habit de chercheur 

Un homme à paradoxes. D’où son charme. Très fidèle au socialisme sans pour autant perdre son admiration pour la démocratie et les libertés, il maintient le calme et le recul du chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram et la dureté du militant de gauche. « Un rêveur jusqu’à l’utopie, bien qu’il soit toujours présent sur le terrain parmi les gens. Pour ce, il a consacré toute une page dans le journal Al-Badil dont il est rédacteur en chef aux problèmes sociaux des démunis », témoigne Karima Kamal, chef de la rubrique Société dans le même journal et journaliste à l’hebdomadaire Sabah Al-Kheir.

Pour dresser une liste des paradoxes, il suffit de parcourir son évolution. Car son cheminement idéologique s’en ressent. Comme pas mal de militants de la gauche égyptienne, il est loin de dénigrer l’importance du religieux dans la vie du peuple. Il a écrit dessus une suite d’articles dans le quotidien Al-Ahram, faisant le lien entre socialisme et islam. Et au sein des milieux journalistiques, il a une sacrée réputation de « polygame », étant chercheur et rédacteur en chef du plus récent organe de presse, Al-Badil (alternative). D’ailleurs, cette double appartenance avait suscité pas mal de remous et de contestations, parmi les journalistes, lorsqu’il a été désigné à la tête d’une rédaction alternative, nettement située à gauche. Pendant de longues années, il a signé des articles dans le quotidien national Al-Ahram et a réussi à faire passer ses idées ne faisant pas forcément l’unanimité. De quoi lui avoir valu des négociations ardues avant d’aborder un sujet en particulier ou de tenir tête à la censure.

« Dans les années 1970-1980, il était proche de l’organisation clandestine des ouvriers, alors qu’aujourd’hui il s’engage différemment. N’adhérant à aucun parti politique, il n’est pas le marxiste intransigeant d’autrefois. Il lutte encore et toujours pour la justice, l’égalité, la cause palestinienne et le progressisme. Cependant, son évolution s’observe dans la manière dont il exerce ses idées », précise Samer Soliman, économiste de gauche.

L’esprit socialiste marque les moindres détails de sa vie, sa tenue, sa maison, son mode de vie. Ainsi, préfère-t-il recourir au « nous » à la place du « je », en parlant. Et pour reprendre l’idée des contrastes, il donne lui-même une justification familiale. « Je suis né dans une grande famille qui se distingue par deux contradictions : des ressources économiques maigres et une vaste culture. Mon père était un pêcheur qui a travaillé plus tard à l’Organisme du Canal de Suez. Il avait une longue histoire syndicale derrière lui. Ceci dit, il avait une conscience politique très développée ». Et d’ajouter : « Nous vivions à Port-Saïd, ayant témoigné de l’agression tripartite en 1956. Je suivais mon père qui a livré bataille, défendant sa patrie. Un moment historique qui a beaucoup influencé mes convictions », ajoute Mohamad Al-Sayed Saïd dans sa maison à Agouza. Le choix du quartier n’est pas gratuit. Une boulangerie, un café et une épicerie forment le décor de sa « résidence ». Une cacophonie de vie est au rendez-vous. C’est ici qu’il préfère être parmi les gens simples pour « palper le pouls ». Sa bibliothèque bien garnie compte des milliers d’ouvrages, cependant, il est loin de s’isoler dans sa tour d’ivoire. « Ma mère aussi avait une large culture. Elle apprenait le Coran par cœur et le psalmodiait parfaitement bien, respectant les règles de la grammaire et de la récitation. De même, elle retenait une centaine de hadiths (dires du prophète) », raconte Al-Sayed Saïd. Et de poursuivre : « La culture traditionnelle de ma mère m’éblouissait. C’était un amalgame de mythes, de proverbes et de contes. Elle avait une large connaissance orale, alors qu’elle ne savait ni lire ni écrire, incarnant véritablement la culture populaire égyptienne ».

Et dès son âge tendre, il a appris sa première leçon de socialisme. Sa famille a dû vendre les meubles de la maison, un par un, afin de financer l’éducation de son frère aîné, installé au Caire. « On a même vendu le lit sur lequel on dormait. Ma famille visait à changer la réalité via l’éducation de ses fils ». Et ce fut ainsi. Une fois que son frère et sa sœur ont terminé leurs études, ils ont pris en charge le reste de la famille.

Pauvreté, prison, hauts et bas, la vie se déroule ainsi. La chute de l’Union soviétique a ébranlé son existence, sans pour autant lui faire perdre conviction. « En 1989, Mohamad Al-Sayed Saïd a été arrêté, et en prison il a connu des tourments. Torturé et humilié, il a révisé sa pensée. A l’époque, j’étais stagiaire au Centre des études politiques et stratégiques. Rumeurs et calomnies faisaient monnaie courante. On disait qu’il allait être renvoyé aux Etats-Unis pour lui faire changer d’idées. Il est quand même resté ferme dans sa position », témoigne une journaliste d’Al-Ahram lui vouant un grand respect.

Tout jeune, il avait fréquenté les milieux ouvriers, faisant de petits boulots à gauche et à droite. Pour longtemps, il a par exemple travaillé comme menuisier. « Apprendre à son fils un métier est un moyen digne empêchant les enfants de milieux modestes de vagabonder ». Cela est, il a touché de près aux maux des ouvriers, leurs soucis, leurs rêves. Plus tard, il n’a pas raté une occasion pour se joindre à leurs rangs. En 1989, la police a envahi une usine de la banlieue de Hélouan et tué un ouvrier devant sa machine. Al-Sayed Saïd était fou de rage. Il publia bilans et rapports à travers l’Association égyptienne des droits de l’homme, dont il a été l’un des fondateurs en 1987. Et il en a payé le prix. La torture qu’il a subie fut intolérable, dit-on. « C’étaient des conditions inhumaines, mais ce qui me faisait mal au cœur c’était de voir des vieux hommes délirer sous pression ». Il se tait un moment puis continue : « En prison, j’ai connu de près l’idéologie des Frères musulmans. Je sentais que l’Egypte balançait entre deux mondes : le premier, celui de l’Egypte des années 1970, et le second, celui du fanatisme, du pessimisme qu’on tentait d’imposer ».

Les longues journées de prison étaient « formidables », selon ses termes. Il n’a pas raté une occasion pour tenir des colloques avec les ouvriers détenus. Les cellules témoignaient de soirées bien animées. « J’ai connu Mohamad Al-Sayed Saïd en prison vers 1989. Et c’est là que j’ai compris qu’il agit comme il écrit. Malgré la prison, c’était la chance d’or de connaître ce grand homme. Son corps était couvert de blessures, mais il nous inculquait les droits de l’homme, alors une nouvelle conception qui n’avait pas encore le vent en poupe », confie Saber Barakat, un ancien de l’usine de sidérurgie et leader du mouvement ouvrier.

Le choc de la défaite de 1967 a secoué sa génération. C’était terrifiant, dit-il. « Les jeunes étaient très ancrés dans le nassérisme. D’un coup, on s’était réveillé et c’est le cauchemar. La rogne estudiantine fut détonnante, et la déception trop amère. On a organisé des manifestations contre Nasser pour la première fois en 1968 », ajoute Mohamad Al-Sayed Saïd qui, durant les quatre ans qui s’en suivront, a œuvré à implanter la gauche au sein de l’université. « Ma génération est celle des plus fidèles aux préceptes de la gauche. On croyait à la capacité des étudiants à opérer une prise de conscience. J’ai même publié un premier magazine accroché au mur à l’université appelant à nos idées ».

Malgré son admiration pour l’expérience nassérienne, il avait un certain recul lui permettant de voir les choses en face. Pour ce, le choc était moins dur à comparer avec les autres collègues. « De même, j’ai vite retrouvé mon équilibre après la chute de l’ex-Union soviétique. Car je voyais les points faibles de l’Etat totalitaire, policier et bureaucratique. L’exemple de l’Etat césarien est pour moi inacceptable », indique Al-Sayed Saïd, affirmant que c’est surtout la renaissance qui le préoccupe le plus. « Celle-ci a commencé en Egypte dès 1805, bien avant celle du Japon. Pourquoi n’est-on pas parvenu à atteindre le même succès ? », répète-t-il sans cesse.

Cet homme fort éprouve une certaine faiblesse devant son fils unique, Marwan. Il a d’ailleurs choisi son prénom, après un séjour au Maroc, son pays de prédilection. « Mon fils aspirait à vivre dans une famille traditionnelle. Mais c’est rarement le cas des enfants d’intellectuels », dit l’intellectuel menant une vie de militants avec sa seconde épouse également journaliste. Nour Al-Hoda Zaki, sa bien-aimée. Lors des dernières élections du Syndicat des journalistes, on les trouvait côte à côte ; il ne manquait pas d’appuyer la candidature de sa femme ainsi que la présence féminine au sein du conseil. Le couple respire par l’écriture et le droit à l’expression libre.

Dina Darwich

 

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Jalons

1950 : Naissance au Caire.

1972 : Diplôme de la faculté d’économie et de sciences politiques,

          de l’Université du Caire.

1979 : Magistère en relations internationales de l’Université

          du Caire.

1982 : Doctorat en économie et en relations internationales

          de l’Université de Caroline du Nord aux Etats-Unis.

2007 : Rédacteur en chef du journal Al-Badil.

 

 




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