Education.
Une école destinée aux véritables prodiges continue de mener
une mission exceptionnelle contre vents et marées. Visite
guidée.
Chez les forts en thème
C’est
à Aïn-Chams, une zone populaire et démunie à la périphérie
est du Caire, que se trouve cette école dont on parle peu,
mais qui constitue une sorte d’exception dans le système
éducatif égyptien. Elle porte d’ailleurs le nom d’« Ecole
secondaire des prodiges ». Elle n’admet en fait que les
meilleurs éléments au niveau national.
Fondée en 1958 à l’époque du président Gamal Abdel-Nasser,
elle faisait partie de sa vision de la société et du
progrès. Cet établissement contribuerait à former une
génération de savants qui feraient un jour de l’Egypte une
puissance industrielle.
En pratique, il s’agissait de sélectionner les meilleurs
élèves de la fin du cycle préparatoire et les regrouper dans
cette école moderne où ils recevraient une instruction d’un
très haut niveau.
Peut-on parler d’un défi relevé ? Il est de toute façon
clair que depuis l’ouverture de cet établissement jusqu’à
nos jours, un bon nombre d’éléments ont réussi à se frayer
un chemin dans les meilleures universités du monde et
briller dans des postes-clés.
Avec le temps, l’inscription s’est limitée aux élèves qui
résident au Caire et ce, dans la perspective de créer une
école dans chaque gouvernorat. Un projet qui est
malheureusement resté lettre morte.
Aujourd’hui, cette école qui est d’ailleurs un internat,
chose devenue rare en Egypte, semble n’être connue que des
parents et élèves qui désirent s’y inscrire ou des habitants
du quartier, mais beaucoup ignorent même son nom. Ce n’est
qu’à l’annonce des résultats du bac à la radio que le nom de
l’école semble beaucoup revenir avec les meilleures notes
reçues par ses candidats.
Le bâtiment est le même depuis les années 1950, sauf que la
verdure qui l’entourait a disparu pour céder la place aux
bidonvilles qui ont rampé jusqu’aux murs de l’école. Des
murs qui n’ont visiblement pas été repeints depuis des
années, des classes et une cour vétuste, mais qui enferment
des jeunes qui possèdent une volonté et des rêves qui
dépassent toutes les barrières.
Dans
la discrétion la plus totale, sans publicité ni dons, le
sérieux de l’école est sans précédent.
Plus de 2 500 élèves qui ont obtenu un pourcentage de 90 %
ou plus en troisième année préparatoire se présentent chaque
année pour s’inscrire dans cet internat. Cependant, ce n’est
pas seulement le pourcentage élevé qui ouvre les portes de
l’école à un élève, ce dernier doit d’abord passer un test
de QI.
Seuls les 96 premiers sont admis. Et pendant les trois
années d’études qui suivent, celui qui ne prouve pas sa
perfection devra quitter, car il n’y a pas de places pour
les élèves normaux. Aujourd’hui, seuls 87 élèves passeront
le bac à l’école.
« Il y a des premiers dans toutes les écoles, mais les
nôtres sont différents car on choisit les meilleurs parmi
les meilleurs et on leur offre tous les avantages possibles
pour les aider à atteindre le maximum de la supériorité »,
explique Al-Bassiouni, directeur de l’école. Pour une école
gouvernementale, ce qu’on présente ici est vraiment un
privilège si on le compare à une autre école publique,
et d’après Al-Bassiouni, cette chance offerte à ces jeunes
brillants les aide à atteindre la supériorité facilement. Ce
n’est pas suffisant d’être bon, il y a d’autres critères qui
définissent la distinction qui n’existent pas ailleurs. Et
c’est pour cela qu’on leur offre le maximum pour atteindre
la perfection. « Dans une école secondaire normale, je ne
pense pas que j’aurai pu atteindre mon niveau actuel. Et ce,
pour plusieurs raisons, notamment le nombre d’élèves par
classe qui peut atteindre les 70 dans une école normale »,
dit Omar, élève en troisième année secondaire et qui rêve de
devenir médecin. Bien sûr dans une classe de vingt élèves ou
moins, la situation est différente, mais il y a aussi
plusieurs autres facteurs qui aident ces élèves à se
distinguer des autres.
Le choix des professeurs est différent. Ces derniers doivent
répondre à une série d’examens pour être accepter.
Emad Al-Sayed, professeur de technologie, affirme que si le
professeur n’a pas un certain niveau scientifique et ne
possède pas certaines qualités personnelles, il ne pourra
continuer avec ces élèves dont le niveau intellectuel est
très haut.
« Ils sont différents, ils ont beaucoup de connaissances et
veulent toujours plus. Il faut vraiment être bien préparé
pour être à la hauteur. Ils sont capables de détecter la
moindre erreur », dit Emad, en ajoutant que parfois c’est
lui qui apprend de ses élèves. Youssef, professeur, de la
même matière et qui a travaillé dans d’autres écoles
secondaires avant de venir ici, dit qu’il doit lui-même non
seulement bien étudier avant de rentrer en classe, mais
aussi se documenter sur d’autres aspects ne figurant pas
dans le programme.
Une journée studieuse
D’ailleurs, certains de ces élèves ont leur mot à dire sur
le programme officiel. « Je découvre de plus en plus que nos
programmes sont stériles, il faut les modifier pour laisser
plus de chance à l’étudiant de devenir plus créatif et lui
donner la possibilité de faire de la recherche », dit Ahmad,
élève en deuxième secondaire et qui veut devenir médecin.
Une journée type à l’internat débute à six heures du matin
et se prolonge jusqu’à très tard le soir. Les garçons
commencent par prendre leur petit-déjeuner puis mettent de
l’ordre dans le dortoir, ensuite commence la journée
scolaire normalement par le salut du drapeau et les rangs.
Si dans les autres écoles gouvernementales cette journée se
termine à midi, ici c’est une journée complète jusqu’à 14h30
dont le temps est partagé entre les cours, les différents
laboratoires et la bibliothèque. La période de récréation et
les quelques minutes entre les différents cours ne sont pas
les mêmes qu’ailleurs. Le silence règne. On n’entend pas de
cris, ni une voix haute ou des insultes. On ne voit pas de
jeunes courir les uns derrière les autres ou se pousser pour
causer du désordre. Ici, on est là pour travailler, le
sérieux est de rigueur, on est jeune mais raisonnable. Pas
d’éléments perturbateurs. On se balade, on blague, on fait
de la musique, du sport, de la lecture.
Chacun est occupé à faire quelque chose. Même si un élève
veut commettre une faute, il ne trouve pas l’occasion car il
est d’abord contrôlé par ses camarades, puis par les
surveillants de l’école. L’esprit de réussite règne et
domine le quotidien. « La concurrence est forte entre les
élèves, et un centième de point peut créer la panique chez
l’élève qui redoublera d’effort pour réussir », explique
Al-Bassiouni. Cette fraction, pour Mohamad, peut changer sa
moyenne, une chose qui de son point de vue est inacceptable.
L’après-midi on recommence de nouveau, puisque les
professeurs restent à tour de rôle à l’école pour aider les
élèves à faire leurs devoirs s’ils en ont besoin. « C’est un
système idéal sur lequel doivent prendre exemple toutes les
écoles. Une chose qui semble difficile à cause du
sureffectif dans les classes et la baisse radicale du niveau
des professeurs. Heureusement, certains ont la chance de
venir ici », dit Al-Bassiouni.
Il ajoute qu’on a tendance à comparer avec les écoles
publiques, mais il met à défi n’importe quelle école privée,
avec tous les moyens et les fonds qu’elle possède, de se
comparer à l’école des prodiges. « C’est la volonté de nos
élèves qui fait la différence », dit-il.
Moustapha Abdel-Tawwab, élève de deuxième secondaire,
affirme que même si les élèves des autres écoles atteignent
des pourcentages élevés, ce n’est que grâce aux leçons
particulières, mais les élèves de cette école ne connaissent
guère cette véritable gangrène, c’est grâce à leur
persévérance qu’ils obtiennent ces pourcentages. Ce dernier,
qui travaille assidûment pour adhérer la faculté de
médecine, affirme qu’il n’aurait pas pu être la même
personne qu’il est aux niveaux personnel et scientifique
s’il avait continué dans une autre école. Les professeurs
travaillent différemment, explique Bayoumi, enseignant de
langue arabe.
Il dit qu’avec des élèves qui montrent une volonté de fer,
qui sont sérieux, rigoureux et intelligents, le maître ne
peut que réagir en leur donnant toutes ses connaissances,
surtout qu’ils ne sont pas nombreux, alors le professeur les
connaît un par un.
Aussi le fait que l’école soit un internat fait une grande
différence dans la personnalité de ces jeunes étudiants. Il
n’y a pas de papa qui caresse ni de maman qui prépare les
affaires. L’enfant est donc livré à lui-même, il devient
indépendant et autonome et, comme l’explique Al-Bassiouni,
fait de lui un homme responsable. « Cela se confirme par la
suite soit au cours du cursus universitaire ou pendant les
travaux de recherche plus tard, ils se conduisent avec
responsabilité et se distinguent parmi les autres non
seulement par leurs bonnes notes, mais aussi par leurs
connaissances scientifiques et leur culture générale »,
dit-il très fièrement. Issus d’une couche sociale loin
d’être aisée, ils veulent profiter de cette chance qui ne
leur coûte que 100 L.E. par an, pour changer leur réalité
par le seul moyen existant, l’éducation.
Et chaque élève prend en exemple ses prédécesseurs, et les
cas ne manquent pas. Le professeur Mohamad Abdou, directeur
de l’Institut de plasma et de la technologie de l’énergie
nucléaire à l’Université de Californie aux Etats-Unis,
affirme que son succès est le résultat de l’éducation qu’il
a reçue dans cette école secondaire et qui lui a offert un
environnement scientifique convenable qui lui a permis de
continuer ses études difficiles après cela à la faculté de
polytechnique, qui venait d’ouvrir à l’époque un nouveau
département d’énergie nucléaire. Après quoi plusieurs
universités étrangères lui ont offert des bourses et il a
continué ses études et son travail de chercheur. L’ancien
élève Mohamad Al-Gawadi a toujours aimé les sciences et la
littérature, il est aujourd’hui médecin et membre de
l’Académie de langue arabe. « Mes professeurs m’ont toujours
encouragé à écrire et à participer aux concours que je
gagnais toujours. Le talent ne suffit pas, il faut de
l’encouragement, sans quoi je n’aurais pas réussi dans ces
deux branches et je ne serais pas devenu ce que je suis »,
dit Al-Gawadi, toujours fidèle à son école. Il lui rend
visite de temps à autre, se promène dans ses couloirs et
envoie tous ses livres pour les exposer à la bibliothèque.
C’est la seule école, selon Al-Bassiouni, dont 95 % des
élèves poursuivent des hautes études pour atteindre le
magistère et le doctorat. Ministres, doyens, ingénieurs
nucléaires et autres génies se sont distingués et ont marqué
pour avoir été dans cette école, celle des rêves.
Mais tous les anciens élèves ne sont pas fidèles comme
Al-Gawadi, c’est rare que ces derniers se souviennent de
leur école. « Si ces gens devenus célèbres aujourd’hui se
rendaient compte comment une visite serait stimulante pour
les élèves, ils ne manqueraient pas de le faire tous les
jours », dit Al-Bassiouni.
Une école qui relève tous les défis en continuant à garder
le niveau et ce, avec des fonds minimums qui font que l’on
ne peut même pas repeindre les murs pour offrir un cadre
agréable à ces génies en herbe. Pourtant, ils continuent
envers et contre tous. Une lueur d’espoir lorsque l’on
connaît la crise que traverse le système d’éducation
égyptien.
Hanaa
Al-Mekkawi