A 69 ans, Anba Moussa,
évêque des jeunes coptes orthodoxes, est constamment à la
résidence de leur diocèse, à Deir Al-Malak, prêtant une
oreille attentive à leurs soucis et problèmes.
Le moine de la rencontre
Depuis 1980, le pape Chénouda III a chargé ce moine
charismatique d’être l’évêque des jeunes du rite copte
orthodoxe. Anba Moussa (moine supérieur) est ainsi à
l’écoute des jeunes coptes, non seulement en Egypte, mais
aussi dans les pays d’émigration. Une charge qui est venue
couronner une vie ecclésiastique ayant commencé en 1963.
Né à Assiout (en Haute-Egypte), dans une famille de la
classe moyenne, le père était démocrate et bien éduqué,
propriétaire de terres agricoles, et la mère, une femme au
foyer qui ne lisait que l’évangile et se consacrait à élever
ses neuf enfants. A l’époque, Anba Moussa s’appelait encore
Emile Aziz Guirguis. A 15 ans, lorsqu’il a obtenu le
baccalauréat, à un âge très précoce, il a été admis sans
restriction aucune à la faculté de médecine, de l’Université
d’Assiout. C’est dans ce domaine humain que l’universitaire
a trouvé sa vocation. Il a senti en lui une voix qui hélait,
l’appelant à se consacrer entièrement au service de
l’église. Exempté de service militaire, le jeune médecin a
pratiqué, à Béni-Souef, pour quelques années sa « profession
de piété », jusqu’au jour où il a été convié, auprès du
nouveau moine de Béni-Souef, qui dans le temps, était Anba
Athanassios. En habit civil, Emile Aziz Guirguis, dit
aujourd’hui Anba Moussa, a été nommé serviteur des jeunes,
pendant 12 ans environ, puis il a été évêque adjoint d’Anba
Athanassios, dans les années 1970. Dans cet archevêché de
Béni-Souef, il a appris à mieux connaître Athanassios, son
parrain d’esprit ouvert et cultivé. Ce dernier accordait au
jeune serviteur la liberté totale de tout discuter, et de se
déplacer à son aise. « C’était un sage. L’un des meilleurs à
expliquer l’Evangile. Toujours au service de l’Homme, il a
fondé multiples projets humanitaires : des pouponnières, des
forges pour les pauvres, des classes d’alphabétisation. Il
avait beaucoup de contacts, non seulement sur le plan local,
au Conseil des églises du Moyen-Orient, mais aussi à
l’échelle mondiale, avec les autres rites chrétiens »,
indique Anba Moussa.
Suivant les pas de son parrain, ce dernier a voulu
s’immiscer au service des jeunes. « A qui veux-tu rendre
service ? », lui a posé la question le pape Chénouda III, en
l’honorant du titre d’évêque général. C’est alors qu’il a
répondu promptement : « Aux jeunes ! ». « Ceux-ci se
trouvent à la base de la société et de l’église. Les jeunes,
c’est l’énergie, le futur. J’arrive même à entendre les
palpitations de leurs cœurs. Je touche de près leurs besoins
quotidiens et leurs aspirations. L’ecclésiastique est un
enseignant, un juge qui tranche parmi ses enfants, un avocat
qui élève leurs besoins au père, notre Dieu céleste », dit
Anba Moussa.
A tout moment, il est entouré de jeunes fidèles, dans le
salon du diocèse des jeunes, lié au patriarcat des coptes
orthodoxes, où il loge actuellement. Ce diocèse sacré, lié à
l’église de l’Archange Mikhaïl, au quartier cairote de Deir
Al-Malak, se prépare à accueillir le Noël copte. Un décor
très vif, des guirlandes de toutes les couleurs et un sapin
de Noël. On est dans les 43 jours de carême précédant la
fête, et l’heure est aux louanges et aux cantiques. C’est
une manière de recevoir l’Enfant Jésus. Dans le salon du
diocèse, une masse de jeunes coptes attend impatiemment son
tour pour discuter avec lui de leurs soucis et obtenir la
bénédiction d’Anba Moussa. Et les jeunes émigrés ? L’évêque
fait de son mieux, malgré ses 69 ans, de les atteindre,
organisant des colloques réguliers de quatre jours, dans
leurs pays d’émigration. « Mes colloques ont un but
déterminé. C’est d’apprendre aux jeunes émigrés à être liés
à Dieu, à l’Eglise mère et à la nation. Il faut toujours les
imprégner de nostalgie, leur rappeler leurs racines et
l’histoire de leur pays, pour ne pas s’occidentaliser. En
discutant les problèmes d’un jeune, il ne faut jamais
omettre son enfance », soutient Anba Moussa d’une
clairvoyance avérée. Et d’ajouter : « Les problèmes des
jeunes coptes en Egypte diffèrent de ceux de leurs
homologues émigrés. Ces derniers souffrent d’autant de
problèmes de sexe, de chasteté et d’irréligion. Alors que
pour les jeunes de l’Egypte, leurs problèmes sont plutôt
liés au chômage, au mariage et au travail. Pour eux, le
futur n’est pas chose donnée. Leurs besoins dépassent leurs
moyens. Cela sans compter les problèmes d’occidentalisme,
avec Internet, le pal talk et le facebook. Je ne suis pas
contre la technologie et l’idée de créer un groupe
d’ami(es), mais il faut savoir choisir ».
L’évêque n’a pas tardé à créer, au profit des jeunes et en
collaboration avec eux, des sites intéressants sur le Net,
qui rapprochent les jeunes coptes de l’Eglise mère. Ce sont
des sites de préparation de jeunes évêques, de jeunes
leaders, un site intitulé « Festival de la prédication ».
Celui-ci lui permet en effet, à travers les 33 000 courriels
électroniques mensuels, d’établir un contact direct avec les
jeunes. « Telle est ma mission d’évêque. Je suis là pour
tout le monde », souligne Anba Moussa, dont la vie de
chasteté et d’abstinence ne l’éloigne guère de celle plus
turbulente des jeunes. Car avant tout, il se considère le
moine de la rencontre. Et dans sa mission, il est assisté de
jeunes serviteurs du diocèse, de trois prêtres célibataires
et d’évêques adjoints, mais aussi de 30 jeunes diaconesses
égyptiennes célibataires. Ces dernières vivent dans ce même
diocèse, à Deir Al-Malak, et s’investissent dans d’autres
activités caritatives : publier des livres religieux, servir
des églises dans des quartiers populaires, gérer des forges
de jeunes, des maisons d’orphelinat et des asiles pour les
universitaires dépaysés. Cela sans oublier les autres
activités culturelles, économiques et « politiques » de cet
évêché. « Le diocèse des jeunes est un lieu de mire qui
invite constamment des figures de proue de l’Egypte,
musulmans et chrétiens. Des hommes de différents courants
politiques et des intellectuels qui animent des discussions
libres et fructueuses avec les jeunes coptes », déclare Anba
Moussa qui se nourrit de lectures variées. Il poursuit alors
son analyse : « Actuellement, je trouve que la société
égyptienne jouit de plus de démocratie et de liberté
d’expression, dans les médias et les élections
parlementaires. L’essentiel, c’est qu’elle soit une
démocratie à base civile et non religieuse ». Pour mieux
appliquer le concept de la démocratie, selon Anba Moussa, il
faut se pencher sur la situation des coptes en Egypte. « Les
problèmes des coptes en Egypte sont très simples. Comment
bâtir une église ? Comment se doter d’une représentation
constitutionnelle ? Comment pouvoir occuper des postes-clés
au sein du gouvernement ? L’essentiel, c’est de savoir
comment proclamer ses droits au sein de la société. C’est
d’ailleurs un problème dont souffrent coptes et musulmans en
Egypte », explique l’évêque toujours vêtu, même en dormant,
d’une robe noire et d’une grande croix étalée sur la
poitrine. Sa tête est couverte d’une somptueuse coiffe noire
et ronde, au-dessus de laquelle une petite calotte tissée
avec 6 croix à gauche et 6 autres à droite. A l’arrière de
la calotte, une croix plus grande symbolise Jésus-Christ. «
Cet habit traditionnel remonte au temps d’Anba Antonios,
père du monachisme. Les 13 croix nous aident à s’armer, tout
d’abord de l’esprit de Jésus-Christ et des 12 apôtres. Quant
à la coiffe noire, ce n’est qu’un symbole de la coupole de
l’Eglise », dit-il.
Sans être enfermé dans une tour d’ivoire, pour vivre il n’a
recours qu’à l’essentiel, vraiment le strict nécessaire. Sa
propre voiture en témoigne. Il admire l’époque nassérienne,
vu la forte loyauté du gouvernant envers le peuple. « Nasser
a réussi à se rapprocher du peuple. Il a consacré la
réputation de l’Egypte et celle des Arabes. La sagesse d’un
président est une chose requise. C’est le cas également du
président Moubarak, qui en dehors de tout fanatisme, s’est
montré modeste et négociant », estime Anba Moussa, qui
trouve en la politique le champ des soucis de l’Homme. Il
adore lire les écrits du journaliste Mohamad Hassanein
Heikal doté, selon lui, d’un style à la fois politique et
littéraire. « De tout temps, les musulmans et les chrétiens
ont œuvré ensemble contre les attaques étrangères, depuis
l’Expédition française, l’occupation britannique, les
agressions israéliennes. Je dénonce le discours de George W.
Bush, lequel a annoncé, après le 11 septembre, qu’il mène
une croisade contre les Arabes. Sa guerre n’a rien à voir
avec les chrétiens. Les Arabes sont à la fois des chrétiens
et des musulmans qui vivent sur une même terre », se soulève
Anba Moussa qui condamne le principe de la guerre au nom des
religions. « Je me demande comment ces gens tourmentés par
la guerre parviennent-ils à vivre ? Je prie Dieu pour les
délivrer de leurs peines », affirme-t-il.
Avec les jeunes, il multiplie les plaisanteries, tout en
préservant son caractère diplomate et posé. « Celui qui sert
les jeunes doit se vêtir de gaieté. Il leur suffit les
complications de la vie. Celui à qui je m’adresse est déjà
épuisé. Pourquoi donc l’ennuyer ? J’essaye donc de dessiner
le sourire sur les lèvres de tout indigent ». Ne touchant
pas de salaire à la fin du mois, comme c’est le cas des
autres prêtres, l’évêque mise sur les dons ou l’aide
financière pour faciliter sa tâche, toujours au profit de
son service ecclésiastique. A tout moment, il conseille aux
jeunes coptes de s’approcher de Dieu, notamment via la
prière, leur seul refuge contre toute tentation maligne. «
La présence de Dieu en nous assouvit l’âme, illumine la
raison, contrôle l’esprit, remédie le corps et mène à la
réussite des relations sociales »,conclut-il.
Névine Lameï