Consommation .
Fête de la viande par excellence, le grand Baïram est
célébré alors que le prix de cette denrée ne cesse
d’augmenter. Pour les Egyptiens, la viande devient un luxe
absorbant une part importante de leur budget. Certains en
consomment une fois la semaine, d’autres une fois le mois ou
l’année. Micro-trottoir.
Le calendrier de la viande
Hanaa, 36 ans, femme au foyer
Mon
mari est fonctionnaire et son salaire ne dépasse pas les 700
L.E. Si nous devons acheter le kilo de viande à 35 L.E.,
cela veut dire que nous devons prévoir un budget de 150 L.E.
pour manger de la viande quatre fois par mois. Ma famille
compte quatre personnes et pour satisfaire ses besoins en
protéines, il me faut au moins un kilo par repas. J’ai alors
décidé de boycotter la viande rouge depuis que son prix a
augmenté et je me contente seulement de viande de volaille,
dont le prix reste abordable, même après la grippe aviaire.
Ahmad, 23 ans, coiffeur
J’ai consommé de la viande la semaine dernière. J’achète
souvent de la viande de bœuf ou de chameau, car elles
coûtent moins cher. J’évite le veau qui coûte plus cher que
les autres espèces. Malheureusement, 40 % du poids de la
viande que l’on achète est constitué d’os et de graisse.
Pour s’offrir un kilo de viande au sens propre du mot, il
faut dépenser au moins 48 L.E. C’est excessif.
Racha Bayoumi, 22 ans, ouvrière
La dernière fois que j’ai mangé de la viande date d’un mois.
Le revenu de ma famille, composée de quatre personnes, ne
dépasse pas les 350 L.E. On se contente d’acheter un quart
ou un demi kilo, ce qui revient à 17 L.E. La viande est
préparée accompagnée de légumes et chacun a droit à un tout
petit morceau. Le jour où il y en a, c’est la fête à la
maison. Je rentre tôt à la maison pour profiter de cet
événement qui n’a lieu qu’une fois par mois. Son odeur
alléchante embaume la cuisine, titille nos narines et nous
donne l’eau à la bouche. De plus, on est fier de montrer à
nos voisins que la viande est présente au menu.
Ahmad Bakri, 50 ans, fonctionnaire
La viande est comme ce convive qui nous rend visite une fois
par mois, le jour de la paye. Les enfants attendent
l’événement avec impatience. J’achète un kilo de viande et
ma femme le répartit en deux ou trois mets. On ne peut pas
prendre le risque d’acheter davantage, car j’ai peur que mes
enfants s’habituent à ce luxe. De plus, il faut que je mette
quelques livres égyptiennes de côté pour faire face aux
crises, surtout avec la hausse continuelle des denrées
vitales.
Hoda, 28 ans, vendeuse de mouchoirs
Je
n’ai pas assez d’argent pour m’offrir de la viande. Mais
Dieu pourvoie. Les âmes charitables cela existe, une
personne peut m’offrir quelques morceaux, une autre me
laisse le reste d’un repas qui en contient. Ainsi, je
compense mes besoins et ceux de ma famille et la dernière
fois où j’ai consommé de la viande, c’était hier soir.
Mahmoud, 45 ans, agent de police
Je suis originaire de Ménoufiya. J’ai l’habitude d’acheter
ma viande dans mon village natal, car c’est beaucoup moins
cher. La dernière fois que je m’en suis payée date de deux
mois, à l’occasion de la dernière fête. Je gagne 300 L.E.
par mois et ne peux m’offrir ce luxe que quatre fois par an.
Hassan, 14 ans, enfant de la rue et vendeur de menthe
Mon dernier sandwich de viande hachée date de 10 jours. J’ai
pris le moins cher et je l’ai acheté d’une gargote où j’ai
l’habitude de m’asseoir pour prendre mes repas.
Saad, 38 ans, vendeur ambulant
Je ne me permets un plat préparé à la viande que deux fois
par semaine. Mon travail demande de la résistance, puisque
je dois passer 14 heures par jour dans les rues dont je
sillonne les recoins pour gagner ma vie. Mon corps a besoin
de protéines, sinon, je risque de tomber malade. Pour être
en bonne santé, il faut bien se nourrir, et la santé c’est
la fortune des pauvres.
Hanane, 27 ans, femme de ménage
On
a l’habitude d’acheter la viande dans un marché situé dans
notre quartier. Là, on peut s’offrir des pieds et têtes de
veau ou des tripes, sinon, je me contente de carcasses,
gésiers et de foie de volaille. Le prix du kilo de viande
dépasse mes moyens. Je dois nourrir huit personnes et le
revenu de la famille atteint les 750 L.E. Mes jeunes frères
vont à l’école, alors nous avons besoin d’économiser pour
arriver à leur fournir ce qui est nécessaire à leur
scolarisation.
Mahmoud, chiffonnier, 26 ans
Mes deux enfants âgés de 5 et 4 ans ne mangent que rarement
de la viande. La nouvelle génération en consomme très peu. A
force d’en être privés, les jeunes vont considérer cette
denrée comme une partie du décor de boucheries.
Afaf, professeur, 42 ans
Se rendre chez un boucher est devenu un luxe. L’inflation
galopante et la hausse des prix de la viande sont des motifs
raisonnables pour freiner tout achat de viande. Dans ma
gastronomie, la viande n’a plus de place.
Mohamad, 40 ans, professeur d’université
Mon salaire ne dépasse pas les 2 000 L.E. et avec la hausse
du prix de la viande, j’ai dû réduire sa consommation à la
maison. Au lieu de 10 kilos par mois, on se contente
aujourd’hui de 6. On mange de la viande trois fois par
semaine au lieu de cinq. C’est même mieux pour la santé. A
croire que le gouvernement veut nous protéger de la goutte
et autres maladies qui touchent ceux qui consomment
énormément de viande .
Am Hosni, 90 ans, mendiant
La dernière fois que j’ai goûté à la viande, c’était l’année
dernière à l’occasion du grand Baïram. J’ai dû faire la
queue devant les résidences de gens aisés pour me procurer
un ou deux sachets que j’ai répartis sur un mois et depuis,
je n’ai plus goûté à un seul morceau.
Sayed, journalier, 30 ans
La viande, c’est le délire. J’ai presque oublié son goût.
Tout ce qui me préoccupe aujourd’hui, c’est la galette de
pain. Si son prix augmente de 20 piastres, alors ce sera la
catastrophe. Je gagne 20 L.E. par jour pour subvenir aux
besoins de ma famille. Par ailleurs, je dois envoyer de
l’argent à ma mère qui habite dans le village où je suis né.
Dina
Darwich