Al-Ahram Hebdo, Littérature | Mon écriture et l’avenir du roman
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 12 au 18 décembre 2007, numéro 692

 

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Littérature

Au 96e anniversaire de Naguib Mahfouz, cette trouvaille qui remonte à 43 ans est un rare témoignage littéraire et critique sur le roman et les enjeuxauxquels l’écrivain a fait face.

Mon écriture et l’avenir du roman

A la conférence des écrivains de Moscou, Alain Robbe-Grillet déclara que le roman avait exploité tous ses sujets et qu’il ne restait à l’écrivain qu’à s’occuper de la forme. Ainsi, Robbe-Grillet présentait une justification pour cette nouvelle forme qu’il avait choisie dans ses romans et que certains critiques nomment l’école des choses. Robbe-Grillet décrit les choses ordinaires avec beaucoup de détails comme s’il était un archéologue ayant découvert un objet rare et qui s’évertue à le décrire sous toutes ses formes. Il décrit ainsi le poignet d’une porte ou une fenêtre sur plusieurs pages avec précision et longueur incitant à la monotonie, et peut-être même à quelque chose qui va au-delà de la monotonie. Car ces nombreux détails sont insignifiants et mettent le lecteur dans l’embarras ne sachant pas ce que veut démontrer l’écrivain.

Robbe-Grillet, dans cette manière de décrire en long et en large les objets en les couvrant de tout cet étonnement et de toute cette curiosité, voudrait supprimer cette communication qu’a l’être humain avec les objets qu’il utilise tous les jours. Il voudrait créer une distance et un sentiment d’étrangeté entre la nature, l’univers et l’homme, et plus encore entre les choses de la nature les plus proches de l’homme, à savoir les objets qu’il utilise quotidiennement et les endroits où il a l’habitude de se déplacer. Il voudrait dire que l’homme est unique dans l’univers et qu’il n’y a aucune relation avec ce qui se passe en dehors de lui. Il s’évertue tellement à dénier tout, qu’il en arrive à accuser Jean-Paul Sartre d’être croyant !

Cette nouvelle forme qui s’est propagée entre les écrivains du nouveau roman vient de la pauvreté des sujets qu’ils veulent traiter. Des accusations critiques sont lancées contre le roman en tant qu’art. Elles touchent l’art du roman dans son essence même de forme littéraire.

En effet, le roman a épuisé tous les sujets imaginables. Il a traité de l’individu, de la société et de la famille. Il a traité des rues et des villes et mêmes des continents. Il a même dépassé les continents et la terre pour aller s’occuper des planètes. Tous les sentiments humains ont fait l’affaire de nombreux romans sur de longues périodes.

Ceux qui regardent le roman de ce point de vue peuvent évidemment penser qu’il n’a plus de nouveau à avancer. Cette manière de voir crée une crise pour de nombreux romanciers qui se sont aperçus que tous les sujets auxquels ils pensent ont déjà été traités !

Ils ont pris ainsi le chemin de la forme. Tout comme pour les arts plastiques qui s’occupent uniquement de la forme, alors que le sujet est devenu secondaire.

Cependant, si nous prenons cet argument en considération, il nous faudrait enterrer la littérature dans son entier de même que tous les arts. Mais les choses ne sont pas aussi simples. Car même si les sujets ont été épuisés, le consommateur lui se renouvelle, comme c’est le cas pour la vie même. La nouveauté ne résidant pas dans le sujet qui n’a pas été traité auparavant, mais dans l’artiste lui-même. Ce dernier est un être humain, une époque et une civilisation. Chaque génération a son avis à donner sur des sujets semblables à toutes les époques.

En regardant à partir du hublot de l’avion, tous les hommes se ressemblent mais en nous approchant d’eux, nous arrivons à déceler les différences.

Lorsqu’on parle d’art, on ne parle pas de nouveau et d’ancien mais de l’objectif même de l’art. Cette manière d’approfondir la vie en l’enrichissant par l’expérience. Cette richesse qui permet de mieux comprendre la vie dans son évolution de manière générale. Je pense qu’il ne faut pas juger l’art par sa nouveauté mais par ce qu’il permet de réaliser d’agréable et d’utile. Ainsi n’y a-t-il aucun danger pour le roman comme genre littéraire. Il restera un genre qu’on aime approcher tant que l’homme portera un désir pour la littérature et en ressentira le besoin pour cet art et tant que la lecture sera possible. André Gide disait : « Nous écrivons avec l’espoir que le lecteur n’a pas lu les œuvres qui nous ont précédés ».

Toutefois, la crise du roman n’est pas une crise générale. Dans d’autres pays comme l’Union soviétique, l’Inde et la Chine, aucun écrivain ne se plaint d’un problème pareil. C’est le cas uniquement pour la France, l’Angleterre et l’Italie. Le fait de dire qu’il n’y a pas de sujets cache une crise encore plus grande. Elle signifie que nous n’avons pas de valeurs auxquelles nous croyons. Si l’homme perd ses valeurs, tous les sujets perdent automatiquement de leur valeur. Lorsque l’être humain n’a plus de valeur, la vie perd son sens et devient quantité négligeable. Elle ne mérite plus qu’on s’en occupe. La crise de l’Europe provient de ce qu’elle ne croit plus en rien. Elle ne croit plus en la vie et elle ne croit en rien derrière la vie ni avant la vie. Sans croire en quelque chose, l’écriture devient un exercice dans le vide. Et lorsque l’envie littéraire s’active dans une atmosphère semblable, elle se perd dans la nouveauté de la forme. Nous pouvons ainsi parler de l’art pour l’art qui a trouvé un écho qu’il n’avait pas trouvé dans aucune période de l’art en Europe comme on peut le ressentir actuellement. Et cela pas uniquement pour la littérature, mais également pour la musique, et les arts plastiques.

En ce qui concerne l’art du roman actuellement, il y a un autre phénomène qui attire l’attention, c’est sa tendance métaphysique. Bien que le roman ne se soit jamais départi des sujets traitant de philosophie, la place qu’occupe la métaphysique est devenue de plus en plus grande.

Ce phénomène est un nouvel argument qu’on peut ajouter à la crise de la civilisation européenne. Dans les périodes d’épanouissement et de stabilité industrielle qu’a vécue l’Europe avant d’être frappée par ses contradictions contemporaines, elle fut habitée par la science expérimentale. Elle s’épanouit et écarta les valeurs spirituelles. De la même manière que le corps humain traverse des moments de crises biologiques ou psychologiques, la civilisation traverse des crises. Et de la même manière que l’homme essaie de résoudre sa crise en cherchant une issue dans les valeurs spirituelles, la civilisation fait de même. Lorsque l’homme et la civilisation perdent leurs repères, ils se souviennent de Dieu.

L’Europe croyait en la science, puis elle perdit sa foi en elle. Ainsi chercha-t-elle le chemin de la métaphysique.

S’il revenait à un écrivain de parler de ses expériences personnelles en abordant un sujet général comme l’avenir du roman, je me permettrais de donner l’exemple de mon roman Les Fils de la médina, car c’est un écho de la crise des temps modernes.

Dans ce roman, la science crut qu’elle pouvait se passer de Gabalawi et elle mit fin à sa vie. Cette fin lui fit ressentir le vide et l’amertume de la vie. C’est ce qui arriva à Albert Camus lorsqu’il pensa que la vie n’avait pas de sens et que l’absurde était son unique vérité.

L’homme crut en la société et apparut alors le roman réaliste et naturaliste. Mais lorsqu’advint l’ère du doute dans la société et dans la raison, toutes les questions qu’on croyait révolues et oubliées apparurent à nouveau et insistèrent pour trouver des réponses adéquates. (…)

L’avenir du roman dans le contexte de l’époque peut être un problème pour les écrivains aux valeurs effondrées. Le choix d’une nouvelle technique peut être une nécessité pour eux. En ce qui concerne mon expérience pour l’art du roman, je n’ai pas ressenti le problème technique de manière aussi aiguë. Je le résous de manière aisée. Le contenu qui me préoccupe et ce qu’il cache derrière d’émotion me précise, sans effort, la forme à adopter sans me préoccuper de sa nouveauté ni de son ancienneté. La question que je pose : est–elle adéquate ou pas ?

Traduction de Soheir Fahmi

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Le « j’accuse » de Mahfouz

Cet article de Naguib Mahfouz prouve qu’il tenait un rapport avec les publications de Kétabi qu’il n’a jamais mentionnées. Cette collection dirigée par l’homme de lettres Helmi Mourad représentait largement l’une des facettes du libéralisme égyptien dans le domaine de la culture – c’est ce qui convenait à l’esprit de Mahfouz, le fils de la Révolution de 1919.

Cet article-témoignage paru dans la revue Al-Kateb en janvier 1964 est publié à la suite d’un débat critique qui abordait la mort du roman et considérant ce genre littéraire en voie de disparition, tandis que ses auteurs allaient dévier vers d’autres genres. En effet, certains romanciers occidentaux s’étaient dirigés vers l’écriture de théâtre vu la popularité de l’art de la scène. Cette orientation a été adoptée par des écrivains en Egypte, ce qui a provoqué les critiques qui prévenaient du reflux et de la disparition du genre romanesque. L’exception venait de Naguib Mahfouz qui réalisait à cette époque — quasiment tout seul — des acquis transcendant le classicisme en cours. Sa perle Le Voleur et les chiens en 1961 est restée au centre de débats, de discussions, sujet de critiques et d’études littéraires sérieuses. Puis, Al-Simman wal kharif (les cailles et l’automne), et son recueil Donia Allah (le monde de Dieu) en 1962, Al-Tariq (la quête) en 1964. Ajoutons également le dossier consacré à Mahfouz, à son 50e anniversaire, dans la revue Al-Kateb regroupant une gamme d’éminents critiques, y compris Ghali Choukry qui préparait son ouvrage sur Mahfouz : L’appartenance , étude dans la littérature de Naguib Mahfouz. Cela dit, Mahfouz passait à ce moment par une période de fougue au niveau de la créativité et celui de la réception critique, c’est ce qui explique sa furie et son enthousiasme à affronter la fausse tempête qualifiée par les critiques de la disparition du roman. Mahfouz triomphait donc pour le roman et a écrit ce témoignage-document qui reflète une âme créatrice, connaisseuse, sortie d’elle-même, tout en reconnaissant le rôle des générations égyptiennes précédentes dans le domaine du roman. Et bien que la revue ait adressé sa question uniquement à Mahfouz, celui-ci était aussi intelligent pour être pris dans un discours égocentrique sur son parcours et son œuvre, il a préféré aborder le roman en général.

Ce document de haute valeur prouve combien Mahfouz connaît le parcours du roman arabe, ses orientations, aussi bien que le roman occidental et mondial.

Chaaban Youssef

 

 




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