Nucléaire iranien.
Le rapport des renseignements américains affirmant que
Téhéran a suspendu son programme militaire a infirmé les
arguments de Washington, selon lesquels l’Iran est le
principal danger pour le Moyen-Orient. Les Etats-Unis
contre-attaquent violemment face à des Arabes dans
l’incertitude.
L’épouvantail reste planté
Le
roi Abdullah bin Abdel-Aziz d’Arabie saoudite et le
président iranien Ahmadinejad, la main dans la main, bien
souriants. La photo diffusée, la semaine dernière, par
toutes les agences de presse, lors du sommet du Conseil de
la Coopération du Golfe (CCG) à Doha le 3 décembre dernier a
de quoi attirer l’attention. Vers où se dirigent ces deux
géants de la région, dont le passé aussi bien que le présent
témoignent de beaucoup de dissensions ? Voire toute la
région du Golfe semble antinomique à la puissance chiite.
Mais voilà que l’homme fort de l’Iran est venu assister à ce
sommet, une première depuis la création de ce conseil en
1981. Les premiers surpris et choqués furent évidemment les
Etats-Unis. Ils ont vu leur ennemi juré devenir la vedette
d’un sommet devant regrouper leurs alliés. Un autre indice
de rapprochement, c’est que le sommet s’est terminé même
avec une invitation iranienne d’accueillir, à Téhéran, la
prochaine réunion. Un virage dangereux ? Il a dû d’autant
plus inquiéter Washington qu’un rapport des renseignements
américains affirme que Téhéran a suspendu son programme
d’armes nucléaires.
Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, n’a pas
tardé à partir en croisade et aller faire retentir la
sonnette d’alarme. Il ne faut guère croire à ce rapport et
ces Arabes du Golfe devraient craindre l’Iran même plus
qu’Israël. Celui-ci s’est mis alors à rappeler les pays du
Golfe la « politique déstabilisatrice » de l’Iran et la
nécessité « de faire pression sur l’Iran économiquement et
diplomatiquement pour s’assurer qu’il ne développe pas de
programme nucléaire militaire », lors d’un forum organisé
par l’Institut international d’études stratégiques (IISS) à
Manama.
Sa phrase sur Israël a déclenché le rire des assistants à la
conférence. « Israël, en tant que puissance nucléaire
présumée, ne représentait pas une menace pour les pays du
Golfe comme l’Iran ».
Parallèlement à cette visite, le Pentagone aurait
l’intention de vendre pour plus de 10 milliards de dollars
d’armes et d’équipements militaires à plusieurs pays de la
région : Emirats arabes unis, Koweït et Arabie saoudite pour
« faire face aux éventuelles menaces de l’Iran ». En bon
marchand, Gates leur propose aussi de se doter d’un «
parapluie » antimissile. On s’interroge alors si ces mises
en garde américaines auront oui ou non des échos chez ces
monarchies comme cela s’est toujours passé, ou peut-on
espérer qu’il est temps pour que ces pays commencent à
entamer un vrai dialogue avec l’Iran ? Une réponse difficile
à trouver notamment pour la seconde partie de la question,
au moins au présent, puisque avec un simple flash-back, on
est frappé par les dissensions qui se poursuivent sans répit
entre Téhéran et les pays du Golfe.
Les racines d’un différend
Des voisins mais aussi des adversaires. La méfiance a été
toujours le trait principal qui caractérise la relation
entre la République islamique et ces monarchies pétrolières.
Des dissensions à tous les niveaux. Au départ, c’est la
controverse sur la nomination même du Golfe. Pour les
Iraniens, c’est le « le Golfe persique » qui est le nom
historique employé depuis l’antiquité : Al-Bahr Al-Farsi par
des géographes arabes médiévaux. Les Arabes du temps
présent, eux, le nomment le Golfe arabique, et rappellent
qu’il fut longtemps appelé le Golfe de Bassora (ville arabe
d’Iraq). Une insistance iranienne que les pays du Golfe
interprètent comme une sorte de désir d’hégémonie sur la
région. En fait, c’est une accusation qui trouve ses racines
dans l’histoire. Dans les années 1950, durant la règne du
chah, celui-ci était pointé du doigt par les pays du Golfe
parce qu’alimentant, selon eux, les conflits ethniques dans
leurs monarchies. Abdel-Ghaffar Chokr, politologue, raconte
que durant cette époque les membres des renseignements
iraniens circulaient parmi les chiites de ces monarchies,
les incitant de réclamer leurs droits politiques et sociaux.
Une affaire dangereuse pour ces pays sunnites, dont la
population est pour une bonne part chiite. Ceux-ci
représentent plus du quart de la population koweïtienne,
alors qu’ils sont de l’ordre de 70 % à Bahreïn. En outre,
une importante minorité se trouve concentrée dans la partie
orientale de l’Arabie saoudite, une région riche en
ressources pétrolières.
Le temps du chah est révolu, et celui des mollahs prenait la
relève avec une révolution réussie. Et les pays du Golfe ont
craint de nouveau un effet de contagion. Un autre incident
venait pour élargir de plus en plus le fossé entre les deux
parties, c’est l’occupation de Téhéran des trois îles
stratégiques des Emirats, à l’entrée du Golfe, en 1971. Que
faire alors pour confronter ce défi iranien ? Les pays du
Golfe ont recouru à ce qu’on appelle « la diplomatie des
petits pays », dit Mohamad Saïd Idriss, chef du magazine
Digests Iraniens au Centre des Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Celle-ci exige de recourir
soit à un pays régional ou étranger pour établir une sorte
d’équilibre dans la région. Et les pays du Golfe n’ont pas
retardé de recourir aux deux options.
La première régionale était l’Iraq, un autre pays géant dans
la région, et la seconde les Etats-Unis. L’Iran n’a jamais
oublié le rôle important qu’avaient joué ces pays durant sa
guerre, qui a duré 8 ans avec l’Iraq, en présentant à ce
dernier, avec la coopération des Etats-Unis des aides
financières et des armes. Entre-temps, leur alliance avec
les Etats-Unis est allée de mieux en mieux. Des accords
militaires bilatéraux ont été signés avec Washington,
d’après lesquels des bases navales et militaires américaines
ont été installées dans ces pays, sans exception. Plus de 40
000 militaires américains sont aujourd’hui présents dans ces
pays.
Une présence que l’Iran a toujours jugée sévèrement et
répète toujours que « la sécurité dans le Golfe persique
doit rester une question régionale ».
Et avec la déclaration iranienne d’enrichissement de
l’uranium, une nouvelle page de différends s’ouvre. Le
réacteur de Boushehr est plus proche du Koweït ou de Bahreïn
que de Téhéran, a-t-on dit. Le rapport des renseignements
pourrait apporter une brèche dans ce raisonnement que les
Etats-Unis maintiennent pour gagner à eux ces pays.
Vient s’ajouter aussi l’ingérence de Téhéran en Iraq.
Téhéran est accusé par les monarchies de jouer le même rôle
déstabilisateur que celui des Etats-Unis dans ce pays.
l’Iran devient-il alors un affreux spectre pour les pays du
Golfe ? Somme toute, s’il s’agit de menace, elle provient
surtout des surenchères américaines. Les pays arabes, ceux
du Golfe notamment, sont sur la ligne de feu. D’où leurs
réserves face à l’Amérique et son envoyé Robert Gates.
Inquiets du bras de fer entre Téhéran et Washington sur le
nucléaire, ils ont exprimé leur hostilité à toute action
militaire contre l’Iran à l’occasion d’une conférence
régionale sur la sécurité. « Nous voulons que le facteur
militaire (du programme nucléaire de l’Iran) soit écarté »,
a déclaré le secrétaire général du Conseil de
Coopération du Golfe (CCG), Abdelrahmane Al-Attiyah.
« Nous sommes attachés au CCG à trouver des solutions qui
favorisent la sécurité et la stabilité (...). Le dialogue
est le moyen de régler la crise ». Le premier ministre du
Qatar, cheikh Hamed bin Jassem Al-Thani, a été plus loin,
appelant Washington à engager le dialogue avec Téhéran pour
parvenir à une solution. « Nous ne pourrons pas régler les
problèmes en isolant l’Iran qui est un acteur très important
», dans la région, a-t-il ajouté.
D’ailleurs même l’Iraq, occupé par les Américains, a fait
volte-face. Le conseiller national à la sécurité de l’Iraq,
Mouaffak Al-Roubaïe, a plaidé pour un pacte de sécurité dans
le Golfe, incluant l’Iran, tout en assurant les alliés de
Washington dans la région que la politique étrangère de
Bagdad « mettait le cap sur l’Occident ». Mais M. Roubaïe a
aussi critiqué l’Arabie saoudite et l’Iran qui, selon lui,
sont en train de régler leurs comptes sur le sol iraqien et
a appelé à une réconciliation régionale. « Il est
extrêmement important d’avoir une réconciliation régionale
plutôt qu’une intense tension inter-confessionnelle dans la
région ».
Des réserves qui pourraient mettre en cause les différentes
formules mises en place par les Etats-Unis et les pays
arabes avec comme vecteur commun un Iran chiite source de
menace pour un monde arabe sunnite. Ceux-ci avaient formé,
sous la houlette américaine, un groupe comprenant l’Egypte
et la Jordanie, le CCG+2, qui s’est réuni plusieurs fois à
partir de 2006 en présence de Condoleezza Rice, un groupe
informel de travail qui pourrait être qualifié de front
sunnite contre l’Iran. Ils participent aussi au Gulf
Security Dialogue, une démarche américaine destinée à
améliorer la coopération de défense avec les Etats-Unis.
Pour Idriss, malgré les critiques de certains pays du Golfe,
comme le Koweït, de cette présence iranienne, personne ne
peut nier que Téhéran avait réalisé une certaine «
infiltration dans ce blocus régional imposé par les
Etats-Unis » et d’ajouter que ce sommet avait montré aussi
une certaine acceptation de la nécessité de la coopération
sécuritaire.
Une relation à double visage. Malgré les dissensions
politiques, les relations économiques sont toujours
fructueuses. « Ceci est dû essentiellement à la communauté
chiite qui se trouve dans ces monarchies et qui est très
active dans ce domaine », dit Idriss. Il suffit de savoir
que les Emirats, malgré le conflit territorial avec l’Iran,
sont le grand partenaire économique de la République
islamique. On compte 7 000 sociétés dépendant de la
République islamique qui ont un bureau à Dubaï.
Le facteur Israël
C’est dire à quel point la situation échappe aux Américains.
Des erreurs de calculs qui se suivent concernant cette
région. Pour Rochdi Younsi, analyste chez le groupe de
recherche Eurasia Group, les conclusions des services
américains de renseignements ne vont qu’aviver un peu plus
le sentiment anti-américain dans la population arabe. «
L’opinion publique au Moyen-Orient a réagi dans l’ensemble
par un mélange de soulagement et de colère à la publication
du rapport du National Intelligence Estimate », a-t-il dit.
« Les pays arabes du Golfe jugent toujours particulièrement
suspectes les ambitions de Téhéran ». Mais pas au point d’en
devenir des ennemis comme le veulent les Américains, poussés
évidemment par Israël.
Le premier ministre israélien, Ehud Olmert, a voulu
contredire le rapport américain en affirmant que l’Iran
pourrait être en mesure de disposer de l’arme nucléaire
d’ici 2010. C’est ce qu’ont rapporté les médias
israéliens citant le premier ministre Ehud Olmert. Celui-ci
a affirmé qu’Israël continuerait d’agir afin que des
sanctions soient imposées à l’Iran. M. Olmert a tenu ces
propos devant son cabinet de sécurité.
De plus, le chef d’état-major interarmes américain, l’amiral
Mike Mullen, a eu lundi une série d’entretiens en Israël sur
le nucléaire iranien. L’amiral Mullen a rencontré le
ministre israélien de la Défense Ehud Barak et entendu des
comptes rendus des services de renseignements israéliens.
Tout est clair donc : cette virulence américaine a bien pour
cause son allié. Et c’est ce qui explique d’ailleurs
cette méfiance arabe.
Aliaa Al-Korachi