Dans son dernier roman Al-Rakd fawq al-mae (galoper au-dessus de
l’eau), l’écrivain égyptien Mahmoud
Qassem plonge dans l’univers des scribes inconnus dont la
plume est au service de personnages illustres. Al-Ahram Hebdo en
publie un extrait inédit.
Le
prix
Il
avait obtenu le prix.
J’ai assisté à la conférence.
Ils ont appelé son précieux nom, avec beaucoup de fierté et de
contentement. Il a quitté son siège, défait les boutons de sa
veste, et avec une confiance en soi bien évidente se dirigea
vers l’estrade pour saluer la personne importante. Il faisait
exprès de parler avec lui, comme s’il lui demandait quelque
chose, ou peut-être insinuait–il au public qu’une profonde
relation les reliait. Il reçut un certificat de considération.
Il éleva la feuille en l’air, pour permettre aux porteurs de
caméras de prendre autant de photos qu’ils voudraient pour son
journal et pour les autres journaux. Cependant, il lui fallait
laisser la place à un autre collègue qui avait obtenu le Grand
prix pour son livre en cette fin d’année.
Le
jour suivant, les ordres me vinrent de la directrice de son
bureau de me diriger vers la conférence. Je m’assis, à sa place,
devant la table pour débattre des livres gagnants de cette
année, alors que le président de la séance répétait:
—
Le grand Ecrivain Assem Al-Nayale s’excuse de ne pas assister à
cette conférence pour discuter de son livre. Monsieur Amer
Moftah va le faire à sa place.
Ce
qualificatif me perçait les oreilles comme si je venais de
l’entendre pour la première fois ou que je venais de l’écrire
pour la première fois également. Le grand Ecrivain ! Le
président de la séance comprenait-il son sens exact ? Il m’avait
présenté en tant que Monsieur sans écrivain, ni grand …
Est-ce que Assem Al-Nayale était vraiment un grand Ecrivain ?
Parce qu’il était le PDG d’une grande institution
journalistique, qu’il avait plein de responsabilités, un compte
en banque, et qu’il détenait le destin de ces êtres nombreux qui
travaillaient pour lui, qui étaient prêts à arracher toute ma
chair. Et ceci s’il me venait à l’esprit le désir de demander
qu’on me nomme, moi, le grand Ecrivain, alors que c’était moi le
vrai auteur du Paradis désespéré nommé actuellement Les Coups du
destin. Je devais présenter les événements du livre maintenant
en m’adressant à ce public qui avait l’air d’être sous le choc à
cause de l’absence de son Maître à la conférence. Ils étaient
venus tous remplir la salle, tout en sachant parfaitement la
vérité qu’ils échangeaient à voix basse sans qu’une quelconque
personne n’ait le courage de la crier à haute voix. Sans doute
parce qu’il existait parmi eux au moins 10 personnes qu’on
pouvait nommer écrivain. Personne ne savait ce qu’écrivait
l’autre, comme pour moi, qui le faisait en cachette.
Moi, le citoyen Amer Moftah, le responsable de la rubrique des
reportages politiques dans cette grande institution
journalistique, je n’étais présent ici qu’en tant que
journaliste pour débattre de ce livre qui avait obtenu le prix.
L’heure de la vérité était venue donc, afin que je dise
l’entière vérité et pour permettre à ces écrivains de l’ombre de
devenir plus célèbres qu’ils ne pensaient. Je n’avais qu’à
déclarer que j’étais le réel auteur des Coups du destin ainsi
que de 3 des 15 autres livres déposés à la Bibliothèque
nationale et signés Assem Al-Nayale. En plus, je pouvais
certifier que je connaissais au moins 4 des auteurs réels de ces
livres.
Le
temps était venu d’annoncer que j’étais l’écrivain réel des
articles politiques du Maître, que Nagui Al-Sabbah était
l’auteur de ceux du quotidien, que Ragaa Salah était l’auteur de
l’article artistique et que Sahar Emadeddine partageait avec
Raouf Sobeih les articles sur l’art et …
Le
président de la séance répétait :
—
Nous allons écouter Amer Moftah qui va nous parler à la place du
grand écrivain …
Il
se passa ce qui m’arrivait d’habitude dans ce genre de
situation, c’est-à-dire le fait de m’identifier avec le Maître,
de l’imaginer alors qu’il m’habitait. Toutefois, il y avait une
seule différence, celle d’accepter que l’on m’appelle d’un autre
nom, celui de Assem Al-Nayale. Mais pourquoi était-ce un autre
nom ? N’était-ce pas mon pseudonyme utilisé par le PDG à ma
place ?
Je
fus habité par un enthousiasme que je connaissais déjà alors que
je parlais de ce que j’avais écrit avec compréhension et
lucidité en faisant exprès de ne pas regarder dans les yeux des
gens pour ne pas sortir de cet état d’âme qui m’habitait comme
d’habitude. A la fin de mes propos, la salle applaudit
fortement. Elle applaudissait pour deux personnes à la fois ou
peut-être pour sa seule personne, celle présente qui avait pu
fidèlement lire la feuille rédigée comme étant celle du grand
écrivain. Il venait d’analyser de manière intéressante le XXIe
siècle qui avait commencé avec le choc du 11 septembre et
l’Afghanistan, ainsi que l’Iraq qui venait s’ajouter aux chocs
du siècle précédent et à leur tête la Palestine qui ne trouvera
pas de solution politique avant un demi-siècle à venir.
Les questions des gens de la cour déferlèrent à propos du livre
et les idées qu’il contenait. Ce n’étaient pas de vraies
questions, mais une sorte de sacralisation pour chacune des
lignes écrites par lui et de ses nouvelles idées ainsi que de
son style (combien est-il important le mot style !). Ceci dura
jusqu’à ce que vînt une vraie question qui me plongea dans
l’embarras plus qu’elle ne le fît pour les gens de la cour :
—
Les idées du livre sont-elles de Assem Al-Nayale ou sont-elles
celles d’une autre personne ?
La
question semblait être comme un virus d’ordinateur capable de
détruire toutes les protections contre les virus de tous les
ordinateurs du monde. Un virus pouvant couvrir l’écran d’une
page blanche sans aucune ligne apportant une quelconque
information. Je ne me souvins pas de ce que répondit le
président de la séance pour faire face à cette question qui
pouvait amenait tant de dégâts. Cependant, je pus certifier que
je payais le prix fort en ingurgitant 8 bouteilles de whisky sur
un estomac vide dès que le chauffeur de l’institution me fit
sortir de l’endroit de la conférence pour se diriger vers un
hôtel aux confins de la ville …
Etait–il important que l’être humain refasse ses comptes ? Et
qu’en était la valeur au milieu de ces luxueuses bouteilles
payées en dollars sur le compte de l’institution ? Etait-ce de
mon droit de m’effondrer à ce point ou de refaire mes comptes
pour découvrir qu’à l’intérieur de moi et dans un petit recoin
se tenait ce jeune homme perdu dans les ruelles du Caire avant
de parvenir à être un stagiaire dans l’institution ?
Je
décidais d’arrêter cette façon traditionnelle de me raconter.
L’écriture devait se faire d’après ma manière à moi et non la
sienne.
Question : Rêvais-tu alors que tu habitais cette ruelle
d’ingurgiter 8 bouteilles de whisky sur le compte de
l’institution ?
Réponse : Rêver … Jamais, car ce genre de rêve ne traversait pas
l’esprit d’aucun être parmi nous. Le maximum que je pouvais
rêver de réaliser, c’était d’emprunter un livre à la
bibliothèque de l’organisme auquel je fus rattaché à ma sortie
de l’armée en 1975. Mon salaire était de 17 livres égyptiennes
et le journal coûtait une piastre. Une trentaine de journaux
pour connaître les nouvelles de la vie qui se métamorphosaient
rapidement en bavardages parmi les employés et les employées
dont la nourriture se dispersait au-dessus de leurs bureaux sur
les feuilles des journaux et qui se jetaient aux visages les
nouvelles des journaux. Rêver ? Je n’avais pas de rêve en
particulier. Mon rêve était de terminer mon service militaire et
de sortir vers le monde de la ville. Ils m’avaient envoyé une
nomination dans un secteur de services dans une institution
sociale malgré que mon diplôme certifie que je devais devenir
ambassadeur ou consul ou même attaché du consul. Rêver ? Le vrai
rêve était que je reste dans cette pièce le plus longtemps
possible. Quatre pièces qui étouffaient sous le poids de 16
étudiants représentant plus de 7 facultés et 8 gouvernorats.
Cinq étudiants de la Basse-Egypte et 3 de la Haute-Egypte qui me
prenaient pour un exemple à suivre. Un jeune homme qui lisait
énormément et qui disparaissait quelquefois sans savoir où il
allait. Je vais dire où j’allais. On se réunissait là-bas pour
manger et boire et déclarer notre rébellion contre la politique
d’ouverture qui avait rempli les marchés de boîtes de compotes
et de 23 genres de parfums luxueux ainsi que du même nombre de
réelle eau gazeuse qui avait réussi à chasser les eaux de
mauvaise qualité, c’est-à-dire l’eau à laquelle on avait rajouté
du sucre et (…).
Traduction
de Soheir Fahmi |