Proche-Orient. La réunion
organisée aux Etats-Unis sur le règlement de la crise palestino-israélienne
prend l’aspect d’un congrès cérémonial à l’heure où les divergences sur les
dossiers fondamentaux paraissent insurmontables.
En attendant l’après-Annapolis
AÇa
passe ou ça casse ... C’est un peu la question clef de cette conférence
d’Annapolis, où le président américain George W. Bush a invité des responsables
israéliens, palestiniens et de 40 autres pays, dont 15 pays arabes, à une
réunion censée relancer le processus de paix au Proche-Orient en panne depuis
sept ans. Le chef de l’exécutif américain qui agit un peu comme une sorte
d’empereur romain voulant mettre de l’ordre dans les marches orientales de
l’empire où les populations locales sont en colère, se révoltant parfois
contrés par une garnison qui n’est autre qu’Israël, a choisi la ville
d’Annapolis pour ce congrès. C’est la capitale de l’Etat du Maryland. Située en
bord de mer, sur la baie de Chesapeake, elle fait partie intégrante de la
grande agglomération qui regroupe Washington DC et Baltimore, la plus grande
ville du Maryland. En 2000, sa population était de 35 838 habitants.
La
ville abrite l’Académie navale d’Annapolis (en anglais United States Naval
Academy) et le St John’s College. Aujourd’hui, elle est célèbre pour son
architecture géorgienne et le nautisme à voile dans la baie de Chesapeake. Là
peut-être, le climat sera favorable à quelque chose, un point de départ vers
des négociations. Oui des négociations nouvelles. il y en a tellement eu de
manifestations de ce genre que l’on peut oublier l’une ou l’autre (lire page
5). A des milliers de kilomètres d’Annapolis à Gaza, lieu enclavé où les
Palestiniens sous la maîtrise d’un Hamas diabolisé, vivent les moments
difficiles, sans grand espoir de changement, minés aussi par la direction
bicéphale avec l’Autorité palestinienne (en Cisjordanie) la seule
internationalement reconnue. Pour eux, c’est justement « ça passe ou ça casse
». D’ailleurs, un marchand de souvenirs de Gaza propose à ses clients un « mug
» à casser si les attentes suscitées par cette réunion ne sont pas au
rendez-vous. Symbole d’espoir, la tasse « ça passe ou ça casse » est ornée
d’une colombe et d’un rameau d’olivier, mais signe de doute, elle est vendue
avec des instructions pour la briser si la conférence fait un « flop ». « Ce
souvenir est fait pour être conservé, mais, en cas d’échec de la conférence,
brisez-le », est-il écrit sur le « mug » du marchand Tareq Abou-Dayya à Gaza,
qui se vend comme des petits pains malgré son prix relativement coquet de 2,50
dollars la pièce.
En
fait, chacun s’est rendu avec son propre agenda bien connu de tous pour une
rencontre protocolaire où déjà l’on savait que ce qui compte c’est ce qui
interviendra après.
L’après-Annapolis
compte bien plus qu’Annapolis même. D’ailleurs, ce sont les Etats-Unis
eux-mêmes qui l’ont affirmé d’emblée et bien avant la réunion. Washington table
sur ce qui viendra après et la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice,
estime que « le lancement des négociations palestino-israéliennes suffirait en
soi à faire de la réunion un succès ». Et tout se passe comme si le président
Bush voulait redorer son blason et faire quelque chose. D’ailleurs, le
négociateur palestinien Ahmad Qoréi à son arrivée avec Mahmoud Abbass à
Washingon a bien émis l’espoir que l’on arrive à un règlement vers 2008 avant
la fin du mandat du président Bush. Même son de cloche chez les Israéliens. Le
premier ministre Ehud Olmert a jugé possible de parvenir à un accord définitif
en 2008.
Un flou artistique
Des
espoirs lointains comme cela était le cas dès le départ. Dès Camp David pour ne
pas remonter à plus loin. Nombre d’experts jugent que la situation est plus
complexe encore que lors de Camp David en 2000. L’opposition d’Israël au
partage de Jérusalem est plus intense, car les colonies juives ont été
agrandies. De plus, Israël table sur les roquettes tirées à partir de Gaza par
les miliciens du Hamas et de la division interpalestinienne pour retarder toute
ouverture. « A part des discours et une déclaration commune, pas grand-chose »,
soulignait le quotidien Maariv : un énième appel du président américain George
W. Bush à la création d’un Etat palestinien viable, la fin des violences, le
gel de la colonisation et bien d’autres.
Quelle
utilité donc ? N’est-ce pas des choses décidées ? Le politologue Saïd Okacha du
Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram récuse même l’idée
qu’Annapolis va préparer quelque chose pour un prochain avenir. « Il n’est même
pas question de l’après-Annapolis que ce soit pour les Américains ou pour les
participants dont les déclarations et communiqués ne reflètent qu’une idée : il
ne s’agit que d’un forum de discussions. Voire, c’est le contraire qui est
vrai. Cette rencontre marquera la fin du mécanisme des négociations qui a
commencé avec Camp David et s’est terminée par la Feuille de route en passant
par bien d’autres ». Il justifie son pessimisme par le fait que « le minimum
des exigences palestiniennes est le retour aux frontières de juin 1967. Ceci
est impossible pour Israël ». Pour ce spécialiste du dossier
palestino-israélien, il y aurait quand même une « nouvelle voie de règlement
qui s’articulerait sur des congrès internationaux et l’élargissement de la
question pour arriver à un échange des territoires entre les pays de la région
en tant que tels ». Des échanges d’intérêts plus qu’un focus pour cette
question palestinienne. Des vues que pourrait confirmer l’état actuel des
choses dans la région. Une fois de plus, cette Amérique embourbée au
Moyen-Orient affrontant l’Iran voudrait se servir de son gendarme qui est
Israël pour tenter de s’en sortir. Des vues que certaines évolutions ne
manquent de confirmer. La participation de la Syrie par exemple qui a donné
pour condition l’ouverture du dossier du Golan, une démarche en solitaire de
Damas naguère partisan pur et dur de la cause palestinienne (Lire page 4).
D’ailleurs,
c’est presque en ordre dispersé que les Arabes ont participé, et la ministre
israélienne des Affaires étrangères, Tzipi Livni, qui a salué les pays arabes
participants à la réunion, a estimé qu’ils ne devraient pas se mêler des
discussions bilatérales israélo-palestiniennes. « Le monde arabe n’est pas
supposé définir les termes des négociations ou s’y impliquer », a dit Livni. De
quoi ajouter à la confusion et au désaccord fondamental entre les deux parties.
En
fait, Israéliens et Palestiniens se sont rendus à Annapolis sans s’accorder sur
un document commun fixant les contours d’un règlement en vue de la création
d’un Etat palestinien indépendant. Les négociations ont connu de sérieuses
difficultés, comme l’a déclaré le négociateur palestinien, Saeb Eraqat. Mais
toujours est-il que l’on regarde au-delà de la rencontre. Emad Gad, rédacteur
en chef d’Israeli Digest publié par le Centre d’Etudes Politiques et
Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, considère que de « grandes chances sont
ouvertes. Ces négociations donnent lieu à plus haut degré d’optimisme et
constituent une approche réaliste de certains dossiers comme celui des réfugiés
et de Jérusalem. Cela accorde une plus grande chance qu’Oslo et Camp David ». Pour
lui, les dernières rencontres, au nombre de dix, entre Olmert et Abbass ont
aidé « à une entente sur certains points, même si elles ont révélé des
divergences sur d’autres, dont ces compensations de 85 milliards de dollars
pour les réfugiés palestiniens ». Pour Gad, deux facteurs importants jouent en
faveur de sa théorie. D’une part, après l’échec de Camp David II, en 2000, sept
ans de conflits et d’affrontements sanglants ont suivi. De quoi donner à
réfléchir à toutes les parties. D’autre part, la personnalité d’Abou-Mazen fait
de lui un partisan des solutions réalistes. « Ses rapports avec les Israéliens
sont solides. Il n’a pas les mêmes calculs qu’avait un Arafat quant à la prise
de décision pour une solution définitive », ajoute Gad.
Le facteur Hamas
S’empresser
de régler reste aussi justifié par une crainte d’une augmentation de
l’influence du Hamas. L’organisation fermement opposée à la conférence a
indiqué que le peuple palestinien « ne tiendrait pas compte des éventuelles
décisions prises à la réunion. Elles n’engageront pas le peuple palestinien car
celui-ci n’autorise personne, qu’il soit arabe ou palestinien, à tirer un trait
sur ses droits », a lancé le porte-parole du Hamas, Fawzi Barhoum. Tout aussi
ferme, le chef du gouvernement du Hamas à Gaza, Ismaïl Haniyeh, a déclaré que «
personne n’est mandaté pour renoncer aux droits du peuple palestinien, et en
particulier le droit au retour des réfugiés ». A ces prises de position fermes,
il a ajouté une volonté de résistance, de multiplier les attaques contre les
forces israéliennes à Gaza et en Cisjordanie après la réunion. « La période qui
va suivre la conférence d’Annapolis verra une augmentation par tous les moyens
et les formes de la résistance, dans la bande de Gaza et en Cisjordanie, contre
l’occupation sioniste », a affirmé le bras droit du chef du Hamas, Khaled
Mechaal, Moussa Abou-Marzouk, dans un communiqué publié sur le site Internet du
Hamas.
Si le
Hamas paraît aussi résolu, c’est parce qu’il est sûr que le processus qui a
mené à Annapolis et qui en découlera ne mènera à rien. Autrement il ne se
serait pas aliéné un monde arabe qu’il indispose et l’Occident qui le qualifie
de terroriste. Fuite en avant ? Pour Okacha, l’après-Annapolis pour le Hamas
donne lieu à deux possibilités : « La première serait qu’il craint un accord
entre Arabes et Israéliens qui l’isolerait davantage et l’obligerait de se
retirer de la scène. La deuxième serait beaucoup plus de tension et de violence
sur la scène palestinienne ». Pour le politologue, ce mouvement doit voir les
choses de manière pragmatique, sinon « il serait le seul perdant, Israël ayant
les moyens de couper les acheminements de pétrole et d’électricité ».
Le
rideau est de toute façon levé sur un premier acte d’un théâtre itinérant. La
suite se déroulera, mais l’épilogue est-il pour demain ou après demain ou même
plus tard encore ?.
Ahmed Loutfi
Chaimaa Abdel-Hamid