Sénégal.
Le pays est secoué par une profonde crise socioéconomique
qui reflète avant tout l’affaiblissement du pouvoir.
Crise suspendue
Depuis
plusieurs semaines, le président Abdullah Wade multiplie les
faux pas. Le pouvoir semble en effet de plus en plus
affaibli et déstabilisé. Pour preuve, les différentes
mesures prises pour être ensuite suspendues. La dernière en
date concerne la crise socioéconomique que traverse le pays
depuis plusieurs semaines.
A l’origine, une situation qui s’apparente à une simple
crise économique due à la hausse des prix. Exaspérée par la
baisse du niveau de vie, la population a très mal réagi à la
décision des autorités d’interdire aux nombreux marchands
ambulants de travailler sur les trottoirs de Dakar. Une
mesure qui a mis le feu aux poudres et qui a provoqué
d’importantes et violentes manifestations émaillées
d’incendies d’édifices publics. Face à cette flambée
inhabituelle de violences, les autorités ont fait marche
arrière et autorisé ces commerçants à poursuivre leurs
activités jusqu’à fin décembre. Dans une autre mesure
d’apaisement, la police a annoncé la libération des 209
manifestants arrêtés mercredi et jeudi derniers lors des
échauffourées entre la police et les manifestants.
Depuis le 15 novembre, la police et la gendarmerie avaient
mené des opérations dites « de déguerpissement » pour
expulser des trottoirs de Dakar leurs traditionnels
occupants, des commerçants « tabliers » ou ambulants, des
mendiants et des cireurs de chaussures. Cette interdiction,
décidée par le président Abdoulaye Wade, a fortement
pénalisé le secteur informel, qui génère la quasi-totalité
des emplois au Sénégal. Mais M. Wade a semble-t-il mal
calculé son pas, la mesure ayant provoqué des manifestations
parmi les plus violentes depuis son élection en 2000. Lors
de ces manifestations, des jeunes gens se sont joints aux
marchands ambulants concernés par la mesure pour exprimer
eux aussi leur mécontentement en raison de leurs conditions
de vie.
Cependant, si la volte-face des autorités a ramené un
certain calme dans les rues de la capitale Dakar, la crise
n’est pas pour autant résolue. Ces récentes protestations
constituent l’expression d’un ras-le-bol des franges les
plus démunies de la population, frappées de plein fouet par
de récentes hausses des prix des produits de première
nécessité. Une marche de protestation contre la hausse des
prix à l’appel de 18 centrales syndicales avait été annulée
en raison des incidents.
Pour le moment donc, le président Abdullah Wade ne fait que
suspendre temporairement la crise et la reporter avec
l’espoir de trouver une issue véritable. Une approche déjà
utilisée par les autorités sénégalaises et qui reflètent les
faiblesses du pouvoir.
Le 5 novembre dernier, le gouvernement avait déjà renoncé,
devant un rejet unanime des syndicats, à un projet de baisse
des salaires des fonctionnaires annoncé deux jours plus tôt
par le président Wade. Cette ponction salariale devait
servir à financer un fonds de solidarité censé subventionner
les prix des denrées de première nécessité, en nette
augmentation ces dernières semaines. Pour plusieurs
observateurs, ces revirements répétés marquent une rupture
avec l’Etat de grâce, né de la réélection du président en
février pour un nouveau mandat de cinq ans. « La réflexion
et la planification ont cédé la place à l’improvisation et
l’informalisation de l’Etat », affirme Alioune Tine,
secrétaire exécutif de l’ONG la Rencontre Africaine pour la
Défense des Droits de l’Homme (RADDHO), cité par l’AFP.
Selon lui, « l’hyperprésidentialisation du régime de Wade a
affaibli l’Etat sénégalais » qui prend des décisions sans
les mûrir, assure-t-il.
Mis à part la décision concernant les salaires et celle
concernant le marché informel, M. Wade a aussi fait une
autre volte-face en suspendant jeudi soir la décision de
retrait du pays de l’Agence pour la sécurité de la
navigation aérienne en Afrique et Madagascar (Asecna), dont
l’annonce avait provoqué un vif émoi le 15 novembre au sein
de cette organisation. Abdoulaye Wade « s’est dédit trois
fois en moins d’un mois. C’est beaucoup pour un gouvernement
», relève ainsi Mody Niang, auteur de livres critiques sur
M. Wade, cité par l’AFP. « L’Etat (sénégalais) est affaibli.
Il reflète l’inconstance de Wade, son caractère imprévisible
et ondoyant », estime M. Niang. Mauvais signe pour un des
pays les plus « stables » du continent.
Lors de sa réélection en février 2007, M. Wade avait promis
de faire du Sénégal un pays émergent et devra pour ce faire
dynamiser l’économie et résoudre, au moins en partie, les
graves problèmes sociaux du pays. Or, celui-ci connaît un
net ralentissement économique, mettant le pouvoir dans une
situation difficile face à des promesses non tenues.
Abir
Taleb