Al-Ahram Hebdo, Visages | Amin Sami Wassef, Laic, catesien et recalcitrant
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 Semaine du 21 au 27 novembre 2007, numéro 689

 

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Visages

Professeur émérite de civilisation française à la faculté des langues, Amin Sami Wassef continue à prôner ses principes libéraux. A 86 ans, il vient de lancer un dictionnaire Clé des sigles, publié, en premier, au Liban, en 2006.  

Laic, catesien et recalcitrant 

« Le peuple est l’âme d’un pays. Ses convictions et son esprit forment la conjoncture socio-politique des Etats ». Tel est l’adage d’Amin Wassef et la clé de sa philosophie de vie, humaine, libérale et surtout laïque. A 86 ans, il a une mémoire d’éléphant et une intelligence rare. Toujours à l’heure, il continue à enseigner à la faculté des langues (Al-Alsun, Université de Aïn-Chams) et depuis 1985, il est aussi délégué à la faculté de pédagogie, de la même université, et à l’Institut de linguistique et de traduction, à l’Université d’Alexandrie. « La langue française ne mourra jamais. Elle est l’expression de la liberté, de la dignité et du droit ». Ce sont ces trois valeurs qu’il tente d’inculquer à ses étudiants.

Né à Tahta, en Haute-Egypte, Amin Sami Wassef, d’un militaire laïque, un garde-côtes, sous le régime monarchique de Fouad 1er et d’une mère orthodoxe, soumise à la règle liturgique et ne donnant aucune place à la raison. Quinze jours après sa naissance, sa famille s’installe à Alexandrie où a été muté son père. A l’âge de 16 ans, après la mort du père, Amin s’est retrouvé face à deux familles, à convictions religieuses différentes. Une laïque et l’autre très attachée à la religion, bien sûr celle de sa mère. Mais c’est la famille du père qui avait le plus grand impact. Elle comptait 23 oncles et tantes, dont le fameux Wissa Wassef. Ce dernier était non seulement un défenseur de la culture française, mais aussi un fin politicien, du temps du leader de la révolution de 1919, Saad Zaghloul. Ensemble, ils revendiquaient, avec les autres membres du parti Al-Wafd, l’indépendance de l’Egypte. Wissa Wassef, devenu président de la chambre des députés sous le règne de Fouad 1er, a orienté le parcours éducatif de son neveu, mais aussi a piloté sa pensée et sa culture. « Mon oncle avait un culte pour la France, vu qu’il a fait des études de droit à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Mon grand-père l’a envoyé en France pour parachever ses études et suivre le modèle de Réfaa Al-Tahtawi. Un symbole libéral de modernisme en matière d’idées, lequel a libéré l’Egypte de son obscurantisme. C’est lui qui a fondé l’Ecole supérieure des langues, (actuelle faculté d’Al-Alsun). C’était un institut de haute culture intellectuelle, fréquentée par des jeunes savants polyglottes », raconte ce professeur de civilisation française, qui a obtenu en 1938 son baccalauréat en philosophie, du collège Saint-Marc d’Alexandrie. Puis, en 1942, il a eu une licence ès lettres de l’Université Fouad 1er au Caire. « Mon oncle a tenu à ce que ses jeunes frères donnent à leurs enfants une éducation purement française. Comme c’était l’esprit de famille qui existait autrefois, je n’ai pas pu tenir tête à l’autorité parentale, très conservatrice. J’ai dû, sans contestation, suivre la filière française ». Et d’ajouter : « Mon oncle trouvait que la formation française convenait plus à la formation des jeunes, leur inculquant un sens civique très poussé et une forte tendance à la laïcité ».

Le germe de la laïcité a trouvé terre. Amin Wassef est parti en France, en 1950, pour une bourse de deux ans, à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. « Etudier en France était un rêve. En 1948, le gouvernement français proposait des bourses de stage en France. Le gouvernement égyptien l’a accusé de décerner ces bourses aux ressortissants juifs. Alors et pour trouver une solution, ces bourses ont été cédées au ministère de l’Education publique et ont été mises en concours. J’ai passé le concours et j’ai pu décrocher une bourse à l’école de Saint-Cloud ».

Amin Wassef a alors réussi à obtenir un diplôme d’études supérieures, avec mention Très bien et félicitations du jury, de cette école prestigieuse. « Le retour en Egypte en 1952 était l’une des périodes noires de mon existence. Ils ont prétendu que j’avais été classé premier, simplement car mon nom commençait par la lettre A ». Ces années passées en France l’ont aidé à acquérir un esprit de précision et une méthodologie de recherche. Ainsi a-t-il pu rédiger autant d’ouvrages didactiques et a réussi à obtenir un diplôme dans l’histoire générale de l’art de l’Ecole du Louvre. A l’époque et en guise d’appréciation de la valeur intellectuelle du boursier, une lettre a été envoyée par l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud, au bureau des missions à Paris. Cette lettre le désignait pour poursuivre des cours d’agrégation. « Le gouvernement égyptien n’a pas admis ces cours. Car l’agrégation est un diplôme national et un titre qu’on n’attribue pas aux étrangers. J’étais choisi à ces cours d’agrégation, vu que j’étais le seul Egyptien, à l’école de Saint-Cloud, ayant des dispositions cartésiennes ».

Sous le titre L’Information et la presse officielle en Egypte, durant la campagne française, de 1798 à 1802, il rédigea sa thèse de doctorat. Ses recherches à la Bibliothèque nationale de Paris et aux archives militaires du château de Vincennes ont abouti et sa thèse a été publiée en 1975, par l’IFAO. C’est depuis cette date, et pendant 15 ans de travail quotidien ininterrompu que Wassef a élaboré son projet de dictionnaire : Clé des sigles, des abréviations et acronymes. Ce dictionnaire renferme 50 000 sigles multilingues dans tous les domaines.

La France était, à ce boursier, une terre féconde d’énormes possibilités d’études. C’est en France qu’il est parvenu au comble de la laïcité et des idées libérales. « La laïcité n’est pas comme le prétendent d’aucuns à l’esprit obtus et fanatique une tendance d’irréligion. Loin d’être un athéisme dissolvant, elle préconise l’adhésion à un humanisme exaltant l’épanouissement de l’individu et vise à la consolidation du lien social dans un esprit de franche fraternité. Les convictions religieuses de chacun d’entre nous sont intangibles et ne doivent pas être un ciseau d’ostentation. Il ne faut pas accepter d’emblée les orthodoxies dogmatiques. Vous êtes libre de choisir vos croyances mais vous n’êtes pas libre de les imposer aux autres ». Ces idées ont clairement influé la raison de ce professeur émérite de la civilisation française qui a trouvé en « l’affaire Dreyfus » l’événement le plus émouvant de la civilisation française. « On n’a pas le droit de persécuter un homme pour ses convictions religieuses. J’ai beaucoup apprécié la démarche de l’ex-président Jacques Chirac qui, à l’occasion du centenaire de l’affaire Dreyfus où un capitaine juif a été accusé d’espionnage, a envoyé une lettre d’excuse aux membres de sa famille », dit Wassef, ajoutant : « L’idéologie occidentale est basée avant tout sur l’esprit cartésien. C’est-à-dire, le culte de la raison, alors que les valeurs orientales s’en tiennent au fatalisme. D’après moi, l’Occident et l’Orient ne se rencontreront jamais ». Ce tiraillement entre la voie de la raison et celle de la religion a-t-il affecté la douceur de la vie conjugale, de ce partisan de la laïcité ? En fait, sa femme aimée, qui était elle aussi professeure à la faculté Al-Alsun, était comme toutes les personnes qui vivent en Orient se pliant à la norme liturgique. « Pour conserver la paix au sein de notre mariage, on s’était promis de ne pas aborder, à la maison, le problème de la religion. Ma femme avait un tempérament à la fois autoritaire et diplomatique. On s’entendait parfaitement, bien que chacun possède ses propres convictions religieuses. D’après moi, la véritable religion est l’amour de l’homme pour l’homme, abstraction faite de son ethnie, de sa couleur et de ses croyances », évoque l’époux fidèle au souvenir de sa femme décédée, il y a 7 ans, suite à un accident de voiture. Père d’une fille qui réside aux Etats-Unis, à qui, il a voulu donner une éducation purement laïque, Amin Wassef n’a pas pu s’adapter à la « monotonie » de la vie américaine. Il a préféré continuer sa vie, dans son pays natal. Et tient à occuper son temps au maximum. Une manière de se délivrer de sa solitude. « La victoire d’un homme est de vaincre une difficulté et la plus grande victoire d’un homme, c’est de se vaincre soi-même ». Pour ne pas se replier sur lui-même, Amin Wassef s’est lancé dans un tas d’activités. Le soir, dans sa maison très modeste, entre ses bricolages, ses recherches, ses papiers désordonnés et les thèses de doctorat, il aime entendre les grandes symphonies classiques et surtout les chansons de l’entre-deux-guerres, avec leurs aspirations, à la jouissance de la vie et à l’optimisme. « La vie, c’est le mouvement. Si l’on ne peut pas bouger, c’est comme si l’on était mort ». Mais il ne craint pas la mort. Avec assiduité, il se réveille très tôt le matin. Se dirige à son travail et à tout moment, il se voit entouré d’étudiants et de collègues dont il a été témoin des promotions. A cœur dévouant, Wassef est cet enseignant libérateur qui dédaigne le snobisme. Il a réussi sa carrière en gardant une bonne entente avec les étudiants. « L’enseignement de nos jours est basé sur l’autorité de l’enseignant et ne laisse aucune initiative à l’étudiant. Tous mes étudiants sont au même pied d’égalité. Car la valeur morale de l’individu est dans sa personne, loin de sa position sociale et matérielle », affirme le professeur.

Connu par son bonnet noir sur la tête, Wassef n’admet pas qu’on l’appelle khawaga (l’européen ou l’étranger). « Ce bonnet n’est pas un style occidental. Il n’est que pour protéger ma tête contre le froid », se défend-il, tout en ne reniant, pour autant, ses appartenances nationales. Pour ce vétéran de la civilisation française, témoin de plusieurs périodes de l’histoire de l’Egypte, le régime nassérien est la meilleure période qu’a parcourue le pays. « C’est au temps de Nasser que le peuple égyptien a acquis le sens de la dignité. Il a eu ses droits imprescriptibles à l’enseignement et aux soins médicaux. Le slogan de Nasser a été : Lève la tête mon frère, le temps du servage est révolu ». Parallèlement, Amin Wassef admire les principes libéraux de la Révolution française ayant mis fin au féodalisme et à l’absolutisme. En défendant farouche des droits du peuple, il a publié en 1978, un ouvrage sur Le Problème politique du monde contemporain, traitant des problèmes de la faim, du sectarisme et des troubles causés par le racisme. « C’est le contrecoup de l’impérialisme du siècle dernier qui a réduit les Etats sous tutelle à la mendicité. Ces impérialistes essayent vainement de se faire absoudre par des projets humanitaires, mais l’amertume reste profondément ancrée dans l’esprit et le cœur des peuples qui ont obtenu leur indépendance ». C’est ainsi que ce savant encyclopédiste dresse un état des lieux du monde contemporain.

Névine Lameï

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Jalons 

1922 : Naissance en Haute-Egypte,

          dans la ville de Tahta.

1952 : Diplôme d’études supérieures de Saint-Cloud et thèse de doctorat.

1959 : Nomination à l’Ecole supérieure

          des langues Al-Alsun.

1975 : Vice-doyen d’Al-Alsun.

2006 : Publication du dictionnaire

          Clé des Sigles, au Liban.

2007 : Grade d’officier des Palmes           académiques.  

 

 




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