Al-Ahram Hebdo,Société | Captiver un moment eternellement
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Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 14 au 20 Novembre 2007, numéro 688

 

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Société

Photographie. Le photographe est-il un peu magicien ? Sans doute. Il a toujours su embellir ses modèles. Dans les quartiers populaires, l’on aime bien se prendre en photo et sous toutes les coutures. Reportage.

Captiver un moment eternellement

Au fin fond d’une ruelle dans un immense quartier populaire du Caire, Dar Al-Salam, se trouve le studio de Am Awad, un photographe originaire d’Assouan qui exerce le boulot depuis les années 1960 et toujours dans ce même endroit où le peuple est roi. Il tient toujours à préserver ses vieux outils et aussi sa technique que d’aucuns diraient surannée. Pour lui, c’est un métier artistique qu’il maintient bien qu’il soit entouré par plusieurs studios qui utilisent les nouvelles techniques. Am Awad fait partie de ce monde bigarré où règnent une diversité de cultures et des contradictions entre la pauvreté et les aspects de la vie moderne.

Dans son studio modeste au milieu d’un décor composé de tableaux qu’il déplace et qui servent d’arrière-plan pour les prises de vue, il passe des heures à attendre un client. Les choses allaient mieux avant, c’est sûr, lors des années 1960 où les gens appréciaient ce genre d’art. Alors qu’il parcourait avec nostalgie un de ses albums en noir et blanc où s’étalait sa gloire première, Chaïmaa, 13 ans, fait irruption dans son studio, vêtue d’un pyjama et chaussant des pantoufles. Elle lui demande de la prendre en photo en tenue indienne. Am Awad a compris ce qu’elle voulait, car c’est l’une de ses fidèles clientes. En effet, Chaïmaa se rend au moins une fois par semaine dans ce studio pour se faire prendre en photo chaque fois avec un nouveau look. Par la même occasion, elle va récupérer sa dernière photo, prise avec un voile. Cette fois-ci, Am Awad lui remet les accessoires qu’il faut. « Un accoutrement indo-nubien que j’ai constitué pour aguicher toutes celles qui adorent se déguiser ou se prendre en photos. Avec la nouvelle technologie qui a envahi le marché, je dois avoir mes moyens de défense », dit Awad tout en aidant la petite à mettre le collier, fixer une boucle au nez et aux oreilles, sans commenter le fait qu’elle s’est rendue à son studio habillée en pyjama. Car cela ne semble guère le gêner. Sans même ôter son pyjama, ni ses pantoufles, Chaïmaa enfile le châle qui ressemble au sari et se met en place devant la caméra de Am Awad. Satisfaite et sûre de son photographe, elle quitte le studio non sans avoir changé de poses plusieurs fois. Mais avant de s’en aller, elle lui fait part de son désir d’être photographiée la prochaine fois en galabiya à la bédouine. Chaïmaa explique qu’elle adore se prendre en photos et son album en est rempli. Il y a celle où elle porte le voile, une autre où elle est sans maquillage, une troisième où ses cheveux sont lâchés, une autre où elle est bien maquillée et la toute dernière, où elle sera à l’indienne. A chaque fois, elle doit trouver quelque chose de nouveau. Alors que Chaïmaa est restée fidèle à Am Awad, puisqu’elle a confiance en son talent, d’autres préfèrent recourir à des studios plus modernes pour profiter des nouvelles techniques qui permettent d’obtenir des photos de rêve avec les simulations qu’offre la nouvelle technologie.

Avec les moyens du bord, Am Awad tente de répondre aux besoins de ses clients en diversifiant le décor, les déguisements et les accessoires qui vont avec. « J’ai acheté, il y a plusieurs années, des tenues traditionnelles, des keffiehs, des turbans et d’autres accessoires à l’indienne pour les filles du quartier d’Al-Hussein et Khan Al-Khalili, mais tout a commencé à s’user, et je n’ai pas les moyens de tout renouveler, car cela coûte trop cher. En outre, les studios des alentours utilisent le système de Photo Shop par ordinateur. Moi, je pense qu’il y a toujours une différence entre ce qui est naturel et ce qui a été créé artificiellement. Aujourd’hui, n’importe qui peut exercer le métier », assure Am Awad qui, malgré la récession, refuse de recourir à cette technologie. Il se contente de quelques clients fidèles et de voisins qui se rendent chez lui au moment des fêtes, des mariages, des anniversaires et de la rentrée scolaire. D’après lui, les filles aiment se prendre en photo lorsqu’elles portent de nouveaux vêtements ou se sont faites une nouvelle coupe. Certaines adorent même avoir leurs photos en vitrine et sont fières de cela, alors que d’autres le refusent. Am Awad respecte l’avis de ses clients, sauf si cela transgresse ses règles et ses principes. « Je ne mettrais jamais une photo de fille habillée en décolleté ou portant un body trop court. Je n’accepte jamais la commande d’un garçon qui vient faire développer une photo sans la permission de la fille ou faire un montage de photos qui risquent d’être mal exploitées ».

 

La modernité sert la tradition

Des codes, des habitudes et une culture différente qui rendent le travail du photographe plus difficile quand son studio se trouve dans un quartier populaire. C’est ce qu’explique Mohamad Kamal, un photographe plein de talent et qui a passé une grande partie de sa vie dans les quartiers populaires. Mohamad travaille dans un studio plutôt moderne et composé de deux étages au centre du quartier Boulaq, à Wékalet Al-Balah, cette célèbre artère commerçante. Les vitrines reflètent toute une culture des gens du quartier qui aiment être pris en photos à l’instar des stars, à l’exemple d’un poster de Mohamad Fouad ou d’une scène de clip de la sulfureuse Nancy Agram. Les souhaits et exigences des clients n’en finissent pas, comme le confie Ahmad Abdel-Dayem, propriétaire du studio.

La scène dans le studio Gentil est complètement différente de celle de Am Awad. Les clients ne cessent d’affluer dans ce studio qui dispose d’ordinateurs. Là, tout est possible avec le système du Photo Shop : embellir un visage, camoufler des rides ou des balafres, faire un montage. Pour les gens, l’ordinateur fait des miracles. Mohamad Kamal explique que les gens des quartiers populaires, du moins pas tous, ne savent pas comment poser, même s’ils en raffolent. Et pour eux, avec un procédé artificiel on peut faire comme les vedettes. « Un homme mal habillé et mal rasé voulait se prendre en photo. Quand je lui ai demandé d’aller se changer et se raser de près, il m’a répondu que ce n’était pas nécessaire, puisque l’ordinateur est capable de le faire. Un autre m’a demandé de le photographier au volant d’une moto qu’il n’avait pas. Je me souviens de cette femme qui est venue me demander d’avoir la photo de son enfant sur la paume de sa main, ou le cas de ces jeunes filles qui veulent à tout prix ressembler à Nancy Agram, Elissa, Haïfaa Wahbi ou Chérine. Elles ne comprennent pas que l’ordinateur est incapable de changer les traits d’un visage », dit Kamal. Celui-ci ne semble pas en paix avec lui-même, contrairement à Am Awad qui savait plaire à ses modèles. « C’est difficile d’avoir leur confiance, les convaincre que tel ou tel cadre leur convient mieux. Certains m’obligent à refaire la photo parce qu’elle n’a pas répondu à leurs aspirations », explique Kamal. Des malentendus qui créent parfois des problèmes, surtout quand Mohamad demande à une jeune fille de prendre une certaine pose pour que sa photo soit plus belle et qu’elle refuse de le faire. « Une fois la photo en main, on a droit à des grimaces », dit Mohamad en prenant des photos de deux fiancés, Hicham et Doaa, venus accompagnés d’amies et proches habillés en soirée. Autre situation embarrassante que cite Kamal : le cas d’un nouveau marié ou d’un fiancé qui refusent que l’on touche à sa dulcinée lors de la prise de photos-souvenirs. Ceci l’empêche de faire correctement son travail. « Dans ce cas, je fais ce qu’il veut, même si je ne suis pas convaincu de mes cadres. C’est leur problème », explique-t-il. « Beaucoup de couples entrent dans le studio alors qu’ils viennent de se chamailler, ils veulent être pris en photo dans cet état, les visages en colère. Ce que je refuse. Dans ce cas, j’essaye de détendre l’atmosphère ou de résoudre leur problème pour que la photo soit plus belle », dit Kamal, qui confie qu’acquérir la confiance de certains clients le comble de joie. « Ainsi, je peux prouver mes talents et créer de nouvelles idées pour les satisfaire ».

Une confiance qui fait que des filles viennent faire 70 à 80 photos en une fois. Et cela arrive deux ou trois fois par mois au moins.

 

Un miroir parfois décevant

Selon Kamal, il y a des gens pour qui la photo est la nécessité absolue. Une nouvelle photo, un nouveau look est une folie chez certains et la nouvelle technologie l’a bien soutenu, surtout avec des appareils numériques et des ordinateurs. En fait, la photographie numérique présente l’avantage des possibilités de retraitement et de retouche des images avec un ordinateur et un logiciel de traitement. D’où cette confiance absolue qu’ont les clients.

Mais pour notre photographe, le numérique n’est pas une magie opérante à cent pour cent, d’où les malentendus : une femme est fâchée car le photographe a gâché sa dernière photo. « Comment veux-tu qu’on la répète ? J’étais en une belle robe que j’ai louée pour les noces de mon amie ».

D’autres filles sont toujours tirées à quatre épingles pour les photos, mais ont toujours leurs demandes d’avoir des yeux colorés ou un visage blanc ou avoir une photo avec un des stars.

Kamal, bien qu’il soit doué pour la technologie moderne, pense que son usage de manière aussi systématique n’est qu’une question de gagne-pain. Il reconnaît ce que dit Am Awad, à savoir que l’art authentique est bien proche du naturel, même si l’ordinateur peut apporter des facilités. « Mais il ne fait pas de miracle comme on le croit. Il faut que les gens apprennent comment se font de belles photos … naturelles », dit le photographe. Le saura-t-on un jour ? Deux phrases résument la problématique. Un célèbre photographe mondial a dit : « Si la photographie n’était pas bonne, c’est que tu n’étais pas assez près ». Ce à quoi a rétorqué un autre : « Si la photographie n’est pas bonne, c’est qu’on est trop près ».

Doaa Khalifa

 




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