Israël-Usa .
Des voix s’élèvent pour souligner que l’Etat hébreu est
devenu un fardeau stratégique pour l’Amérique. Mais le lobby
pro-israélien s’apparentant à une organisation tentaculaire
foisonnée de luttes d’intérêts politiciens fait taire toute
critique.
Relations hors normes
La
secrétaire d’etat américaine Condoleezza Rice et d’autres
hauts responsables peuvent être convoqués pour déposer
devant un tribunal dans une affaire d’espionnage mettant en
cause des lobbyistes pro-israéliens, selon la décision prise
par un juge fédéral américain. Le juge T. S. Ellis, du
Tribunal fédéral d’Alexandria (Virginie, est), a autorisé
les avocats de Steven Rosen et Keith Weissman, d’anciens
lobbyistes de l’American Israeli Public Affairs Committee (AIPAC),
le principal lobby juif à Washington, à convoquer Mme Rice,
ainsi que le conseiller présidentiel américain à la sécurité
nationale, Stephen Hadley. L’information n’a pas fait
beaucoup de remous aux Etats-Unis à l’heure où l’on voit
tous les services de sécurité et de renseignements tout le
temps au qui-vive pour scruter les horizons hostiles, mais à
condition qu’ils soient ailleurs, notamment dans le monde
arabe. Une fois de plus, ces relations si spéciales entre
Washington et Tel-Aviv sont mises en exergue. Mais cette
fois-ci, le contexte est doublement dangereux. D’une part,
on est à la veille de cette conférence d’Annapolis que l’on
veut une chance pour résoudre le problème
palestino-israélien et, d’autre part, Tel-Aviv s’active de
plus en plus pour pousser Washington à en découdre avec
l’Iran pour son nucléaire. De quoi susciter bien des
réactions au sein même des Etats-Unis. Trente sénateurs
américains ont écrit jeudi au président George W. Bush pour
affirmer qu’il n’avait pas l’autorité pour lancer une
intervention en Iran et exprimer leurs inquiétudes au sujet
de la rhétorique « provocatrice » de l’Administration. Les
sénateurs, 29 démocrates et un indépendant, dont la
candidate à l’élection présidentielle Hillary Clinton,
exhortent à parvenir à la résolution du conflit par la voie
diplomatique.
« Nous voulons souligner qu’aucune autorisation
parlementaire n’existe pour une intervention militaire
unilatérale contre l’Iran », écrivent-ils. La lettre stipule
qu’une résolution passée au Sénat en septembre, qui appelle
à la désignation des Gardiens de la révolution iraniens
comme groupe terroriste, ne devrait pas servir de prétexte à
une guerre. Le texte fustige les « déclarations et actions
provocatrices » de l’Administration sur l’Iran, après les
propos de M. Bush mettant en garde contre le danger d’une
troisième guerre mondiale si l’Iran possédait l’arme
nucléaire.
« Ces déclarations sont contre-productives et minent les
efforts pour résoudre les tensions avec l’Iran par la
diplomatie », poursuit le document, coordonné par le
sénateur de Virginie (Est) Jim Webb. D’ailleurs, les choses
peuvent aller loin dans ce contexte. Des sources militaires
à Washington estiment que l’existence de 3 000
centrifugeuses en Iran pourrait signifier pour Israël un «
point de bascule » déclenchant une frappe aérienne. Le
Pentagone est réticent à l’idée d’une action militaire
contre l’Iran mais les officiels américains jugent que pour
Israël, c’est « autre chose ». En fin de compte, cette
logique américaine jusqu’auboutiste reste donc dans un
contexte pro-israélien que défend un lobby qui décide de
tout mais qui, somme toute, est devenu quasiment un fardeau
stratégique pour Washington.
Dans l’intérêt pur de Tel-Aviv
Un fait qu’on ne peut que constater mais comment y réagir ?
En
fait, on parle beaucoup de ce lobby tant et si bien que pour
les différents cercles et personnalités, notamment arabes,
il s’agit d’un fait accompli contre lequel on n’y peut rien.
Un vrai rouleau compresseur qui trace la voie en faveur
d’Israël. Parfois même c’est presque un mythe : le lobby
pro-israélien en Amérique. On l’a souvent surnommé lobby
juif ou lobby sioniste. Mais John J. Mearsheimer, de
l’Université de Chicago et de Stephen M. Walt, Université de
Harvard, auteurs d’une étude publiée en mars 2006 et
intitulée « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère
américaine », ont choisi plutôt cette appellation pour
démontrer qu’il s’agit en fait d’un groupe d’influence qui
agit directement selon les intérêts d’Israël et non pas pour
défendre un rassemblement ou une communauté au sein des
Etats-Unis à l’exemple d’autres lobbies. Cette recherche a
brisé un tabou, parce que, comme le souligne Emad Gad,
directeur en chef d’Israeli Digest, publié par le Centre
d’études politiques et stratégiques d’Al-Ahram, dans la
préface de la traduction arabe de ce texte, les auteurs
étaient et restent au-delà de tout soupçon aux Etats-Unis.
Ce sont des Think Tank qui ont été les maîtres à penser
d’une partie de l’élite politique américaine, dont des
responsables du département d’Etat s’occupant du
Moyen-Orient. Difficile donc de les accuser d’antisémitisme
ou autre bien que cela ait eu lieu quand même.
Le document a donc fait des remous aussi parce que les
auteurs, toujours comme le précise Gad, partent du point de
vue de l’intérêt national américain et trouvent que ce lobby
met en danger les intérêts américains et même israéliens.
L’argumentation des auteurs est simple et directe, d’où leur
crédibilité puisqu’ils n’ont recours à aucune sorte de
discours emprunté et relèvent tout le temps l’actualité et
les faits tels qu’ils sont.
Ainsi, d’entrée de jeu, les auteurs mettent en exergue cette
exception israélienne aux Etats-Unis. S’il y a unanimité
dans ce pays, elle est sur Israël ... « il est un sujet sur
lequel — là aussi, on peut en être certain — les candidats
parleront d’une seule voix. En 2008, tout comme au cours des
précédentes années électorales, des candidats sérieux à la
magistrature suprême ne ménageront pas leurs efforts pour
faire savoir leur engagement personnel vis-à-vis d’un pays
étranger – Israël – ainsi que leur détermination à maintenir
un soutien américain indéfectible à l’Etat hébreu ». Et de
préciser : « Il n’y a aucune chance pour que les candidats
critiquent réellement Israël ou suggèrent que les Etats-Unis
devraient adopter une politique plus impartiale dans la
région ».
Chanter les gloires d’Israël
Les citations des auteurs sont bien claires à cet égard. A
titre d’exemple, l’ancien gouverneur du Massachusetts, Mitt
Romney, qui était dans un congrès à Israël, a dit « se
trouver dans un pays qu’il aime avec des gens qu’il aime »
et, se disant conscient des inquiétudes d’Israël face à
l’hypothèse d’un Iran nucléarisé, a proclamé : « Il est
temps que le monde exprime trois vérités : 1) il faut que
l’Iran cesse ; 2) on peut faire cesser l’Iran ; 3) nous
ferons cesser l’Iran ! ».
On sait que l’Iran nucléaire est le principal alibi
israélien dans sa politique où il tente d’engager Washington
à une guerre qui pourrait être même nucléaire contre
Téhéran. La classe politique américaine est donc en grande
partie gagnée par cet argument. Et là on ne peut évoquer les
différences entre Républicains et Démocrates sur laquelle
d’aucuns tablent, malheureusement même dans les pays arabes.
Ainsi, le sénateur républicain de l’Arizona John McCain est
cité déclarant : « Lorsqu’il s’agit de la défense d’Israël,
on ne peut tout simplement pas transiger ». La sénatrice
démocrate de l’Etat de New York, Hillary Clinton, s’est
exprimée devant la section locale de l’AIPAC, déclarant qu’«
en ces temps de grande difficulté et de grand péril pour
Israël, il est indispensable que nous soyons fidèles à notre
ami et allié, ainsi qu’à nos propres valeurs. Israël est un
phare qui montre le chemin dans une région ravagée par les
méfaits du radicalisme, de l’extrémisme, du despotisme et du
terrorisme ». L’un de ses rivaux à l’investiture démocrate,
le sénateur de l’Illinois, Barack Obama, s’est adressé à des
membres de l’AIPAC à Chicago un mois plus tard. Obama, qui
avait exprimé sa solidarité envers les Palestiniens et
brièvement évoqué leur « souffrance » lors d’un déplacement
de campagne en mars 2007, s’est livré à un éloge sans
équivoque d’Israël et a bien fait comprendre qu’il ne ferait
rien pour changer les relations israélo-américaines.
Les causes d’un parti pris
Cette passion pro-israélienne s’explique-t-elle de manière
logique ? Les auteurs posent la problématique. Pour
certains, la réponse est qu’Israël est un atout stratégique
fondamental pour les Etats-Unis et, en particulier, un
partenaire indispensable dans la « guerre contre le
terrorisme ». D’autres répondront que de solides raisons
d’ordre moral justifient d’apporter un soutien
inconditionnel à Israël, car c’est le seul pays dans cette
région à « partager nos valeurs ». Mais aucun de ces
arguments « ne résiste à un examen impartial », soulignent
les auteurs. Et ils l’expliquent de manière simple pour en
conclure qu’avec la fin de la guerre froide, « Israël est
devenu un handicap stratégique pour les Etats-Unis ».
Et de relever que la véritable raison pour laquelle le monde
politique américain fait preuve d’autant d’égards réside
dans l’influence politique du lobby pro-israélien.
« Il s’agit simplement d’un puissant groupe d’intérêts,
composé à la fois de juifs et de non-juifs, dont le but
avoué est de défendre la cause israélienne aux Etats-Unis et
d’influencer la politique étrangère américaine au profit de
l’Etat hébreu ».
Un éternel argument
Et quel serait le mode opératoire du lobby ? Ce serait
purement et simplement l’accusation d’antisémitisme. Il est
difficile d’évoquer l’influence du lobby sur la politique
étrangère américaine, du moins dans les grands médias, sans
se faire accuser d’antisémitisme ou, même pour les juifs, de
« haine de soi ». Les réactions suscitées par le livre de
l’ex-président Jimmy Carter, Palestine : Peace Not
Apartheid, sont significatives. Le livre de Carter a pour
objectif un règlement permettant aux peuples palestinien et
israélien de se réconcilier. D’ailleurs, Carter défend sans
équivoque le droit d’Israël à vivre en paix et en sécurité.
Pourtant, pour avoir suggéré que la politique israélienne
dans les territoires occupés ressemblait au régime de
l’apartheid et dit ouvertement que des groupes
pro-israéliens empêchaient les leaders américains de
conduire fermement Israël sur le chemin de la paix, il a été
victime d’une violente campagne de diffamation lancée par
ces mêmes groupes. Non seulement on a accusé Carter d’être
antisémite et de détester les juifs, mais certains lui ont
même attribué une certaine sympathie pour les nazis.
L’étude, comme le souligne Gad, aurait dû susciter plus
d’intérêt dans le monde arabe de manière à établir un pont
avec de tels auteurs objectifs. L’initiative de Medhat Taha,
poète et écrivain, de traduire et d’adapter le texte
préliminaire en arabe accompagné de critiques de la part de
certains auteurs américains avec accusations
d’anti-sémitisme contre les auteurs, intervient à point
nommé pour comprendre la situation actuelle et y réagir.
Ceci d’autant plus, comme le relève Gad, il n’y a pas eu la
moindre réaction de la part d’Israël. Celui-ci a laissé la
tâche justement à un lobby sur lequel il pouvait bien
compter.
Dernier mot de la fin tiré de l’étude : « Ces groupes
veulent que les leaders américains traitent Israël comme
s’il s’agissait du cinquante et unième Etat de l’Union ».
Ahmed
Loutfi