Pakistan.
Refusant de lever l’état d’urgence, le président Pervez
Musharraf a néanmoins dû lâcher du lest cette semaine sous
la pression croissante d’un Occident inquiet et d’une
opposition exacerbée.
Un petit pas en arrière
Sous
le feu des critiques de l’opposition et de toute la
communauté internationale depuis l’instauration de l’état
d’urgence au Pakistan le 3 novembre, le président Pervez
Musharraf a commencé, cette semaine, à faire marche arrière.
Après avoir reporté les élections législatives à la
mi-février, Pervez Musharraf semble céder, dimanche, en
restaurant leur calendrier initial, mais sans fixer de date
pour la levée du régime d’exception. « Le Parlement sera
dissout jeudi 15 novembre et un scrutin législatif doit se
tenir avant le 9 janvier », a annoncé M. Musharraf au cours
de sa première conférence de presse depuis l’instauration de
l’état d’urgence le 3 novembre. Ce scrutin au suffrage
universel direct initialement prévu à la mi-janvier pour
désigner le Parlement et les assemblées provinciales doit
consacrer le retour de la démocratie dans cette puissance
nucléaire de 160 millions d’habitants, quasiment tous
musulmans. Lâchant toujours du lest, M. Musharraf a
également réitéré, dimanche, sa promesse de prêter serment
en tant que civil avant de commencer son nouveau mandat,
renonçant ainsi à ses fonctions à la tête de l’armée. La
Cour suprême est censée se prononcer avant le 15 novembre
sur l’éligibilité de M. Musharraf, avant que ne soit
proclamée ou non sa victoire officielle à la présidentielle
du 6 octobre dernier au scrutin indirect. Pourtant, le
président n’a fixé aucune date précise pour la levée de
l’état d’urgence. « La proclamation de l’état d’urgence a
été la décision la plus difficile de ma vie », a-t-il dit,
tout en affirmant n’avoir à aucun moment violé la
Constitution. M. Musharraf a imposé l’état d’urgence le 3
novembre en invoquant une recrudescence sans précédent des
attentats islamistes et l’ingérence de la justice dans le
domaine politique. Il est depuis sous le feu des critiques
de l’opposition et des capitales occidentales qui
considèrent qu’il a trouvé là un prétexte pour s’agripper à
un pouvoir vacillant à l’approche des législatives,
notamment en évinçant les juges de la Cour suprême, et
particulièrement son président, le juge Chaudhry, qui lui
était hostile.
Autre signe d’adoucissement, le général n’a pas tardé à
lever la brève assignation à résidence imposée à
l’ex-premier ministre, Benazir Bhutto. Une fois libérée,
celle-ci a défié de plus belle le général, déclarant la
guerre à la dictature et appelant le peuple à manifester
contre l’état d’urgence. Passant de la parole à l’acte, Mme
Bhutto a participé, samedi dernier, à une manifestation des
journalistes pour la liberté de la presse devant la maison
de l’ex-président de la Cour suprême évincé, le juge
Chaudhry. Analysant cette volte-face de Musharraf, le Dr
Hicham Ahmad, professeur à la faculté des sciences
économiques et politiques, Université du Caire, a estimé : «
En effet, Musharraf ne fait pas de vraies concessions. Dès
le départ, il a fait ses calculs. Depuis quelques semaines,
il risquait de tout perdre, mais maintenant, il est le
maître de la situation par excellence. Il a bâillonné tout
le monde, il peut donc facilement redéfinir les rapports de
force en sa faveur. C’est pourquoi je tiens à dire que tout
ce qu’il fait à l’heure actuelle ne constitue pas de vraies
concessions car il y a quelques semaines, il n’avait rien en
main. Aujourd’hui, s’il libère quelques opposants, on dira
qu’il a concédé, s’il donne quelques libertés à la presse,
on dira qu’il a concédé ... Et même s’il cède aujourd’hui,
il cédera en position de force ».
Tenant toujours à déraciner l’épine des islamistes qui
entrave son pouvoir, le président a annoncé, lundi, que
l’armée avait pris la relève de la police et des
paramilitaires en vue d’une contre-offensive majeure après
la progression récente des combattants islamistes proches d’Al-Qaëda
dans la vallée de Swat, une vallée très touristique du
nord-ouest du pays. « Les opérations militaires ne cesseront
qu’avec la défaite des terroristes », a promis le général,
au 8e jour de l’état d’urgence.
L’inquiétude s’apaise
Bien que l’état d’urgence reste toujours en vigueur, les
quelques concessions du président ont été favorablement
accueillies à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Sous la
pression croissante des capitales occidentales, en premier
lieu de Washington dont il est l’allié-clé dans sa guerre
contre le terrorisme, Musharraf a réussi, cette semaine, à
contenir la colère du monde entier. « Dès le départ, il
était sûr qu’il serait à même de faire face à toutes les
protestations internationales que suscitera l’état
d’urgence. Musharraf savait bien que les pressions
occidentales et mêmes américaines sur lui auraient des
limites pour plusieurs raisons : Tout d’abord, le Pakistan
est une puissance nucléaire importante, et puis il est un
allié stratégique dont les Etats-Unis ne pourront jamais se
passer dans leur guerre contre le terrorisme », analyse le
Dr Hicham Ahmad. Cela étant, les Américains, poings liés
face à un Musharraf dont ils ont infiniment besoin, n’ont
pas tardé à afficher leur large satisfaction à la
déclaration des premières concessions du président.
Dimanche, la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice,
a qualifié de « positif » l’engagement du général
d’organiser les législatives d’ici le 9 janvier et de
quitter la tête des forces armées. « Ces points sont
essentiels pour le retour du Pakistan sur la voie
démocratique », a déclaré Mme Rice, en appelant à la levée
de l’état d’urgence « dès que possible ». Même tonalité à
Londres, où le Foreign Office a salué la confirmation du
calendrier électoral comme un premier pas vers le retour à
la démocratie.
Outre cette vague de satisfaction internationale,
l’opposition pakistanaise, et en premier lieu sa dirigeante
et ex-premier ministre, Benazir Bhutto, a elle aussi salué
l’annonce d’élections d’ici le 9 janvier par le général,
mais l’a appelé une nouvelle fois à lever l’état d’urgence.
« C’est un pas positif », a-t-elle indiqué, ajoutant que la
confirmation du calendrier électoral ne suffirait pas à
dissiper la crise que connaît le Pakistan. « D’un côté, le
gouvernement donne un calendrier électoral, mais de l’autre,
il édicte une loi militaire. Des élections libres et justes
ne sont pas possibles avec cette législation militaire et
l’état d’urgence », a dénoncé Mme Bhutto. Celle-ci a aussi
critiqué les restrictions frappant les médias et les purges
du système judiciaire. « Un dictateur n’a jamais le soutien
des masses », a estimé Mme Bhutto, en jugeant son pays « en
danger ». Affichant sa colère et sa déception, Mme Bhutto a
déclaré, lundi, que les négociations pour un éventuel
partage du pouvoir entamées avant l’état d’urgence au
Pakistan avec le président Pervez Musharraf sont
définitivement rompues : « Il n’y aura plus de pourparlers,
j’ai changé de politique », a-t-elle déclaré.
Il semble que cette volte-face de Musharraf sous l’état
d’urgence n’étouffe pas complètement les appréhensions. Elle
laisse certaines personnes perplexes et indécises, dont Bill
Richardson, un des candidats à l’investiture démocrate pour
la présidentielle américaine de 2008 : « Je suis très
sceptique. L’état d’urgence est toujours en vigueur. Je suis
préoccupé du fait que nous nous associons avec une dictature
qui réorganise le système constitutionnel du Pakistan pour
rester au pouvoir », a-t-il mis en garde.
Maha
Al-Cherbini