Côte-d’ivoire.
Le président Laurent Gbagbo a supprimé la carte de séjour
pour les Africains de l’ouest résidant dans le pays. Cette
mesure, destinée à séduire les Ivoiriens d’origine
étrangère, augmente sa popularité avant les présidentielles
de 2008.
L’inexorable montée de Gbagbo
Le
président ivoirien Laurent Gbagbo accumule les points face à
l’opposition et à l’ex-rébellion, en prévision des
présidentielles prévues en 2008. Il vient de marquer un «
coup politique » en supprimant la carte de séjour pour les
Africains de l’ouest, se posant en rassembleur du pays
divisé entre un Nord rebelle et un Sud loyaliste.
Le chef de l’Etat a ainsi signé le 8 novembre en Conseil des
ministres une ordonnance supprimant la carte de séjour pour
les ressortissants de pays membres de la Communauté des
Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) très nombreux dans le
pays. Attendue depuis quelques jours, cette décision n’en
reste pas moins un « beau coup médiatique ». La suppression
de la carte de séjour, censée désormais éviter aux
Ouest-africains les nombreuses tracasseries policières dont
ils sont victimes, vise surtout à séduire les nombreux
Ivoiriens d’origine étrangère, ce qui leur permettrait de
rester dans le pays sans avoir à se justifier de quoi que ce
soit. Depuis 2002 et la tentative de coup d’Etat de la
rébellion des Forces Nouvelles (FN), qui contrôle la moitié
nord du pays, les partisans pro-Gbagbo et les forces de
l’ordre ont en effet souvent stigmatisé les étrangers, en
particulier les Burkinabés, en raison du soutien supposé du
Burkina-Faso à la rébellion. Le président burkinabé Blaise
Compaoré a même été décrit comme « le parrain » des FN avant
de revenir en grâce au point de devenir le médiateur de la
crise ivoirienne. Les populations du nord, limitrophe avec
le Burkina-Faso, ont également fait les frais des attaques
xénophobes des partisans du président.
En supprimant la carte de séjour, sujet sensible sur cette
terre d’immigration, Laurent Gbagbo se pose désormais en
rassembleur. Environ 4 millions d’étrangers, pour la plupart
Ouest-africains, étaient recensés en 1998 en Côte-d’Ivoire,
soit 26 % de la population totale.
La décision du président Gbagbo n’a pas manqué de provoquer
la colère de l’opposition, qui y voit un moyen d’affaiblir
l’opposition. « Il y a sûrement là une décision démagogique,
électoraliste, mais cela ne résout pas le problème de
l’intégration », réagissait vendredi le porte-parole du
Rassemblement Des Républicains (RDR, opposition), Ally
Coulibali. « C’est son parti (le Front Populaire Ivoirien,
FPI) qui est à l’origine des dérapages qu’on a connus.
Maintenant, il veut capter l’électorat des Ivoiriens
d’origine étrangère alors qu’il a toujours assimilé les gens
du nord aux étrangers », ajoutait le porte-parole du RDR.
Cette réaction se comprend dans la mesure où l’enjeu demeure
l’élection présidentielle, prévue en 2008 selon l’accord de
Ouagadougou signé en mars dernier. Car en supprimant la
carte de séjour, Laurent Gbagbo pourrait déstabiliser ses
futurs rivaux dans la campagne électorale, en particulier le
chef du RDR, Alassane Ouattara. D’autres font remarquer que
la suppression de la carte de séjour figurait dans les
accords de Marcoussis (France) de 2003 qui ont tenté de
mettre un terme à la crise ivoirienne et qui ont été
vivement critiqués par les partisans pro-Gbagbo.
L’inquiétude de l’opposition se justifie par le fait que le
président Gbagbo n’a cessé ces derniers mois de consolider
son pouvoir. Le 31 octobre, il a entamé une nouvelle année à
la tête de la Côte-d’Ivoire, la troisième depuis la fin
théorique de son mandat en octobre 2005, dans l’attente
d’élections que la plupart des observateurs ne prévoient pas
avant la fin 2008 au plus tôt. Sous pression il y a un an,
lorsqu’une résolution de l’Onu a décrété qu’il ne pourrait
se maintenir au pouvoir au-delà d’octobre 2007, M. Gbagbo,
élu en 2000 mais qui a dû céder la moitié nord du pays à la
rébellion des FN en septembre 2002, a depuis largement
consolidé son pouvoir.
Accusé depuis 2005 par plusieurs pays occidentaux, emmenés
par la France, de bloquer le processus de paix pour se
maintenir au pouvoir, M. Gbagbo a dénoncé cette ingérence en
soulignant que la Constitution ivoirienne prévoit le
maintien du président en place jusqu’à l’organisation de
nouvelles élections. Fin 2006, l’Onu et la France n’ont pu
que constater l’échec de leur stratégie consistant à lui
imposer un premier ministre (Seydou Diarra puis Charles
Konan Banny) pour aller rapidement aux élections et
réunifier le pays. Face à cette impasse, elles se sont
résolues à laisser M. Gbagbo mener son propre programme de
sortie de crise, articulé autour d’un « dialogue direct »
avec les FN, sous les auspices d’un médiateur qu’il a
lui-même choisi, le président burkinabé Blaise Compaoré. Le
4 mars 2006, Laurent Gbagbo et Guillaume Soro, secrétaire
général des FN, signaient à Ouagadougou un accord de paix
prévoyant de boucler l’ensemble du processus de paix en dix
mois avec, théoriquement, des élections au début de 2008.
Début avril, Guillaume Soro était nommé premier ministre de
M. Gbagbo, avec la bénédiction de la communauté
internationale.
Le climat politique ivoirien semble depuis plus apaisé. Mais
la réalité locale, mélange de blocages politiques et de
problèmes logistiques, a depuis rattrapé le processus de
paix, qui accumule les retards. Officiellement, M. Gbagbo
affiche sa volonté d’aller « vite » aux élections. Mais
nombre d’observateurs estiment à Abidjan que le président
ivoirien ne les organisera « que lorsqu’il sera sûr de les
gagner ». Et si les diplomates les plus optimistes estiment
que ces élections ne peuvent avoir lieu avant la fin 2008,
d’autres ne les voient pas avant 2009, voire 2010.
Lent processus d’identification des électeurs
Un bon exemple du retard pris sur le calendrier du processus
de paix est offert par le très polémique processus
d’identification de la population ivoirienne en vue des
élections. Les opérations d’identification n’ont que très
timidement redémarré, quoiqu’elles se déroulent dans le
calme, loin des incidents meurtriers de l’été 2006.
Le 25 septembre dernier, le premier ministre relançait les
audiences foraines, première phase du processus
d’identification. Quelques semaines plus tard, la vingtaine
d’équipes mobiles de magistrats ont délivré plus de 14 000
jugements supplétifs d’extrait de naissance aux personnes de
plus de 13 ans nées en Côte-d’Ivoire mais jamais déclarées à
l’état civil. « Tout se passe dans le calme, sans jets de
pierre ou empoignade. C’est un premier point très positif »,
s’est félicité Meïté Sindou, en charge du processus.
Le bilan apparaît en revanche nettement moins flatteur au
niveau des chiffres : au rythme actuel, moins de 50 000
jugements supplétifs seraient ainsi délivrés au terme des
trois mois d’audiences foraines prévus par l’accord de paix
interivoirien. Celui-ci a modifié la donne par rapport à
2006, en subordonnant l’identification au processus
électoral : pour obtenir une carte d’identité, les
requérants devront d’abord être intégrés à la liste
électorale de 2000 actualisée, comme le souhaitaient les
partisans du président Gbagbo. Or, ce processus apparaît
long et contraignant, et donc peu attractif pour les
requérants, sans parler des innombrables problèmes
logistiques nés de la partition du pays en 2002, dont
l’absence de l’administration dans le nord du pays contrôlé
par les rebelles. Selon plusieurs sources, les autorités
ivoiriennes devraient prolonger les audiences foraines de
quelques mois, jusqu’au printemps 2008, pour faire face aux
besoins, qui devraient augmenter à mesure que les équipes
atteignent les zones rurales, où vivent la majorité des «
sans-papiers » ivoiriens. « Au final, on ne devrait pas
dépasser les 100 000 régularisations de personnes non
déclarées jusqu’ici », estime un diplomate. Un chiffre qui
devrait contenter les partisans de M. Gbagbo, qui estiment
ainsi à moins de 300 000 le nombre de personnes à
régulariser, contre plus de trois millions pour
l’opposition, deux estimations à la fois très politiques et
invérifiables en l’absence de statistiques sûres.
Les observateurs estiment en revanche que l’étape suivante,
celle du renouvellement des listes électorales (qui
comptaient 5,5 millions de personnes en 2000), pourrait être
bien plus polémique. En ajoutant ceux qui ont eu plus de 18
ans depuis 2000, « cela fait théoriquement près de deux
millions d’inscrits en plus ... soit de quoi largement faire
basculer une élection », estime un spécialiste du dossier. «
La liste électorale est le nerf de la guerre du pouvoir.
C’est au moment de leur constitution que l’on va rentrer
dans le dur du débat », conclut-il.
Hicham Mourad