Le président autrichien, Heinz
Fischer, s’est
entretenu cette semaine au Caire avec le chef de l’Etat
égyptien. Il fait part à l’Hebdo de cet entretien et
présente la vision de son pays pour le règlement du conflit
du Proche-Orient.
« La conférence sur le conflit
israélo-palestinien doit avoir lieu »
Al-Ahram Hebdo : Dans quel cadre s’inscrit votre visite dans
la région et spécialement en Egypte ?
Heinz Fischer :
La situation au Moyen-Orient est particulièrement compliquée
avec les préparatifs de la conférence d’Annapolis aux
Etats-Unis qui devrait se tenir en novembre. Le président
Moubarak pense que si cette conférence réussit, elle pourra
avoir une grande signification pour la région, mais si elle
échoue, cela aura une répercussion très négative sur toute
la région. Et l’Autriche a toujours manifesté un intérêt
particulier pour le conflit du Moyen-Orient, alors même
qu’elle ne faisait pas encore partie de l’Union européenne,
à une époque où nous élaborions seuls notre politique
extérieure. Aujourd’hui, dans le cadre de l’UE, nos avons
l’avantage de pouvoir jouer un rôle au sein d’un groupe de
pays importants. Mais nous continuons à travailler nos
relations bilatérales avec chaque pays, comme c’est le cas
avec l’Egypte. Et chaque fois qu’il y a des discussions sur
la politique du Moyen-Orient, nous privilégions les
solutions pacifiques. Nous comprenons la situation très
difficile des Palestiniens et accordons un soutien à toutes
les actions qui rendent la vie des Palestiniens plus facile.
Je suis venu également en Egypte pour discuter des dossiers
de l’Iran et de l’Iraq et puis aussi de la candidature de
l’Autriche pour un siège non permanent au Conseil de
sécurité des Nations-Unies. A la fin de notre rencontre,
j’ai invité le président Moubarak à nous rendre visite en
Autriche et il a accepté. Je l’avais reçu à Vienne l’année
dernière où il m’avait invité à venir en Egypte.
— Comment peut-on espérer un résultat positif de la
conférence d’Annapolis sur le conflit israélo-palestinien
alors qu’à ce jour les protagonistes n’ont même pas réussi à
se mettre d’accord sur son ordre du jour ?
— Personne ne peut garantir quoi que ce soit sur les
résultats. Le président américain George W. Bush a annoncé
la tenue de cette conférence, la secrétaire d’Etat
américaine Condoleezza Rice est en train de travailler
là-dessus. Il est vrai que pour le moment, ni la date, ni
l’ordre du jour, ni les participants à cette conférence sur
le conflit israélo-palestinien n’ont été définis. Pourtant,
l’Europe accepte et apporte son soutien à ce projet car nous
pensons qu’il s’agit d’une bonne opportunité pour réaliser
une avancée, même si nous pensons également que les risques
d’échec sont aussi importants. Et nous espérons que les
problèmes auxquels nous faisons face pour la tenue de cette
rencontre pourront être résolus. Mais l’idée que je soutiens
est que la conférence sur le conflit israélo-palestinien
doit avoir lieu et doit être dédiée à la résolution des
problèmes entre Palestiniens et Israéliens.
— Vous avez discuté avec le président Moubarak du dossier
nucléaire de l’Iran. Partagez-vous la vision du président
américain qui a déclaré que la possession de l’arme
nucléaire par l’Iran pourrait déclencher une troisième
guerre mondiale ?
— D’abord, je veux dire clairement que je ne prononcerais
jamais de déclarations politiques sur d’éventuelles guerres
mondiales. Ceci n’est pas mon langage. Puis, j’ai appris
dans ma vie que l’emploi des moyens militaires, en
particulier sans l’aval des Nations-Unies, ne contribue
jamais à la résolution des problèmes. On peut peut-être
résoudre de cette manière une partie des problèmes, mais il
faut aussi savoir qu’en même temps, on en crée de nouveaux.
Pour cette raison, je défends fermement l’idée selon
laquelle tous les problèmes du XXIe siècle doivent être
résolus par la voie pacifique. Le droit doit prévaloir et
être respecté, non seulement au niveau national mais aussi
sur le plan international. Telle est ma conviction. Mais il
faut par contre admettre que la situation vis-à-vis de
l’Iran est très compliquée et crée une situation très
difficile. Je crois cependant à la politique à double voie.
Ceci veut dire mener, d’un côté, une politique de
négociation et avoir même la disposition d’offrir à l’Iran
des avantages en matière de coopération et, de l’autre côté,
adopter une position ferme et unifiée visant à prendre très
au sérieux les résolutions des Nations-Unies liées à cette
question. Celle-ci me semble être la meilleure option qui se
présence en ce moment sur le dossier iranien.
— Israël possède l’arme nucléaire et aucun pays européen ou
occidental ne semble montrer la moindre disposition à
exercer des pressions sur lui pour qu’il s’en débarrasse.
Pourquoi cette politique de deux poids, deux mesures ?
— Je sais que cet argument est utilisé par les Iraniens,
mais si l’on commence à lier un problème à un autre, puis à
un troisième ou à un quatrième, ceci n’aidera en rien. Si
l’on commence à faire un lien avec Israël, puis un autre
avec l’Inde, et d’autres encore, cela ne mènera nulle part.
Je respecte l’Iran, il s’agit d’un pays important avec une
longue histoire, mais je rejoins tous ceux, dont le
président Moubarak, qui pensent qu’il serait un vrai
problème si l’Iran venait à acquérir l’arme nucléaire. Pour
cette raison, nous devons utiliser tous nos moyens et notre
intelligence pour faire en sorte, et en prenant pour base
les résolutions des Nations-Unies, que l’Iran ne puisse pas
avoir la capacité de produire l’arme nucléaire.
— Vous dites cela alors que l’Autriche, avec 24 autres pays
de l’UE, se sont abstenus au Conseil des gouverneurs de
l’Agence internationale de l’énergie atomique de soutenir
une proposition égyptienne de rendre le Moyen-Orient libre
des armes nucléaires …
— Je serais très heureux si le Moyen-Orient était
complètement dépourvu d’armes nucléaires. Et je serais la
personne la plus heureuse au monde si cette arme n’existait
nulle part. Mais ceci malheureusement est une utopie. Je
suis convaincu que plus on aura d’armes nucléaires dans le
monde, ce sera le pire pour tout le monde.
— Un sommet Europe-Afrique doit se tenir début décembre à
Lisbonne, au Portugal. Qu’attend l’UE de ce sommet avec
l’Afrique ?
— Ce type de coopération entre l’Europe et l’Afrique a été
décidé il y a environ dix ans, lors d’un sommet au Caire.
Puis il y a eu de nombreuses hésitations quant à la tenue
d’un nouveau sommet à cause de la participation du président
du Zimbabwe, Robert Mugabe. Pour cette raison, le sommet a
été reporté à plusieurs reprises. Maintenant, espérons que
le sommet pourra enfin avoir lieu au Portugal. Si le
président Mugabe insiste à participer, le sommet
Europe-Afrique ne devra pas être annulé. Je pense qu’il y
aura des réactions négatives de la part de la
Grande-Bretagne, éventuellement aussi d’un ou deux autres
pays, mais je pense que le sommet doit avoir lieu car, nous
ne devons pas punir tous les autres pays africains en
annulant cette réunion, seulement pour exprimer notre
mécontentement quant à la participation du président Mugabe.
— Que peuvent concrètement offrir l’Autriche et l’Europe des
27 au continent noir ?
— La vérité est que l’Autriche, au cours des 10 ou 15
dernières années, a été fortement engagée dans les questions
liées à notre voisinage direct en Europe de l’Est. Nous
devons donc admettre que nous n’étions pas capables
d’accorder l’attention nécessaire aux développements en
Afrique. Maintenant que l’Union européenne a pris une
décision sur l’adoption d’une stratégie vis-à-vis de
l’Afrique, il est vraiment temps que l’Autriche, tout comme
les autres pays européens, accorde plus d’intérêt, de temps
et d’attention aux développements de l’Afrique .
Propos recueillis par
Randa Achmawi