Self-Défense .
Une dizaine de femmes ont décidé de participer aux cours
organisés à Saqiet Al-Sawi afin d’avoir plus d’aptitude à se
défendre. Chacune a ses raisons mais toutes désirent gagner
en assurance.
Elles contre-attaquent
Des
cris de douleur, des bruits de chute et beaucoup de « Aïe »
résonnent régulièrement à Saqiet Al-Sawi, à Zamalek, un
centre connu pour toutes sortes d’activités musicales,
théâtrales et artistiques. Ces voix en furie proviennent de
la classe, inaugurée récemment, de Self-Défense consacrée
aux femmes. « Oui, on propose ces cours uniquement pour les
femmes. C’est un genre de sport qui n’est pas loin de notre
message : propager différentes sortes de connaissances.
Surtout que chaque femme doit avoir conscience de se
défendre dans sa propre culture », dit Marwa Abdallah,
responsable des ateliers à Saqiet Al-Sawi. Ce message a eu
un bon écho puisque depuis l’inauguration, en janvier
dernier, cette classe accueille toujours plus de femmes qui,
dès les premiers cours, s’y attachent et la considèrent vite
comme indispensable.
Dans la pièce vide, il y a huit élèves adultes et une de 10
ans. En fait, elles sont seize femmes à participer aux
cours, mais en général, elles ne sont pas toutes là tout le
temps, car il arrive que quelques-unes s’absentent. Elles
sont debout deux par deux en train d’imiter ce que fait
l’entraîneur avec une des adhérentes. Il leur montre
plusieurs fois l’exercice puis le refait avec chacune
d’entre elles. Attaque avec un couteau, un pistolet, avec
les mains ou les jambes, si l’agresseur est plus petit ou
plus grand, s’il vient par derrière ou par devant, toutes
les hypothèses sont exposées, hypothèses toujours basées sur
le fait que c’est un homme qui attaque. Des femmes de
différents âges et classes sociales mais qui ont toutes un
point commun qui les rassemble dans cette classe. Chacune a
un manque de confiance en elle, y compris dans sa capacité à
se défendre.
Hanane, 38 ans, confie que depuis l’enfance, elle souffre de
sa fragilité physique. Elle vivait toujours dans la hantise
d’être attaquée, car elle n’aurait eu ni le courage ni la
force de se défendre. « Cette situation a dépassé l’âge de
l’enfance et il y a encore six mois, j’évitais toute
confrontation physique même avec les enfants. Cette idée de
faiblesse m’a complètement obsédée et a transformé ma vie en
un vrai cauchemar », dit-elle. Hanane n’est pas restée
passive, elle a toujours cherché un moyen pour renforcer ses
muscles. Elle a pratiqué plusieurs sports, comme le croquet
et le tennis, mais ils n’ont pas réalisé les résultats
qu’elle voulait, et elle n’avait pas assez de force physique
pour pratiquer d’autres sports qui auraient été plus
efficaces, tels que le karaté ou le judo. Hanane a été l’une
des premières à s’inscrire aux cours de Self-Défense après
avoir lu l’annonce. Et pour la première fois de sa vie, elle
jouit des sentiments de sécurité et de confiance qui lui ont
toujours manqué.
Femme égale délicatesse ?
« Nous sommes les victimes d’une éducation traditionnelle,
qui exige que les filles soient délicates, douces, calmes et
même fragiles pour être dignes de ce nom. Il est interdit
pour nous de frapper ou de se battre car cela ne convient
pas aux comportements raffinés des demoiselles », explique
Hanane, qui garde toujours sur elle un petit carnet dans
lequel elle note toutes les explications de l’entraîneur
pour ne pas les oublier et s’entraîner chez elle.
De plus, elle visionne régulièrement des films d’action pour
observer les mouvements des comédiens et découvre désormais
facilement les fautes des réalisateurs dans certaines
scènes.
Roqaya, qui a une trentaine d’années, assiste aux cours car
elle met à profit la philosophie du jeu basé sur le contrôle
de soi. « Si j’arrive à contrôler les gestes d’une personne
devant moi, je peux alors avoir plus de maîtrise sur
moi-même, mon cerveau et mes actions », dit Roqaya. Les
raisons pour lesquelles Dalia, professeure à la faculté
d’ingénierie, est là, ne sont ni psychiques ni morales mais
plutôt intellectuelles. Elle a remarqué que la passivité
était en train de devenir un caractère commun chez les gens.
Ce sentiment que personne ne vient au secours d’une autre a
atteint son apogée un jour de manifestation où des soldats
ont torturé et abusé des filles manifestant dans la rue. A
cet instant, elle a décidé d’apprendre à se défendre
puisqu’elle ne sait pas ce qui peut lui arriver. Pour des
raisons politiques, sociales et culturelles, les gens sont
devenus plus agressifs. Puis, l’affaire de ce mystérieux «
agresseur » de Maadi ou d’autres événements qui ont
marqué l’actualité, sont en partie responsables du nombre
croissant des participantes, estime Marwa, responsable des
inscriptions.
Yasser, jeune entraîneur, l’unique homme de la salle,
apprend à ses élèves des astuces qui les aideront à arrêter
n’importe quelle attaque mais il insiste sur le fait que
cela nécessite d’abord une préparation morale et mentale.
« La confiance en soi, avant tout. Le premier rempart de
défense de chacun, c’est de créer en lui un sentiment de
force », dit Yasser. Alors, leçon numéro un : ne plus avoir
peur, car il y a sûrement un moyen pour stopper celui qui
attaque. La force n’est qu’une illusion mentale et chaque
personne a plusieurs points faibles dans son corps qui
peuvent facilement être utilisés pour paralyser ses actions.
Yasser leur apprend à changer les traits de leurs visages,
le ton de leur voix, à fixer leurs regards, à provoquer sur
l’attaquant l’impression qu’on n’est pas facile et qu’il
peut le regretter s’il insiste sur le chemin d’une
confrontation violente. « Aujourd’hui, je suis fier que
toutes mes filles sont capables moralement et physiquement
de se défendre contre n’importe quelle attaque », dit Yasser
en continuant ses explications sur les moyens de défense
basés sur le côté psychique et en ajoutant que les actes
physiques viennent en dernier lieu, mais sont parfois
nécessaires. D’après lui, « tout ce qui précède, ce ne sont
que des règles de base qu’il faut apprendre à nos enfants
très tôt, car garçon ou fille de tout âge doit avoir le
sentiment de pouvoir se défendre puisque chacun y gagne une
certaine sécurité et confiance en soi », dit Yasser qui
entraîne des femmes pour la première fois, alors qu’il le
fait avec les hommes depuis des années. Il affirme qu’il n’y
a pas de différence entre les deux sexes.
Quels que soient les motifs, les deux veulent paraître plus
forts devant les autres et devant eux-mêmes.
Le Self-Défense, selon l’entraîneur, n’est pas un sport au
sens propre du terme, mais des aptitudes basées sur des
mouvements tirés de tous les sports de combat : karaté,
kung-fu, taekwondo et autres. « Ces jeux conviennent pour
participer à des compétitions et pour faire des
démonstrations mais ne sont pas utilisables directement sur
le terrain de la réalité ». Chaque entraîneur rassemble donc
ses connaissances des différents jeux pour former la
technique du Self-Défense. Que ce soit un fait personnel ou
l’atmosphère générale de violence qui a marqué chacune des
participantes, toutes sont convaincues de la nécessité
d’apprendre à se défendre. Peu de temps s’écoule avant que
la différence n’apparaisse clairement. Yasmine, 10 ans et
qui forme avec sa sœur le duo le plus jeune de la classe, a
passé bien de mauvaises nuits, se sentant incapable de
mettre fin aux attaques de ses copains d’école. « Elle ne
possédait que ses larmes comme réaction devant ces vilains
garnements, qui redoublaient leurs attaques en la voyant
faible », dit la maman de Yasmine qui a encouragé ses filles
à s’inscrire à ces cours. Yasmine ne regrette pas du tout,
surtout qu’elle est sûre maintenant que si un garçon la
touche, elle lui rendra immédiatement la pareille.
« Je les regarde dans les yeux en espérant qu’ils me
provoqueront pour pouvoir leur montrer qui je suis », dit la
douce Yasmine.
Depuis janvier, date de l’inauguration de ces cours, et
jusqu’aujourd’hui, Batoul, 33 ans, a été elle aussi témoin
d’un changement important dans sa personnalité. « Etant
naine et brune, j’allais devenir folle à cause des
moqueries, des railleries et de la méchanceté des gens »,
dit Batoul qui détestait son sentiment d’impuissance. Elle
raconte que le pire des jours a été celui où un chauffeur de
taxi l’a retenue dans la voiture et a refusé de lui ouvrir
les portes avant qu’elle ne paye 20 L.E. tandis que le
trajet n’en méritait que 5 seulement. Impuissance de nouveau
et toujours sentiment qui dominait la vie de Batoul et qui
s’est transformé en courage sans limites. « Parfois pendant
le cours, j’oublie qu’on joue et je cause de vraies douleurs
à Yasser et à mes collègues », confie Batoul.
De plus, cette jeune femme qui évitait les gens sort parfois
exprès pour s’exposer à des personnes qui la méprisent, et
elle réplique immédiatement de toutes ses forces. Elle, qui
veut se venger de chaque homme osant narguer ou draguer une
femme pour la simple raison qu’il se sent le plus fort, dit
qu’elle ne savait pas qu’elle possédait tout ce courage.
Elle propose aussi à ses sœurs de les accompagner pour les
protéger. « J’ai entièrement changé, je suis très fière de
moi et je regrette même le temps que j’ai perdu de ma vie à
rester coincée dans ma chambre ». Enfant ou âgée de 60 ans,
une femme peut rejoindre la classe à condition de ne pas
avoir de graves problèmes de santé. Avec l’entraînement, ces
sirènes gardent leur apparence douce et fragile, et en même
temps elles sont prêtes à attaquer en cas d’urgence et à se
transformer en animaux féroces. Si trois mois sont
suffisants pour qu’une femme apprenne les bases essentielles
pour se défendre, la plupart des participantes pensent
cependant continuer pour ne pas oublier et jouir du
sentiment qu’elles sont fortes moralement et physiquement .
Hanaa
Al-Mekkawi