Al-Ahram Hebdo, Visages | Abla Al-Badri, Le don social
  Président Morsi Attalla
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 17 au 23 octobre 2007, numéro 684

 

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Visages

Parmi les enfants de la rue, Abla Al-Badri a trouvé sa place. L’une des premières spécialistes de ce domaine, elle lui a consacré toute une vie.

Le don social 

« Les Egyptiens ont pris l’habitude de voir la laideur partout. Si on l’avait refusée dans notre quotidien, ces enfants de la rue n’auraient pas existé. Cette scène des petits qui plongent dans un sommeil profond dans le creux d’un pneu ou celle d’autres enfants fouillant dans un tas d’immondices, cherchant quelque chose à manger nous auraient forcément choqués. Mais ces scènes sont devenues tellement courantes que l’on est devenu blasé, on tente de les marginaliser », s’indigne Abla Al-Badri, 41 ans, présidente de l’association Hope Village (la première ONG à s’occuper du dossier des enfants de la rue, il y a plus de 20 ans). Entre une pile de dossiers, elle mène son train. Chacun de ces dossiers narre le drame d’une famille qui a jeté son enfant dans la rue. Des drames qui ont poussé Abla Al-Badri à oublier ses propres soucis. Divorcée et mère d’une fille de 22 ans, elle devait assumer ses responsabilités, seule. Mais le fait de voir les malheurs des autres lui donnait de la force pour relever les défis. « Je voyais les yeux de ma petite Sara sur le visage de chacune de ces victimes. 10 % des enfants de la rue ont été condamnés à ce sort pour des raisons économiques, alors que 58 % sont victimes de problèmes sociaux : (divorce, mort ou départ d’un parent, violence à la maison, etc.) », dit-elle, ajoutant que ces chiffres l’ont placée devant un fait accompli : tous les enfants peuvent subir l’expérience de la rue. Et pour illustrer ses propos, elle cite : « J’ai reçu une fois un enfant dont le père occupait un poste très important au ministère de l’Intérieur, mais après la séparation du couple, chacun d’eux à renoncer à sa responsabilité ».

C’est parmi ces enfants de la rue qu’elle a éduqué sa propre fille. Elle l’emmenait au centre pour jouer avec eux, partageant de vrais moments de vie. « Ma fille a eu l’occasion de connaître le malheur de ces enfants, ce qui l’a aidée à ne pas se sentir victime de la séparation de ses parents. Un bon moyen de lui montrer qu’il existe des personnes qui vivent dans des conditions plus dures que les siennes ». Et d’ajouter : « Le fait d’avoir ma fille toujours dans les parages était aussi une astuce pour démontrer à ces enfants qu’ils ne sont pas rejetés et abandonnés par tout le monde. Et qu’il y a des gens qui les acceptent comme ils sont », raconte Abla Al-Badri, qui se sert tout le temps de son expérience personnelle pour donner confiance aux enfants.

Tenue classique, petit foulard et visage calme, Abla laisse peut-être l’impression d’une femme au foyer. Cependant, cette allure cache bien des tréfonds houleux. Son travail pendant 20 ans dans le domaine social lui a accordé la patience du combattant. Elle a appris que certaines causes ont besoin de plusieurs décennies pour y remédier. Bien que les 15 filiales de Hope village aient reçu des centaines et des centaines d’enfants, le cas de Mahmoud reste gravé dans sa mémoire. C’était un enfant que le père a suspendu, deux jours, le battant avec une chaîne parce qu’il a refusé de lui donner les 10 L.E., sa paye quotidienne dans un atelier. Le petit qui est venu demander secours au centre a eu une hémorragie et des fractures. Il a risqué la mort et a subi un traitement pour plus de deux mois. Lorsque le centre a fait appel à la police, il a été averti que le père a le droit d’éduquer son fils à sa manière ! Le cas de Hoda a été lui aussi bien marquant. Il s’agit d’une fille qui a été violée par un homme d’affaires. Traumatisée pendant plus d’un an, elle refusait de parler. Une chose qui a entravé son rétablissement.

« Je crois que l’enfance est la période la plus importante dans la vie des gens. Si on a passé une enfance saine, on pourrait plus tard affronter les choses dures de la vie. Quand je vois un enfant dans la rue qui pleure, je sais qu’il n’est pas entouré par une famille qui l’aime. La famille forge le caractère de la personne dès son âge tendre », explique Abla Al-Badri, ajoutant : « J’ai eu une enfance agréable. Cela m’a beaucoup aidée par la suite ».

Fille d’un haut fonctionnaire de l’Etat et d’une mère sociologue, elle a été la benjamine d’une famille qui compte trois filles. La petite fragile a hérité l’amour de la musique de son père, lequel a quasiment inventé un nouvel instrument. Ayant l’oreille musicale, Abla a appris toute seule à faire du piano, jouant les œuvres orientales de Abdel-Wahab et Abdel-Halim. Son âme d’artiste s’est vite épanouie. Et c’est d’ailleurs cette sensibilité de l’artiste qui l’a beaucoup aidée à communiquer et à s’entendre avec les enfants. Et de sa mère, elle a acquis le sens du bénévolat. « On avait l’habitude d’aller dans les asiles et orphelinats pour donner des vêtements et de l’argent aux gens pauvres. Je ne pouvais, à l’époque, distinguer entre la charité et l’acte social. Le premier n’est pas une chose durable, par contre le second est permanent et a besoin d’une vision plus vaste, étant lié au développement. Mais en ce moment, l’acte social en Egypte n’est pas conçu en tant que tel ».

Cette notion, Abla Al-Badri l’a apprise à la faculté du service social où elle a eu l’occasion de guider les autres étudiants en stage d’entraînement dans les asiles, les maisons de retraite, les orphelinats et les institutions de soins pour les délinquants. De près, elle a pu toucher la différence entre ce que les étudiants apprennent théoriquement et la réalité. Par exemple, chaque sept enfants dans un orphelinat doivent être sous la surveillance d’une assistante sociale pour qu’elle puisse faire son boulot correctement. Cependant, celle-ci se trouve parfois obligée de surveiller plus de 100 enfants en contre-partie d’un salaire médiocre. D’autres institutions, selon Al-Badri, ne croient plus à l’importance du rôle de l’assistant social. Abla se tait pour un instant puis poursuit : « J’ai été placée entre deux choix : dédaigner ma carrière et la changer ou bien essayer de changer la vision de la société à l’égard de l’assistant social ».

Une simple visite à l’association Hope Village lui a donné cette opportunité. « Lorsque je suis venue pour rendre visite à cette association, j’étais vraiment déprimée par ce que j’ai vu sur le terrain. Et j’avais l’impression que je suis en train de trahir les étudiants car ils ne vont guère trouver ce qu’ils sont en train d’étudier. Mais une lueur d’espoir brille à l’horizon lorsque je rencontre M. Richard Hamssely, président de l’ONG ».

Là, Abla Al-Badri a connu de près une expérience qui s’approche de l’idéal, de son rêve. Lorsque Hamssely avait abordé le dossier des enfants de la rue au début des années 1990, on l’a fortement attaqué car le phénomène portait atteinte à la famille égyptienne. Mais croyant à sa cause, il a décidé de continuer. Il a inauguré un centre d’accueil où il essayait d’offrir aux enfants de la rue une vie meilleure. Pourtant, il lui manquait le côté académique. C’est Abla Al-Badri qui a comblé ce vide. « Lorsque j’ai connu M. Hamssely, j’étais en train de préparer ma thèse de doctorat sur un autre thème. C’est lui qui m’a convaincue de changer le sujet et de choisir celui des enfants de la rue car le terrain a besoin de cette étude ».

Elle préside alors une filiale de Hope Village faisant ainsi office de mère pour les enfants qui manquaient énormément de tendresse et d’affection. Elle parvient en un temps record à dessiner le sourire sur les lèvres de ces victimes. Son succès l’a motivée à gérer le Hope Village une année après, suite à la mort de Hamssely. Dans son nouvel univers, elle ne rate aucune occasion lui permettant de faire des études de terrain, détecter l’ampleur du phénomène et d’élaborer sa propre vision. « La maison familiale est le meilleur endroit où peut se trouver un enfant. Alors à chaque fois qu’on reçoit un enfant de la rue, on essaie d’effectuer une étude de cas pour connaître la raison de son départ. Puis on effectue des négociations avec la famille, surtout lorsqu’il s’agit d’une question économique. On tente alors de créer à celle-ci une source de revenu. Une chose qui nous a poussés à lancer, au sein de l’ONG, un service offrant des emprunts pour des micro-projets ». Une initiative qui a porté ses fruits car beaucoup d’enfants ont pu enfin regagner leurs foyers.

En outre, le dossier des filles de la rue était un tabou pour le conseil d’administration, vu que les problèmes de celles-ci sont nombreux. Abla Al-Badri se lance dans un autre défi. Elle installe un centre spécialisé pour mieux se pencher sur la question. Une année plus tard, les 15 centres du Hope Village ont compté quatre centres travaillant sur les filles de la rue, dont un consacré aux filles mères. Une affaire de longue haleine. Mais elle est bien persévérante. A cet égard, Abla voue un grand amour pour la natation. « J’ai réalisé des chiffres assez prometteurs dans ce sport que j’ai dû arrêter pour indisponibilité. Dans les plages pour femmes à Marina, je nage pour laver mes soucis au bout d’une année surchargée », lance Abla Al-Badri qui ne retrouve le vrai salut qu’auprès de sa fille Sara et des 200 enfants du Hope Village. Elle aspire à ce que le nombre d’organismes qui s’occupent des enfants de la rue, tablant aujourd’hui autour de 9 associations, augmente pour soutenir les 400 000 victimes déjà dans les rues. Et pour sa fille, un mariage sans séparation ni peine.

Dina Darwich

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Jalons 

1966 : Date de naissance.

1987 : Maîtrise du Haut institut du service social.

1995 : Magistère sur le rôle de l’assistant social.

2000 : Doctorat sur les enfants de la rue, de l’Université de Aïn-Chams.

2001 : Diplôme des droits de l’homme, de l’Université de Lund en Suède.

2007 : Prix Schwab de l’entrepreneur social et prix de l’AUC pour les femmes influentes en société.

 

 




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