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 Semaine du 17 au 23 octobre 2007, numéro 684

 

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Société

Crimes sexuels. Les victimes de viols ou de harcèlements choisissent dans la majorité des cas de se taire et de vivre l’épreuve en solitaires face à une société intransigeante à l’égard des femmes et où l’honneur passe avant tout. Néanmoins, les langues se délient peu à peu et la question n’est plus un tabou.

Coupable d’avoir été violée

« S’il m’arrivait d’être victime d’un viol, je ne penserais jamais à porter plainte. Chez nous, dans le Saïd (Haute-Egypte), l’honneur est bien plus important que la vie. Ma famille ne pourra supporter deux scandales à la fois, le crime lui-même et celui de l’avoir révélé à la police. L’unique solution serait de mettre fin à ma vie pour éviter aux miens toute cette infamie », dit Hind, fonctionnaire d’une vingtaine d’années.

Chawqiya, mariée, et mère de trois enfants, rejette l’idée d’intenter un procès contre les agresseurs si jamais elle était victime d’un viol. « C’est déjà trop d’humiliation pour mon mari, je ne pourrais l’exposer à un autre scandale. Ce serait le déshonneur de la famille et mes filles en pâtiront ainsi que mes sœurs. Je préférerais encore garder le silence », confie-t-elle tout en ajoutant qu’au regard de la société, le coupable, c’est la femme. Des avis partagés par beaucoup de personnes dans une société qui considère l’atteinte à l’honneur comme un crime impardonnable et inconcevable. Et celle qui en subit les conséquences, c’est toujours la femme. « Elle est blâmée, montrée du doigt et les accusations portées sur elle aggravent ses souffrances, telles que pourquoi s’être exposée à une telle situation, pourquoi s’être risquée dans un tel endroit, ou pourquoi n’avoir pas tenté de se défendre jusqu’au bout », explique Mohamad Chamroukh, ex-chroniqueur de faits divers.

La victime se retrouve seule face à une société inquisitrice. Nihad Aboul-Qomsane, avocate et responsable du Centre Egyptien des Droits de la Femme (CEDF), qui a lancé depuis quelques mois une campagne contre le harcèlement des femmes, juge qu’il y a encore beaucoup à faire. Le but de son initiative est d’inciter les instances concernées à réagir pour que la femme soit plus en sécurité dans la rue, le travail et les moyens de transport. Aboul-Qomsane confie avoir rassemblé 3 000 témoignages de femmes victimes de harcèlement sexuel et deux seulement pour viol, mais les concernées ont préféré garder le silence. « Les femmes ont commencé à dépasser leur peur et parviennent à s’exprimer devant les chercheurs qui font tout pour gagner leur confiance et leur faire comprendre qu’elles ne sont pas complices, mais des victimes. Cependant, même dans les cas de harcèlement sexuel, elles ne sont pas prêtes à intenter un procès contre leurs agresseurs. Une position qui semble encore plus délicate lorsqu’il s’agit d’un cas de viol », explique Aboul-Qomsane.

Un feuilleton du côté de la victime

Or, un feuilleton intitulé Une affaire d’opinion publique diffusé ce Ramadan sur une chaîne publique, est venu annoncer aux gens que la victime n’est autre qu’une victime. Le personnage principal, campé par la grande actrice Yousra, a réagi positivement et a décidé de défier toute une société et un entourage intransigeant en intentant un procès contre ses agresseurs. « Peut-être ai-je été influencée par l’audace de Yousra dans le feuilleton, mais il se pourrait que je réagisse autrement si la situation est trop complexe, c’est difficile à trancher, de s’imaginer dans une telle impasse », confie Hanaa qui ne nie pas que porter plainte n’est pas une chose facile, surtout que l’on doute toujours de la victime, comme si elle n’avait pas réellement subi cette violence.

« Je ne céderais jamais à mon droit, ces violeurs doivent être sévèrement punis. Pourquoi dois-je souffrir en silence et subir toute seule les conséquences d’une expérience traumatisante, alors que les coupables mènent tranquillement leur vie ? Ce n’est pas à moi d’avoir honte, mais ceux qui ont commis ce crime », affirme Héba. Quand à Noha, trente ans, comptable, elle confie qu’elle n’hésiterait par à porter plainte en cas de viol, mais pas pour harcèlement sexuel. « Le harcèlement est subi quotidiennement et je réagis forcément en insultant ou en donnant un coup à mon agresseur, un viol, c’est bien plus grave et le châtiment doit être plus sévère ».

En général, on pense que la fille est consentante et veut coincer un homme qui n’a pas tenu sa promesse de mariage ou qu’elle est de mœurs légères et veut se venger de quelqu’un.

En fait, la manière avec laquelle on traite la victime ne peut qu’accentuer ses souffrances et ses sentiments de culpabilité au moment du procès-verbal et au cours de l’enquête. Un père traumatisé par le viol de sa fille de 16 ans a refusé d’aller à la police malgré les efforts déployés par l’avocate Aboul-Qomsane pour le convaincre. Selon lui, c’est une double souffrance pour son enfant. « Comment pourrais-je exposer ma fille à une série d’humiliations et de rudes épreuves ? Tous les regards seront fixés sur elle et cette manière avec laquelle on va la questionner comme si l’on mettait en doute ses déclarations va sûrement la traumatiser. En plus de l’expérience du médecin légal et les déboires qu’elle va vivre au tribunal. Cette expérience est destructrice et le résultat n’est jamais garanti : même si l’on retrouve les criminels et que le tribunal prononce son verdict, cette procédure aurait des effets néfastes sur son psychique », dit le père qui préfère céder au droit de sa fille plutôt que de faire éclater le scandale. Et Aboul-Qomsane explique qu’il n’a pas tout à fait tort. « Nous n’avons pas de spécialistes pour accueillir ces filles victimes de viol. Nos officiers de police ont grandi dans une société patriarcale avec des convictions erronées comme quoi la femme est toujours coupable en cas de viol. Sans compter la lenteur des procédures et le manque d’intérêt accordé à ce genre de plaintes », dit-elle.

Elle poursuit que cette peur de franchir la porte du commissariat pour éviter le scandale, la vision de la société face à ce genre de crime et les étapes à endurer font que parmi les 500 procès de statut personnel dans le bureau du CEDF ne figurent que deux ou trois procès de viol et ce sont souvent des procès pour preuve de paternité.

 

Société complice

Et le fait de se rendre à la police figure parmi les principaux obstacles. Selon la sociologue Azza Korayem, il existe un grand fossé entre les citoyens et la police en général. « Une personne qui se respecte est souvent tendue lorsqu’elle se rend à la police. L’affaire devient plus complexe lorsqu’il s’agit de dénoncer un acte de viol. Il faut que les agents fassent la différence entre un criminel et celui ou celle qui vient intenter un procès ».

De leur côté, les officiers expliquent qu’ils réceptionnent beaucoup de plaintes non justifiées ou par vengeance. « Le doute est toujours là et c’est l’enquête qui va dévoiler la vérité. Parfois l’on découvre que la fille est consentante et entretient une relation normale avec l’accusé », rétorque un des officiers de police. Chamroukh va jusqu’à expliquer que le fait de subir un viol n’est pas si simple, la victime peut résister jusqu’à la mort. Cependant, « même si la fille a une mauvaise réputation et qu’elle a été violée, la loi lui donne le droit de porter plainte, puisque cela s’est fait contre son gré », dit-il, tout en ajoutant que le fait de commencer par douter au sujet des déclarations de la victime accentue ses souffrances. Azza Korayem s’interroge : « Pourquoi ne pas punir la personne qui fait une fausse déclaration si cela est prouvé au lieu de juger coupable quiconque défend son droit ? ». Un fait qui rend le crime, malgré sa cruauté, l’un des plus sécurisés, comme le qualifie Nihad Aboul-Qomsane. « Celui qui commet un crime de viol contre une fille aura une autre comme cadeau ! », ironise-t-elle. Dr Kamal Mogheith, professeur au Centre des recherches pédagogiques, considère le fait que la société soit complice comme un comportement indécent qui équivaut à celui de commettre ce crime horrible.

Il faut que la société change de mentalité face à ce genre de crime et c’est le but des ONG et des instances concernées, comme le confie Aboul-Qomsane, d’autant que la plupart des études faites sur ces crimes sexuels prouvent qu’il y a recrudescence. « La décision de rendre la rue égyptienne plus sécurisée en éparpillant des gendarmes qui font la ronde pour établir des procès-verbaux sur place est un pas en avant dans la lutte contre ces crimes sexuels ».

Il reste cependant beaucoup à faire pour sensibiliser les gens. Et pourquoi ne pas donner certaines garanties aux femmes ?, comme le demande Korayem. « Il faut insister à ce que les procédures dans ce genre de crimes soient faites discrètement, loin de la presse, pour ne pas exposer la victime aux projecteurs et perturber encore son moral », explique Korayem en ajoutant qu’il est nécessaire de mettre en application les peines de ce crime horrible et cela ne peut se faire que si l’on porte plainte. Et si l’on a brisé en certains termes le silence autour de ces crimes, il reste aussi à surmonter le tabou et oser se rendre aux instances concernées. Pour bien lutter contre le phénomène, il est indispensable, selon Chamroukh, de ne plus avoir cette peur du scandale au point de taire les droits de la victime et de sa famille .

Doaa Khalifa

 


 

La vie de Mohamad après

Bien avant la télévision, la presse a, ces dernières années, souvent consacré de larges colonnes aux crimes sexuels, souvent aux dépens des concernés. Cela fut notamment le cas pour l’affaire de Hind, 11 ans, qui a accusé Mohamad de l’avoir violée.

« J’aurais payé de ma vie pour apaiser l’opinion publique. Les médias ont mis de l’huile sur le feu sans tenir compte de la probabilité de mon innocence. On a voulu me punir pour montrer qu’on est un pays qui respecte les droits de l’homme, alors que tout prévenu est innocent jusqu’à preuve du contraire », s’indigne Mohamad, 22 ans, plombier. Le regard perdu, le sourire effacé, il éprouve des difficultés à s’exprimer. Sept mois de calvaire pour ce jeune homme qui a été arrêté en mars dernier et accusé du viol d’une fille âgée de 11 ans duquel elle a eu un enfant. Etant la plus jeune fille mère, les médias n’ont pas raté l’occasion pour en faire des gorges chaudes. Une campagne féroce a été menée contre l’accusé, le comparant à un monstre. « Je ne serai apaisé que si ce monstre est condamné à mort. Je pourrais enfin dire que j’ai retrouvé ma dignité », répétait Hind, 11 ans, élève en cinquième année primaire, aux différents médias. Cette fille mère a gagné la sympathie de la société égyptienne, y compris le soutien des organisations des droits de l’homme locales et internationales.

Surprise. Les analyses ADN ont montré que la petite Menna, le bébé de Hind, n’était pas l’enfant de l’accusé. Mohamad est déclaré innocent et selon la loi, Hind n’a pas le droit de faire appel. Ce verdict est définitif.

Dans le quartier d’Al-Khossous, à Qalioubiya, où vivent Mohamad et Hind, le calme semble avoir regagné le lieu qui a connu un état d’effervescence. Alors que tout le monde évitait de contacter la famille de Mohamad, sa sortie de prison a été fêtée en grande pompe. Un cortège formé de toc-tocs et d’automobiles l’attendait près du commissariat pour l’emmener chez lui. Des cris de joie et des coups de feu ont marqué l’événement. Quant au sort de Hind et sa famille, des rumeurs circulent qu’ils ont déjà quitté le village pour éviter toute vengeance.

Calomnie, commérages et rumeurs circulent de bouche à oreille. Alors que la majorité ont cru à l’innocence de Mohamad, d’autres éprouvent encore de la compassion à l’égard de Hind. « C’est une victime. Sous l’effet du choc, elle n’a pu reconnaître son agresseur. La preuve en est que ses témoignages au départ étaient bien contradictoires », précise un des habitants. « Peut-être a-t-elle accusé Mohamad pour protéger une autre personne », lance un autre. Mais pourquoi lui spécialement ? Une question qui demeure comme une énigme pour Mohamad.

Une énigme qui a bouleversé sa vie et celle de sa famille. Un véritable calvaire pour ce jeune homme qui a passé trois mois en prison. « Je me consumais à petit feu en attendant le verdict. A chaque fois que je recevais une visite, je perdais espoir face à la pression de la société. Je savais que toute l’Egypte était contre moi et je me déplaçais d’une prison à une autre ou me rendait au tribunal sous forte escorte de peur que quelqu’un ne vienne me tuer ».

Une souffrance pour Mohamad, mais aussi pour sa famille. Sa fiancée l’a même quitté. Ses deux sœurs ont été répudiées par leurs maris.

« Je suis un plombier et donc censé rentrer dans les maisons. Depuis ce scandale, personne ne fait plus appel à mes services, pas même mes deux fils qui travaillent avec moi. Les gens ont peur de moi et on m’a surnommé le père du monstre. Je n’avais plus de travail et donc plus de moyens pour payer l’avocat qui devait défendre mon fils », dit le père en larmes. Noyé par les dettes, il confie avoir du mal à survivre « Ce verdict va nous permettre de remonter la pente tout doucement. Il est plus facile de détruire que de construire », réplique comme avec sagesse Oum Mohamad.

 

Une famille humiliée

Et ce n’est pas tout. Les médias ont porté atteinte à la réputation de la famille. « Les enfants ne voulaient plus jouer avec moi, craignant que leurs parents ne les punissent. Je les entendais insulter mon jeune frère et je me mettais en colère. Pour éviter les bagarres, j’avais décidé de ne plus sortir de la maison », confie Amin, 12 ans, le frère de Mohamad. La mère aussi a beaucoup souffert du regard des gens. Elle ne voulait même plus sortir pour faire des courses. « Un jour, un homme m’a craché à la figure et j’ai dû me taire, incapable de me défendre ». Elle se tait un moment, puis poursuit : « Aujourd’hui, beaucoup de personnes sont venues s’excuser pour avoir réagi injustement envers nous. Mais comment pardonner aux 70 millions d’Egyptiens qui ont voulu détruire la vie de mon fils. Il faut une dose de tolérance élevée ».

La police a aussi enfoncé le couteau. « On a été humilié par la police. Un de mes fils a été battu par des agents alors qu’il venait de sortir du bloc opératoire ; mon mari a été malmené. Qui va nous dédommager pour tout cela ? », s’interroge la mère.

Aymane Khiraa, avocat de Mohamad, assure que son client a passé 3 mois en prison pour rien. Lorsqu’on est accusé d’un délit et que l’on est condamné à une peine de prison, cette période est retranchée de la durée de la peine. S’il y a preuve d’innocence, la législation égyptienne ne prévoit aucun dédommagement, ce qui n’est pas le cas dans certains pays arabes. Alors, Mohamad ne peut intenter un procès contre l’Etat. Mais son avocat va intenter un autre contre la famille de Hind et même contre les chaînes satellites et les journaux qui ont mis de l’huile sur le feu.

Pour le moment, la famille de Mohamad est soulagée, mais lui est marqué et vit en retrait. Cette expérience lui aura montré le vrai visage des gens et de ses voisins. « Rares sont ceux qui m’ont rendu visite et ont soutenu ma famille durant la crise. J’éprouve une grande difficulté à être aimable avec les gens, et le cortège qui m’a reçu ne m’a nullement impressionné. L’hypocrisie, je n’aime pas ça. Il est difficile de pardonner quand on a été victime d’une injustice », commente Mohamad qui confie que certains de ses amis l’évitent même après la preuve de son innocence, car dans les quartiers populaires, on craint beaucoup la police et lui est devenu un visage suspect. « Ils veulent sûrement s’éviter les problèmes ». Et la vengeance ? Cela ne semble pas être l’objectif de Mohamad. « Je n’ai nullement envie de me venger de cette fille. J’ai perdu trois mois en prison. Est-ce que cela vaut le coup d’en perdre encore pour elle ? J’ai d’autres choses bien plus importantes à faire », explique-t-il.

Un drame qui est venu s’imposer au quotidien d’Al-Khossous et qui s’est transformé en sujet de plaisanterie. « Lors du grand Baïram dernier, Saddam Hussein fut la victime du bourreau. On craignait que Mohamad ne subisse le même sort lors du petit Baïram », conclut Mahmoud .

Dina Darwich

 




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