Publicité.
Elle est omniprésente dans notre vie, ciblant tous les
citoyens, avec pour but de mieux vendre les articles et même
parfois les idées politiques.
Lave ... le cerveau plus blanc
Dans
son ouvrage indépassable 1984, Georges Orwell nous traçait
l’image d’une société totalitaire faite d’un lavage de
cerveau administré au quotidien par l’intermédiaire de
formules sur écran vantant les mérites du régime de Big
Brother. Or, il semble que les thuriféraires de la société
de consommation ont appris ce roman par cœur et l’appliquent
avec tout le zèle possible et imaginable. En Egypte aussi,
c’est le cas de le dire. Où que vous soyez, vous
n’échapperez pas au message publicitaire : sur les écrans de
nos télés, sur les chaînes de radio, sur les pages des
journaux et magazines, dans les stations de métro, dans les
moyens de transport, ou sur les grands panneaux qui cernent
de part et d’autre nos regards, sur les sites Internet, ou
même sur nos portables, la publicité nous traque au
quotidien. Qu’on le veuille ou non, elle envahit nos vies et
manipule nos désirs et même nos habitudes de consommation.
Elle est là partout et sans vergogne et nous donne
rendez-vous de manière astucieuse avec un objet de
consommation. Impossible d’y échapper ni même d’y résister.
Les spécialistes l’appellent le miroir du rêve, le lavage de
cerveau, l’art de faire croire, de convaincre, de manipuler
et surtout l’art de créer un besoin.
Vu son impact, la publicité est considérée comme la forme de
communication la plus importante du siècle. Elle est capable
de fixer l’attention sur un produit pour inciter le
consommateur à réagir. Ce produit peut être un objet, un
service, un événement ou même une idée.
Si elle existe en Egypte depuis plus de 150 ans sous forme
d’affiches et de panneaux publicitaires, la publicité a pris
ces trente dernières années des formes plus avancées. C’est
dans les années 1970 qu’elle devient un véritable phénomène
social. Elle prend un aspect plus professionnel, des
techniques plus avancées et utilise des idées originales,
humoristiques ou même choquantes. Dans les années 1980 et
90, la publicité a opté pour des moyens technologiques plus
sophistiqués et des idées plus innovantes. Elle devient plus
ciblée sur une partie de la population (âge, sexe, classe
sociale, niveau d’instruction ...). Images, couleurs,
musiques, tout est fait pour que le consommateur ne puisse
pas détourner son regard. Il suffit de jeter un coup d’œil
sur le pont du 6 Octobre pour constater à quel point ces
publicités nous cernent. Les affiches publicitaires se
dressent à perte de vue, faisant la pub d’une marque de
chocolat donnant de l’énergie, d’une ligne de portable avec
offres spéciales ou des derniers albums d’un Tamer Hosni.
Et pour la première fois, on peut voir des publicités sur
les feuilletons diffusés pendant le mois de Ramadan ou même
les annonces concernant les films qui sont projetés dans les
salles de cinéma pendant le petit Baïram. Un véritable
carnaval de couleurs qui a bouleversé l’allure de nos rues,
ponts, places et boulevards. Il suffit aussi d’ouvrir nos
postes de télé pendant le mois de Ramadan ou pendant la fête
pour voir que tous les produits sont là dans une sorte de
défilé où chaque entreprise fait de son mieux pour séduire.
Du beurre jusqu’aux matériaux de construction, comme le
ciment et le fer, les détergents, les voitures ...
La télé est l’impératrice
Selon
les études, c’est la télévision qui se taille la part du
lion dans ce domaine, avec plus de 48 % des publicités
existantes sur le marché. La presse écrite arrive en
deuxième position, avec seulement 12 %. De plus, des
journaux spécialisés uniquement dans la publicité ont vu le
jour et ont réalisé un succès sans précédent, tels que
Al-Wassit, distribué gratuitement tous les vendredis et
attendu avec impatience par ses lecteurs. « Une réalité qui
prouve à quel point nous sommes devenus une société de
consommation », analyse Mohamad Al-Saadi, co-propriétaire
d’une agence de publicité. Selon lui, un produit qui ne fait
pas l’objet de campagne publicitaire est quasi inexistant
aux yeux du public.
« C’est grâce à la pub que ce produit se fait connaître.
Disposer d’un bon produit et l’offrir à un prix compétitif
ne garantissent pas sa vente. Un article plus cher peut être
plus prisé si l’on joue sur l’image de marque. Ensuite,
vient le rôle le plus important de la pub, celui de motiver
le consommateur à l’acquérir », explique Walid Serry, un des
artisans créateurs qui doit cogiter l’idée du spot avant sa
réalisation. Ce nouveau magicien brandit sa baguette et
voici que les esprits sont captifs. Hind, une habitante du
quartier de Sayeda Zeinab, fait ses achats chez l’épicier du
coin selon les pubs qu’elle a vu défiler à la télé et qui
l’ont captivée. Un détergent Persil, puiqu’elle adore
l’actrice Abla Kamel qui fait le spot, pour les enfants du
Pepsi et non pas du Coca car elle a une préférence pour le
comédien Ahmad Helmi et pas pour le chanteur Hamaqi qui fait
la campagne de Coca-Cola. Et lorsqu’elle a décidé de
s’acheter une ligne de portable, elle a opté pour Vodafone,
car elle a été touchée par la campagne publicitaire qui a su
jouer sur les émotions du spectateur.
Raison pour laquelle tout produit est digne d’une publicité.
« Tout est fait pour aguicher le consommateur, rendant cet
objet indispensable à sa vie, comme disent les Américains,
pour vendre des médicaments, inventons des maladies »,
explique Walid Serry. En outre, c’est grâce aux spots
publicitaires diffusés sur la station de radio Stars FM que
certains restaurants et cafés ont acquis une grande renommée
tels que Beano’s, On The Run et autres, vendant aux
Egyptiens un style de vie tout à fait nouveau.
De l’aiguille à la fusée
Ce slogan de l’époque nassérienne, selon lequel l’Egypte
allait tout produire de « l’aiguille à la fusée », peut
désormais s’appliquer au ciblage des publicitaires. Pour la
première fois, on peut voir sur les écrans de télé des spots
concernant des matériaux de construction fabriqués par de
grandes usines bien que leurs produits ne soient pas
destinés à tous les consommateurs. Mais c’est là une façon
de vendre son image de marque et d’avoir du poids sur le
marché et auprès de l’opinion au cas où un débat public
surgit sur l’entreprise. Aujourd’hui, on découvre même des
spots publicitaires sur des projets caritatifs et des ONG,
tels que la construction d’un hôpital pour enfants cancéreux
ou la campagne de lutte contre le phénomène des enfants des
rues, parrainés par l’Unicef et la société de ligne de
portable MobiNil ainsi que la campagne pour la sécurité
routière. « Ce changement est dû au phénomène du sponsoring
ou parrainage. De plus en plus d’entreprises soutiennent un
projet ou une cause humaine. La publicité est dans ce cas un
moyen pour sensibiliser le public vis-à-vis de l’idée, sans
oublier de mentionner le nom du sponsor tout en mettant en
valeur sa contribution dans le développement de la société
», affirme Saadi.
Ainsi, la publicité associée à un thème ou un événement
devient une tendance. En effet, c’est la chaîne de vente de
vêtements Benetton qui a commencé dans ce domaine en lançant
sa campagne antiraciste et son slogan (United Colors of
Benetton), présentant des portraits d’enfants de toutes les
races.
Créativité non sans censure
Pour les experts de la publicité, cette évolution a eu lieu
pour que la pub s’adapte au goût du public. En fait, c’est
aussi le public qui se plie au diktat d’une pub agressive. «
A ses débuts, la publicité avait des formes plus simples et
transmettait un message direct. La publicité classique
pendant les années 1970 et 80 était celle présentant de
jeunes filles au corps élancé en train de se dandiner aux
rythmes de la musique. Aujourd’hui, la qualité, les
couleurs, la technique, tout doit être pris en compte, car
la personne qui va la regarder zappe sur toutes les chaînes
satellites. Nous sommes obligés de lui présenter une œuvre
d’art pleine d’innovation et d’idées créatrices tout en
faisant travailler son imagination », explique Saadi.
Aujourd’hui, les publicités font partie de notre quotidien.
Nous nous servons de ses slogans dans nos discussions et
plaisanteries. Les enfants dans les rues et écoles récitent
par cœur ses phrases et ses slogans. Ses musiques et
chansons retentissent partout dans les rues et les lieux
publics.
Des limites à ne pas franchir
Recourir à l’originalité de la langue, recourir surtout au
dialecte égyptien et aux mots de tous les jours, avoir de
l’imagination, faire du sensationnel, jouer sur les
émotions, choquer ou faire peur, tout est permis pour faire
parvenir le message.
Pourtant, certains se plaignent que même si ce domaine est
plein de créativité et d’insolite, il existe des lignes
rouges à ne pas dépasser. « Une fois le spot publicitaire
exécuté, nous ne pouvons le diffuser sur les écrans qu’après
avoir obtenu l’autorisation de la commission de censure.
Dans une société conservatrice comme la nôtre, nous ne
pouvons pas nous permettre de présenter dans une pub à la
télé ou dans un journal des images ou des idées qui portent
atteinte aux traditions, aux mœurs ou à la religion. Nous
devons prendre en compte tous ces facteurs en créant la pub.
Je ne peux pas, par exemple, utiliser la photo d’une femme
portant un vêtement trop échancré, ou d’un homme qui fume
une cigarette ou boit de l’alcool », confie Serry.
Pourtant, il faut l’avouer, au niveau des idées abordées,
les tabous sont en train de tomber. Pour la première fois en
Egypte, des campagnes publicitaires touchent aux sujets
politiques et aux plans de réforme adoptés par l’Etat. La
campagne de sensibilisation vis-à-vis de la nouvelle loi sur
les impôts en est un exemple. Elle a réussi à briser le
tabou de l’absence de confiance entre le citoyen et le
gouvernement, annonçant la naissance d’une nouvelle ère
basée sur la transparence et la franchise. Cela dit,
d’aucuns affirment que les responsables ont trouvé plus
efficace de recourir aux méthodes publicitaires pour rallier
le public. Ainsi cette campagne a-t-elle précisé toutes les
modifications apportées pour simplifier la procédure de
versement d’impôts. Cette campagne publicitaire a utilisé
toutes les informations et statistiques visant à donner
confiance au citoyen et a porté ses fruits.
Et ce n’est pas tout. Toujours sur la scène politique, et
pour la première fois de son histoire, le Parti National
Démocrate (PND, au pouvoir) a décidé de lancer une campagne
publicitaire pour embellir son image et se rapprocher un peu
plus du peuple. Du jour au lendemain, des panneaux
publicitaires ont envahi les rues du Caire avec des photos
de citoyens ordinaires scandant le fameux slogan « Nouvelle
vision et essor vers l’avenir ». Et au cours du mois de
Ramadan, ce même parti, pour inciter les citoyens à jouer un
rôle plus actif au sein de la société, a lancé une campagne
avec comme slogan « L’Egypte bouge ».
Des idées, qui même si elles n’ont pas réussi à convaincre
tout le monde, prouvent à quel point le matraquage
publicitaire fait loi.
Amira
Doss