Religion.
En bas d’un immeuble, dans un atelier, à l’angle d’une rue,
sur le trottoir ou sous un pont, les zawayas ou salles de
prière ont envahi le pays. Le ministère des Waqfs tente de
les contrôler, mais la mission n’est pas une sinécure.
Ces îlots de culte nommés ZAWAYAS
L’imam
demande aux fervents de se préparer à la prière. Très
disciplinés et serrés les uns contre les autres, les fidèles
se mettent en rang. Ceux qui ne trouvent pas de place à
l’intérieur étalent leurs tapis sur le trottoir. Des
propriétaires d’échoppes, des marchands ambulants et des
passants se joignent à eux. « Cette zawiya m’apporte des
sawabs et des hassanates (des récompenses divines) dans
l’au-delà, et surtout du prestige », dit Fathi, propriétaire
de la zawiya, petite salle de prière d’environ 40 m2.
Ce dernier confie aussi être exempt d’impôts, ce qui est
pour lui un gain à retirer. Par ailleurs, Fathi n’a jamais
voulu que sa zawiya dépende du ministère des Waqfs. L’imam
entame son prêche. Un sermon long, souvent improvisé et qui
peut durer parfois une heure ou une heure et demie, contre
une demi-heure dans les mosquées dépendant des Waqfs. Il
commence son discours, tendance Frères musulmans, et parle
des difficultés que rencontrent les jeunes à se marier. Il
cite en exemple l’époque du calife Omar Ibn Al-Khattab, où
l’Etat soutenait et aidait les jeunes, et la compare à celle
d’aujourd’hui. Pour lui, le nombre de célibataires est
considérable et il reproche à l’Etat son laxisme face aux
problèmes qu’ils rencontrent.
L’imam termine son prêche en maudissant les Etats-Unis et
Israël. « L’Etat nous interdit de parler de la cause
palestinienne ou de la guerre en Iraq. Nous ne devons jamais
aborder des sujets aussi sensibles sauf si nous y sommes
autorisés », dit-il avec ironie tout en déplorant les
dernières déclarations du ministre des Waqfs de vouloir
interdire la prière du vendredi dans les zawayas, voire de
les fermer complètement.
Des déclarations qui ne sont pas du goût de tout le monde et
qui ont suscité un tollé dans les milieux islamistes et
conservateurs. « Le ministère des Waqfs est en train de
confisquer la liberté religieuse. Les lieux de culte doivent
être tout le temps ouverts pour accueillir les fidèles »,
souligne cheikh Ahmad. Il défend l’existence de ces zawayas
en affirmant que celles-ci permettent aux fidèles de
s’acquitter de leurs prières en groupe sans avoir à
parcourir un long trajet pour aller à la mosquée la plus
proche. « Cette zawiya date de 10 ans. Ici, tout le monde se
connaît et les gens sont très solidaires et charitables.
Nous rassemblons environ 150 L.E. par semaine de dons, une
somme destinée à aider les plus pauvres, les malades et les
veuves. L’Etat n’a jamais contribué à la construction des
zawayas. Elles ont toutes été financées par des dons privés
», poursuit–il, tout en se souvenant de l’époque où des
fidèles ramenaient des madriers et des barres de fer pour
construire son toit.
Dans les environs d’Imbaba, et plus précisément à Ard Aziz
Ezzat, se trouve une autre zawiya. Chaque vendredi et à tour
de rôle, un bénévole du quartier assure le prêche. Une chose
autorisée tant que ce prédicateur n’aborde pas de sujet
politique ou sensible. La prière terminée, ce dernier est
chargé de ramasser les dons sous forme de médicaments pour
les malades et des habits pour les orphelins.
En fait, le mot zawiya désigne un emplacement ou un local
réservé à l’intérieur d’une structure plus vaste où les
soufis (mystiques) pouvaient se retirer, comme le laisse
entendre la racine du mot arabe (angle ou recoin). Elle
remonte au temps des caravaniers qui faisaient halte dans
ces lieux pour se reposer.
Religieux et plus
L’idée a été reprise ces dernières années. Et, bien que
l’objectif au départ soit purement religieux, certains
propriétaires d’immeubles les ont exploités pour avoir du
prestige, faire leur campagne électorale ou être dispensés
de payer des impôts. Devenues très proches de par leurs
idées des mouvements islamistes, elles se sont multipliées
dans les quatre coins de l’Egypte et leur nombre est
considérable. Selon les chiffres avancés par le ministère
des Waqfs, l’Egypte compte plus de 75 000 mosquées et 23 000
petits édifices religieux annexés à ce ministère. Mais il
n’existe pas de chiffres précis concernant les zawayas
privées.
En fait, le ministère des Waqfs a mis des critères pour
différencier les zawayas des mosquées. La mosquée est une
construction à part, comprenant une salle de prière pour les
hommes, une autre pour les femmes, une bibliothèque et un
logement pour l’imam. Quant à la zawiya, elle se trouve au
rez-de-chaussée d’un immeuble ou au premier étage et
comprend une salle de prière ne dépassant pas les 50 m2 et
une salle de bain pour les ablutions. Cinq fonctionnaires
sont généralement désignés par le ministère des Waqfs pour
l’entretien de la mosquée, à savoir un muezzin, un imam, un
prédicateur et deux agents de propreté.
Vu le nombre considérable de zawayas, l’Etat a imposé des
restrictions, à savoir l’interdiction d’ouvrir une zawiya au
bas d’un immeuble, sur le bord du Nil ou sur des terres
agricoles. Il faut que son emplacement soit approprié au
besoin des gens et que le terrain sur lequel elle sera
érigée soit un don. La zawiya doit être aussi bien distante
l’une de l’autre, et sa construction autorisée par le
ministère des Waqfs.
Pourtant, « A chaque fois que l’Etat décide d’annexer une
grande mosquée pour contrôler le mouvement islamiste, de
nouvelles zawayas voient le jour. Un local, un kiosque, un
petit coin d’atelier, une place publique, le bas d’un pont
ou l’angle d’une rue se transforme en zawiya. Ces petits
lieux de culte sont financés par des passants, des
prêcheurs, des fidèles ou des fondamentalistes », explique
le sociologue Saadeddine Ibrahim. Et d’ajouter : « Personne
n’est contre la construction des zawayas. Seulement, il faut
combattre les idées qui vont à l’encontre de l’islam. Ces
lieux de culte, surtout ceux situés dans les quartiers
populaires, sont (ou risquent) de devenir le refuge de
groupes extrémistes qui profitent de l’absence de contrôle
de l’Etat pour propager le terrorisme ». Un rapport sur
l’état des religions en Egypte, publié récemment par le
Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS)
d’Al-Ahram, va plus loin. D’après ce rapport, certaines
mosquées privées sont devenues des endroits de recrutement
pour ces groupes. « Il y a de petites mosquées fréquentées
par des membres de la confrérie des Frères musulmans,
d’autres du Djihad et d’autres encore de la Gamaa islamiya.
Ainsi, l’objectif est-il plus politique que religieux »,
ajoute le rapport. L’écart quantitatif entre les mosquées
gouvernementales et celles privées s’est fait sentir du
temps du président Sadate.
Les habitués mécontents
A cette époque, une loi a été promulguée selon laquelle tout
propriétaire qui a construit un immeuble et un lieu de
prière serait exempt d’impôts sur l’immobilier. De même, le
ministère des Waqfs encourageait la construction de mosquées
privées et leur consacrait une somme de 1 million de L.E. du
revenu annuel des caisses d’aumône des mosquées pour les
soutenir. La vague de violence religieuse, qui a commencé au
début des années 1990, a donc poussé l’Etat à reprendre le
contrôle de ces lieux de culte. Et comme le ministère ne
parvient pas à étatiser toutes les mosquées faute d’argent,
le Dr Hamdi Zaqzouq, le ministre des Waqfs, a imposé
certaines mesures pour limiter leur nombre, à savoir
quiconque veut construire une mosquée ou une zawiya doit
avoir l’autorisation de la municipalité, des Waqfs et du
gouverneur concerné.
Mohamad, commerçant dans le quartier de Boulaq Al-Dakrour, a
l’habitude de faire ses cinq prières dans la zawiya située
près de son magasin. Il n’aime pas aller faire la prière
dans une grande mosquée. « Dans ce genre de mosquées, c’est
toujours le même discours officiel. Le prédicateur n’est
qu’un fonctionnaire des Waqfs et son sermon porte sur les
principes de la religion : prière, jeûne, aumône ... et
avant les dévotions, ce sont les invocations en faveur du
gouvernement et du chef de l’Etat. Un discours qui, à force
d’être modéré, devient peu intéressant. Quant aux prières,
elles sont expédiées en vitesse », dit-il, tout en ajoutant
que dans sa petite mosquée, l’imam récite une partie du
Coran qui peut durer au moins deux heures. Mohamad ne
comprend pas la politique du ministère des Waqfs ni les
responsables qui veulent fermer les zawayas et autoriser la
prière des tarawihs dans 51 mosquées seulement durant le
mois de Ramadan. « Comment arrêter une tradition du prophète
alors que les fidèles sont habitués chaque année à accomplir
cette prière qui revêt une importance particulière pour
chaque musulman ? », se demande-t-il.
Chahinaz Gheith