Le représentant du PNUD (Programme des Nations-Unies pour le
Développement) pour l’Iraq, Paolo
Lembo, souligne l’impact tragique de l’insécurité sur
la machine économique du pays.
« La plupart des Iraqiens ne pensent qu’à partir »
Paris,
De notre envoyée spéciale —
Al-Ahram Hebdo : Quels sont les objectifs globaux du
Programme des Nations-Unies pour le développement
actuellement en Iraq ?
Paolo Lembo :
Notre premier et principal objectif est celui d’accorder une
assistance au gouvernement iraqien, pour qu’il puisse
restaurer le fonctionnement efficace des services publics.
De manière plus générale, ceci veut dire mettre en place une
administration qui puisse mieux gérer la vaste gamme de
ressources que possède l’Iraq. Comme nous le savons tous,
c’est un pays qui est potentiellement riche, mais qui ne
possède pas une tradition de développement opérationnelle.
L’enjeu est celui de pouvoir promouvoir une certaine
stabilité, tout comme un environnement capable de faire en
sorte que toute cette richesse devienne aussi une source de
prospérité pour la population. Ceci dit, nous avons des
projets de deux ordres. D’abord, la priorité du PNUD est
celle d’accorder un support au fonctionnement de l’Etat.
Ici, nous avons tout un domaine que nous définissons comme
étant celui de la bonne gouvernance. Nous soutenons le
travail des institutions, ce qui veut dire mettre en place
un environnement où le développement économique puisse avoir
lieu. La plus importante de ces institutions est le
Parlement. Par exemple, à la fin de ce mois je dois aller en
Espagne avec un groupe de parlementaires iraqiens et nous
participerons à une réunion où il sera question de débattre
du bon fonctionnement des comités-clés au Parlement iraqien,
par exemple celui responsable des questions de réformes
administratives, de budget, de droit de l’homme, etc. Parmi
nos préoccupations, il y a également celle d’accorder un
support au système judiciaire iraqien, car il est évident
qu’il n’y a pas de développement économique s’il n’y a pas
un Etat de droit auquel on puisse se fier. Ceci implique
donc la modernisation du système judiciaire.
Notre troisième programme en Iraq est celui qui vise à
accorder un soutien aux institutions au niveau local, donc
au niveau municipal. Ainsi, ces organes auront désormais
leur propre budget. Il revient alors aux autorités locales
d’utiliser leurs fonds d’une manière efficace, honnête et
transparente. Ici, nous avons un nombre de projets visant à
aider les autorités municipales à effectuer une sorte de
liste de priorités. Par exemple, quels sont les
investissements nécessaires pour remettre en place le
service d’approvisionnement de l’eau ou d’électricité. Nous
avons également dans ce sens un certain nombre de programmes
conduits par le ministère du Planning iraqien, et ceux-ci
visent à leur donner une orientation sur le moyen avec
lequel l’élaboration des stratégies économiques doit avoir
lieu. Cette institution est en train de subir de profondes
transformations, donc elle ne va plus fonctionner comme un
ministère du Planning dans un système socialiste. Elle sera
désormais un ministère qui aide à promouvoir les
investissements, les joint ventures, les initiatives du
secteur privé aux niveaux international et local. L’autre
domaine dans lequel nous sommes en train de travailler est
celui de l’infrastructure.
— Etant donné les conditions sécuritaires de l’Iraq, quelles
sont les difficultés que vous rencontrez pour concrétiser
les objectifs du PNUD ?
— Il existe évidemment en Iraq une réalité qui doit être
prise en considération comme un point de départ pour toute
analyse. Il s’agit d’une réalité extrêmement difficile. Si
d’un côté, ce pays possède un véritable potentiel en matière
de ressources humaines, avec une population composée de
personnes très éduquées, qualifiées et capables, ayant le
goût du travail, de l’autre côté, il existe une situation
sécuritaire qui étouffe le développement de ce potentiel.
Pour cette raison, la priorité est certainement celle de
restaurer la sécurité en Iraq. Car sans sécurité, l’Iraq ne
peut que revenir en arrière. Mais malgré tous les efforts
que nous sommes en train de déployer aujourd’hui, beaucoup
d’Iraqiens sont en train de partir de leur pays,
spécialement les plus qualifiés qui arrivent à trouver un
poste à l’étranger. Ce qui est tragique, c’est le fait que
les risques sont si élevés que la plupart des gens ne
pensent qu’à partir. Raison pour laquelle il est parfois
difficile de développer et de profiter du potentiel et des
ressources du peuple de ce pays.
— Comment cela est-il en train d’affecter le redressement
économique de ce pays ?
— Les problèmes de sécurité affectent la vie des Iraqiens à
tous les niveaux. Ne serait-ce que le fait que les gens
savent que chaque matin lorsqu’ils se réveillent, ils
encourent des risques pour aller travailler, lorsqu’ils
doivent se déplacer d’un endroit à l’autre. Puis il y a
également la violence qui menace certaines personnes, parce
qu’elles sont particulièrement qualifiées, comme les cadres,
les intellectuels ... Toutes ces personnes vivent dans
l’insécurité et la menace. Ce fait a certainement un impact
négatif et tragique sur la machine économique du pays, qui
fonctionne très difficilement dans la mesure où la
principale préoccupation de gens est celle de survivre à la
violence. Il est difficile dans ces conditions de développer
le potentiel du pays qui est immense, vu qu’il pourrait être
l’un des plus riches du Moyen-Orient. Pour cette raison, je
reste optimiste quant à l’avenir sur le long terme, mais sur
le court terme, il faut être réaliste et admettre qu’il
n’annonce rien de bon. Ce qui me frappe surtout, à ce
niveau, c’est la détérioration de l’état psychologique des
gens.
— Comment, selon vous, pourrait-on surmonter l’actuelle
situation de conflit entre factions et milices ? Comment
sortir du chaos sécuritaire qui règne en Iraq ?
— Je pense que sans un véritable engagement de tous les pays
frontaliers, il sera très difficile pour l’Iraq de résoudre
seul ce conflit.
— Comment concevez-vous l’émergence d’un nouvel Etat en
Iraq, et quel serait le rôle de la société civile dans la
constitution de cette nouvelle réalité ?
— Il faut dire que l’Iraq est déjà un nouvel Etat. La
réalité iraqienne aujourd’hui est certainement très
différente de ce qu’elle était à l’époque de Saddam Hussein.
On peut parler aujourd’hui d’une nouvelle réalité où le rôle
de la société civile est continuellement requis. Ce qui est
cependant nécessaire, c’est un environnement garantissant le
minimum de sécurité aux acteurs de la société civile, pour
qu’ils puissent opérer de manière constructive. Pour qu’ils
puissent se structurer, afin de non seulement accompagner ou
surveiller, mais plutôt de diriger le processus de
redressement de l’Iraq.
Randa
Achmawi