Al-Ahram Hebdo, Littérature | Alawia Sobh
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 Semaine du 10 au 17 janvier 2007, numéro 644

 

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Littérature

Lauréate du prix Qabous, la Libanaise Alawia Sobh conte, entre rêve et réalité, illusion et mort, mémoire et oubli, le combat contre une mort latente qui guette les protagonistes dans un Liban en guerre. Extrait de son dernier roman Dounia* (Dar Al-Adab, 2006). 

Dounia1

L’obscurité qui s’abat sur la ville revêt l’espace et le ciel d’un noir profond. Je jette un regard sur Malek sombrant dans un profond sommeil sur le lit d’en face. Il me semble, malgré mon envie profonde de dormir, que sa tête en cet instant même est tapie sous une multitude de rêves. Tout comme la ville et ses hommes endormis. Tous dorment sous leurs rêves qui rôdent au-dessus de leur tête tels des nuages blancs. J’éloigne mon regard de lui pour m’étendre sur le canapé moderne au style anglais et aux tentures orange foncé dont le tissu me semble collé à la peau de mon derrière à la légère redondance. Je pose la main sur mon front alors que j’essaye de bouger mes orteils pour les délivrer de la fatigue d’une longue et fatigante journée passée à ranger et à mettre dans des caisses une grande partie des meubles de la maison. Je dois encore emballer le reste dans de grands cartons avant de quitter définitivement l’appartement et emménager dans une nouvelle maison.

Comme si ce n’est qu’un rêve ! Jusqu’aujourd’hui, je ne le sais pas.

Il est minuit passé. Les feuilles blanches que j’ai lues sont rangées en tas à mes côtés sur le canapé. Durant les dernières nuits dans cette pièce et dans ce bâtiment en particulier, je lisais des chapitres du roman. Et ce, dès que je finissais de nourrir Malek, de lui faire sa toilette à l’eau et au savon, de lui brosser les dents, de lui rincer la bouche au lit et de lui donner ses médicaments afin qu’il puisse s’endormir propre et rassasié comme les enfants. Il ne me reste plus que la fin du roman que j’ai peur de lire. Si je ne tue pas l’écrivaine au dernier chapitre, cette histoire ne sera plus la mienne. Je sais comment me venger en tuant. Ma famille prend sa vendetta pour des raisons bien moins importantes que la mise à nue des secrets des femmes.

Qui a-t-il pu écrire mes secrets sur ces feuilles d’une blancheur aussi immaculée que celle de mon visage ?

Je me suis demandé cette question alors que l’écrivaine m’embarrassait.

C’est moi qui racontais et Fériale mon amie et voisine, elle aussi, poursuivait quelquefois son histoire. L’écrivaine a repris tout ce que nous avons raconté comme secrets et histoires tous les soirs après le sommeil de Malek. Ce qui m’étonne le plus, ce sont mes rêves insérés dans ses rêves à elle de la même manière que mes rêves à moi étaient ceux des protagonistes de son histoire.

Comme si ma mémoire était la sienne bien que je ne la connaisse pas et qu’il ne m’est pas arrivé d’aller chez elle. Ni moi, ni aucune autre personne parmi les voisins. Elle apparaissait tout au long de sa résidence au troisième étage de ce bâtiment, tel un fantôme. Elle disparaissait sans avoir pris contact avec quiconque. Pourtant, je sentais souvent alors que je dormais, qu’une autre personne faisait mes rêves à ma place. D’ailleurs, Fériale m’a souvent dit qu’elle avait la même sensation. Comme si chacune d’entre nous se mettait à rêver dans le sommeil de l’écrivaine. Notre histoire à chacune a incité cette femme étrange et mystérieuse, qui vit dans l’appartement adjacent à notre immeuble, à se renverser à force de rire du fait de l’ignorance que nous avions sur nos histoires personnelles.

Je dois avouer que quelquefois je rentrais, dans mon sommeil, dans la peau de l’écrivaine. Je rêvais à des moments que je lui rendais visite pour lui raconter mon histoire. Je me voyais même dans un rêve lui rendant visite dans sa mystérieuse demeure. Je m’installais dans son bureau qu’il m’était aisé de découvrir en partie depuis la fenêtre de ma pièce au quatrième étage. Une amie à elle le lui avait dessiné pendant la guerre. Son visage sur la peinture était envahi d’une couleur bleue qui s’étendait à son cou et à la naissance des seins qui m’apparurent affaissés et pressés. Un visage dévasté par la peur et un corps étouffé par la mort dans une peinture intitulée Le Vide. L’écrivaine me semblait vouloir s’évader de la mort qui l’enveloppait en sautant hors de la planche. Je dévisageais son visage alors qu’elle m’écoutait lui racontant mon histoire. Je me mis à comparer les traits qu’elle avait en me parlant et ceux qu’elle avait sur la peinture. Je n’arrivais plus à distinguer laquelle des deux était la plus envahie par la peur et la mort. Laquelle des deux, celle assise devant moi en chair et en os, écoutant mon histoire ou son portrait sur la peinture ? J’étais sur le point de passer ma main sur la peinture pour m’en assurer.

Dans le rêve, je lui faisais mes adieux et je partais après avoir raconté encore et encore. Je constatais aussi qu’elle tombait de sommeil et qu’elle ne finissait pas de bâiller. Notre conversation s’est prolongée tout au long de la nuit et sur le pas de la porte nous avons décidé de nous rencontrer dans mon prochain rêve pour poursuivre l’histoire. Je sortais de chez elle alors que l’appel à la prière de l’aube dans la mosquée proche perçait le silence de la nuit. C’est une des nombreuses mosquées qui se sont multipliées dans Beyrouth-ouest après la guerre. L’appel à la prière arrivait jusqu’à l’immeuble. Sa construction a mis des années durant la guerre. A cette période, des bâtiments étaient détruits, la ville se métamorphosait et les minarets des mosquées s’élevaient. Des migrations et des déplacements de la population se faisaient par à-coups.

Depuis ce rêve, mon désir de me rendre chez elle est devenu plus lancinant.

Suis-je en train de lire ces papiers et de me faire des illusions en faisant mienne cette histoire ?

Je ne sais pas si ce que je vis est une vérité ou une illusion ou est-ce ce lien ténu qui supprime les frontières entre eux. Est-ce que ces feuilles sont, elles aussi, des illusions ?

Je sais que l’illusion est une partie de la vie. Pourtant, je découvre que la vie est une partie de l’illusion. La vie se termine lorsque il n’y a plus d’illusions. C’est ce qui me fait peur.

Je vais reprendre la lecture avant d’arriver au dernier chapitre. Je lis pour m’assurer si c’est moi Dounia ou ne suis-je qu’une simple héroïne dans une histoire ou encore n’ai-je de vie que par le biais des rêves de l’auteur ? Ma vie n’étant plus qu’un rêve qui n’est plus.

Quelquefois en me réveillant, il me faut un moment avant de prendre conscience que c’est moi. Où suis-je, dans quel espace et quel temps, dans le rêve ou le réveil, sous la terre ou au-dessus et qui sont donc mes parents, mes amis et mes enfants ? D’autres fois, je rêve que je suis égarée, frappée d’amnésie dans des pays étranges que je ne connais pas, ne sachant pas non plus mon nom et l’adresse de ma maison. J’ignore la langue de ces pays qui me sont étranges et dont il me semble que les habitants sont du Moyen Age. Je me perds complètement et la mémoire ne me revient pas, sauf lorsque je me réveille et que je m’aperçois que tout ceci n’était que rêve.

Je me suis égarée de moi-même et je cherche mon histoire dans les rêves. Comme les femmes, je vois de nombreux rêves en couleurs. Je crois au rêve qui me prédit des faits. Mon amie Maggi vit sa journée comme le lui dicte son rêve. Les rêves lui prédisent ses lendemains. Alors que pour ma voisine Farida, les rêves sont des réminiscences de son passé.

Quant à moi, je vis comme si je contemplais un rêve.

Fériale m’a dit un jour que mon histoire lui apparaissait quelquefois comme un rêve. Ce ne sont pas des secrets que je lui ai raconté lorsque je fuyais le soir dans sa maison pour me confier et libérer mon cœur. Je fuis Malek, geôlier du temps, pour vivre un tant soit peu ma liberté en parlant et pour redécouvrir ma voix que j’ai avalée. J’efface de ma gorge la rouille rassemblée par le silence dans ma bouche. Je découvre mon histoire et mes mots à travers la parole et je retrouve mes traits. Je résiste à ma mort qui ne serait que l’oubli total. Comme me l’a dit l’écrivaine le jour où elle m’a écoutée dans un des rêves, que j’avais raconté pour me battre contre cette mort par la force de la mémoire et pour combattre la peur qui avale les traits, ronge les regards et dévore les os comme le ferait un loup.

Je lui ai raconté tout ceci pour avoir une histoire et pour combattre la finitude qui commence à me remplir comme c’était le cas pour ma mère.

Traduction de Soheir Fahmi


* Prénom de l’héroïne, qui signifie
en arabe « vie ».

 

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Un nouveau prix arabe

Nouvellement fondé à l’occasion de la consécration de Oman « capitale de la culture arabe en 2006 », ce prix récompense des créateurs arabes dans le domaine de l’écriture et des arts plastiques.

Quatre Egyptiens se sont vu attribuer des prix dans divers domaines. Hassan Téléb a ainsi obtenu le prix dans le domaine de la poésie, à part égale avec l’Omanais Seif Al-Rahbi. Saïd Al-Kafrawi partage le prix de la nouvelle avec l’Iraqien Gomaa Al-Lamii. Fikri Naqqach, celui de  l’écriture théâtrale avec un autre ; l’Iraqien, Gawwad Al-Asadi. Enfin, Ossama Al-Dimirdash fait partie des trois lauréats dans le domaine des arts plastiques. Les prix peuvent atteindre une valeur de 125 000 dollars.

Dans le domaine des lettres, le jury était présidé par le critique tunisien Abdel-Salam Al-Masadi, avec la participation, pour l’Egypte, du poète Ahmad Abdel-Mooti Hégazi. 139 participants s’étaient porté candidats dans ce domaine. La remise des prix aura lieu le 25 janvier prochain.

 




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