Palestine . La
lutte meurtrière pour le pouvoir entre le Fatah et le Hamas a franchi un
nouveau cap cette semaine. Pour sortir de la crise, le président Mahmoud Abbass
et d’autres analystes indépendants estiment que la seule solution est la tenue
d’élections anticipées.
Au bord du gouffre
Voilà plusieurs mois que les
deux principales factions palestiniennes, le Fatah et le Hamas s’échangent les
accusations, se rencontrent, appellent au calme et à la retenue puis reprennent
l’escalade verbale et armée. Mais cette semaine, les provocations des deux
clans ont assombri tout espoir de règlement des luttes intestines. Frappés de
plein fouet par une crise économique et politique sans précédent, provoquée par
l’arrivée au pouvoir du Hamas à la fin mars, les Palestiniens redoutent
désormais de sombrer dans la guerre civile. Le président palestinien Mahmoud
Abbass a accentué dimanche sa pression sur le Hamas en se disant déterminé à
mener des élections générales anticipées contre l’avis des islamistes.
« Je ne reviendrai pas sur la
tenue d’élections législatives et présidentielles anticipées », a affirmé M.
Abbass, lors d’une réunion à huis clos du Fatah à Bethléem, selon des propos
rapportés par un témoin. « Ce projet n’est pas une tactique. Toutes les voies
sont fermées pour former un gouvernement d’union nationale et il n’y pas
d’autre choix à part ces élections », a-t-il ajouté, en appelant tous les
membres du Fatah « à se préparer » à ce scrutin. M. Abbass n’a toujours pas
donné de date pour ces élections, dont il avait annoncé la tenue le 16
décembre, après l’échec de discussions avec les dirigeants du Hamas pour former
un gouvernement d’union nationale. La tenue des élections anticipées a été
dénoncée par le Hamas, y voyant même un coup d’Etat. Face au chaos sécuritaire,
amplifié par sa décision d’appeler à des élections générales anticipées, M.
Abbass a également décidé « des remaniements et des nominations dans les
services de sécurité et leur direction » sans donner plus de précisions. Cette
épreuve de force fait craindre une augmentation des violences, particulièrement
dans la bande de Gaza, entre les partisans du Fatah, mouvement du président
Abbass, et ceux du Hamas, qui contrôle le gouvernement.
A la question des élections
anticipées s’ajoute un autre facteur provocateur. La décision, samedi, de M.
Abbass de déclarer « illégale » la Force exécutive du Hamas, si elle n’était
pas intégrée dans l’appareil sécuritaire existant. Les islamistes avaient
décidé de créer leur propre force après leur entrée en fonction en mars, pour
contrecarrer la mainmise du Fatah sur les appareils de sécurité. Leur Force
exécutive, composée à l’heure actuelle d’environ 5 500 hommes, est depuis
contrôlée par le ministère de l’Intérieur.
Pour appuyer le président de
l’Autorité palestinienne dans ses décisions, des dizaines de milliers de
partisans du Fatah, du président palestinien Mahmoud Abbass, se sont livrés
dimanche à une démonstration de force à Gaza à l’occasion de l’anniversaire de
leur parti. Cette manifestation monstre, qui a eu lieu dans le stade Yarmouk,
est l’une des plus grandes manifestations du Fatah depuis la création de
l’Autorité palestinienne en 1994. L’homme fort du Fatah dans la bande de Gaza
et bête noire du Hamas, le député Mohammad Dahlane, a menacé de riposter à
toute attaque contre les partisans du Fatah, devant des milliers d’hommes armés
qui scandaient à l’adresse du mouvement islamiste, qui contrôle le gouvernement
: « La mort pour les meurtriers ! ».
« Notre message aujourd’hui est
l’union et la force, derrière la direction du Fatah, d’Abou-Mazen (Mahmoud
Abbass) et de ses forces armées pour dire que le sang du (colonel) Mohammed
Ghraib marque un tournant dans nos relations » avec le Hamas, a lancé Mohammad
Dahlane.
Mohammed Ghraib, un colonel de
la Sécurité préventive, un organe de sécurité fidèle à M. Abbass, a été tué
jeudi par des partisans du Hamas qui avaient assiégé sa maison à Jabaliya (nord
de la bande de Gaza). Le Fatah a accusé vendredi le Hamas du « meurtre de
sang-froid » de plusieurs de ses responsables et sympathisants.
L’apaisement n’est pas à l’ordre du jour
Défiant M. Abbass, le Hamas a
dénoncé le langage utilisé par Dahlane, et le premier ministre Ismaïl Haniyeh a
nié que la force soit illégale. « La Force exécutive ne se trouve pas en dehors
des services de sécurité. Elle travaille légalement sous les ordres du
ministère de l’Intérieur », a-t-il dit à des journalistes. « Certains ne
veulent pas que le peuple palestinien vive dans le calme, la stabilité, et ne
veulent pas d’une accalmie pour favoriser un dialogue sérieux et profond afin
de créer un gouvernement d’union », a-t-il ajouté. Au lendemain de sa création
en avril 2006 par le ministère de l’Intérieur, M. Abbass avait déjà publié un
décret déclarant la force illégale. Le Hamas n’avait pas tenu compte de cette
décision et l’avait déployée quelques semaines plus tard provoquant des heurts.
La décision du président est «
précipitée et nous mettons en garde contre toute atteinte (à la Force) contre
laquelle il sera répondu par la force », a menacé le porte-parole du ministère
de l’Intérieur, Khaled Abou-Hilal.
Le Hamas voit dans cette
dernière décision la main d’éléments opérant à l’étranger et la preuve que M.
Abbass souhaite par tous les moyens perpétrer un coup d’Etat. « Il est clair
qu’Abou-Mazen a répondu aux pressions étrangères, en particulier de la
secrétaire d’Etat américaine Condoleezza Rice qui a déclaré que le Hamas avait
une armée à Gaza qui renforce le gouvernement », a affirmé son porte-parole
Fawzi Barhoum. En riposte aux menaces de M. Abbass, il a été décidé de faire
passer ses effectifs à 12 000 hommes.
Preuve de la gravité de la
situation, les violences interpalestiniennes ont fait 16 tués en cinq jours
dans la bande de Gaza. Et ce, en sus des enlèvements de membres des deux
mouvements, qui se sont également poursuivis à Gaza et Cisjordanie. A Ramallah,
des hommes masqués et armés ont enlevé le directeur de cabinet du ministère de
l’Intérieur, Ihab Souleiman Ghaidhan, devant des bâtiments du ministère. Il a
été blessé par balles aux jambes.
A Naplouse, des hommes cagoulés
et armés ont enlevé le vice-maire de la ville, Mehdi Hambali, du Hamas, qui se
trouvait dans sa voiture. Et des inconnus ont tiré plusieurs fois sur un membre
du Hamas, Marwan Al-Kaddumi, devant sa maison, le blessant grièvement, selon
une source hospitalière. Cinq autres hommes de ce mouvement ont été enlevés à
Gaza, selon des sources sécuritaires.
N’y a-t-il pas de chances pour
éviter une guerre civile au bord de laquelle se trouvent les Palestiniens ? Selon
Moustapha Al-Barghouti, secrétaire général de l’initiative nationale
palestinienne, ce qui se passe actuellement en Palestine ne profite qu’à
Israël, et ne fait qu’anéantir tous les efforts de dialogue national. « Il faut
retourner à la table de négociations pour arrêter le bain de sang. Les
responsables malheureusement se sont engagés dans une lutte sur le pouvoir,
alors qu’on n’a même pas un Etat proprement dit, notre Etat est sous
l’occupation. Ceci dit, il faut essayer autant que possible de former un
gouvernement d’union nationale même si ce dernier ne doit survivre que quelques
mois avant l’organisation des élections », a-t-il assuré.
Même opinion du politologue
palestinien Talal Okal qui voit que la situation actuelle va laminer le Fatah
autant que le Hamas et que les deux doivent procéder à des concessions.
Pour le politologue égyptien
Saïd Okacha, la seule solution réside dans la tenue d’élections anticipées. «
C’est le Hamas qui a semé le trouble dans les territoires palestiniens à cause
de sa politique dogmatique inflexible et c’est à lui de résoudre ce problème. Personnellement,
je crois que la résistance islamique va opter en fin de compte pour
l’acceptation d’élections, et y participera même. Selon les sondages, ni le
Fatah ni le Hamas n’auront la majorité des sièges, ils vont les partager. C’est
la seule voie possible à cette crise », conclut-il.
Rania Adel