Grandissime favori des élections
présidentielles de ce mercredi 20 septembre, le président Ali
Abdallah Saleh, au pouvoir à Sanaa depuis 1978 (il dirigeait
alors le Yémen du Nord), a centré sa campagne électorale sur les
maux dont souffre l’un des pays les plus pauvres de la planète :
la lutte contre la pauvreté et le chômage, ainsi que contre
l’extrémisme islamiste et le terrorisme. « Fin 2007, nous aurons
éradiqué la pauvreté et le chômage », a-t-il assuré, soulignant
qu’une conférence des donateurs était prévue à Londres en
novembre. « Nous obtiendrons 46 milliards de dollars des
donateurs », a-t-il promis. Le taux de chômage atteint 35 % de
la population active tandis que près de 42 % des habitants
souffrent de la pauvreté.
Face à M. Saleh, chef du Congrès Populaire
Général (CPG, au pouvoir), quatre candidats se présentent :
Ahmed Al-Majidi et Fathi Al-Azab (indépendants), Yassine Abdo
Saïd, du « Conseil national », un groupe d’opposition, et Fayçal
bin Chamlane du « Forum commun », alliance d’opposition
regroupant sept formations, dont le Parti Socialiste Yéménite (PSY),
Al-Islah (parti islamiste), le Parti unioniste nassérien et
l’Union des forces populaires. Ancien ministre du Pétrole et
ancien député, M. Bin Chamlane, de tendance islamiste, s’est
imposé comme un rival sérieux face au président Saleh, faisant
de la campagne une véritable bataille, pour la première fois de
l’histoire de ce pays. Il a rallié les foules par ses critiques
virulentes contre « la corruption au sein du régime » et le «
monopole du pouvoir ». Il faisait référence notamment au fait
que le président Saleh, dès son accession au pouvoir, s’est
entouré d’un noyau de proches, notamment ses frères, qu’il a
nommés à des postes-clés de l’appareil militaire et de sécurité.
Un des sept fils du chef de l’Etat, Ahmad, un lieutenant-colonel
de 37 ans, a été nommé à la tête de la Garde républicaine et des
forces spéciales. Il est considéré comme un successeur possible
de son père, un sujet totalement tabou au Yémen.
La popularité de M. Bin Chamlane, 72 ans, n’a
fait que s’accroître, à tel point que le chef de l’Etat a accusé
cet ancien ministre, un indépendant, d’avoir été « loué » par
l’opposition « comme on louerait un taxi ». Dans ses
rassemblements électoraux, M. Saleh accusait régulièrement le «
Forum commun » d’être une « force obscurantiste » et d’être «
incapable de gouverner ». Ces échanges ont montré qu’un vrai
combat s’était engagé, alors que tout le monde pensait que le
président sortant écraserait ses rivaux, voire que ces derniers
avaient été « admis » à participer à l’élection seulement pour
donner un semblant de démocratie à un processus dont le
vainqueur était connu d’avance.
Main tendue à la rébellion
Cependant, M. Saleh reste l’archifavori des
présidentielles. Un vrai maître tacticien, il a prouvé en 28 ans
au pouvoir qu’il savait déjouer les pièges de l’opposition. Il
gouverne en s’appuyant sur l’armée et le parti gouvernemental,
le CPG, un assemblage hétéroclite de fonctionnaires et de
représentants des couches urbaines et rurales, mais surtout en
se ménageant l’appui capital des tribus, l’une des principales
composantes de la société yéménite. Le fait qu’il soit parvenu à
préserver des soutiens aussi divers pendant aussi longtemps,
dans un pays aussi complexe que le Yémen, atteste de son
habileté tactique, clé de son extraordinaire longévité au
pouvoir.
Il doit cependant faire face à une rébellion
zaïdite opposée à son régime, qui a fait lors d’accrochages avec
les forces de l’ordre depuis 2004, environ 700 morts et des
centaines de blessés. Le président candidat a d’ailleurs lancé
sa campagne électorale à Saada (nord-ouest), fief de cette
rébellion, en appelant ses dirigeants à quitter la clandestinité
et à fonder un parti politique. Il a adressé cette invitation à
Abdel-Malek et Yéhia Al-Houti, frères du chef rebelle Hussein
Al-Houti tué en 2004, ainsi qu’au chef des opérations du groupe
Abdallah Al-Rizami. Les trois hommes, qui ont bénéficié d’une
amnistie présidentielle en septembre 2005, continuent pourtant à
se réfugier dans les montagnes d’Al-Naqaa, à la frontière entre
le Yémen et l’Arabie saoudite. « J’appelle aussi tous les
partisans de Houti à retourner chez eux pour exercer leurs
droits et accomplir leurs devoirs », a-t-il ajouté.
La rébellion est dirigée par Badreddine Al-Houti
depuis la mort de son fils, Hussein Al-Houti, tué par les forces
gouvernementales en septembre 2004.
Dans une référence à la rébellion zaïdite,
dite des « Jeunes croyants », M. Saleh a récemment montré du
doigt « les partisans de l’imamat qui commencent, de temps en
temps, à faire entendre leurs voix dans la province de Saada et
qui ont des adeptes dans les chefs-lieux de certaines autres
provinces ». C’était la première fois qu’il faisait état de la
présence de cette rébellion en dehors de la province de Saada (nord),
théâtre ces dernières années de violents affrontements avec les
forces gouvernementales.
Le zaïdisme est une branche du chiisme qui
tire son nom de l’imam Zaïd, qu’elle reconnaît comme le 5e et
dernier imam. Il représente près de 30 % de la population du
Yémen, surtout dans le nord-ouest. Les autorités de Sanaa
avaient affirmé en avril 2005 avoir vaincu cette rébellion, qui
ne reconnaît pas la légitimité du régime yéménite, arrivé au
pouvoir après avoir renversé l’imamat zaïdite lors d’un coup
d’Etat militaire en 1962. Mais depuis, plusieurs accrochages
entre les rebelles et les forces yéménites ont eu lieu.
Hicham Mourad