Fondateur de la maison d’édition égypto-libanaise, Dar Al-Kitab al-misri al-lebnani, Hassan Al-Zein a pris pied dans la culture des deux pays. Ami de nombreux auteurs célèbres, il plonge dans ses souvenirs, les préférant à un présent houleux et terrible.

L’ambassadeur des lettres

Difficile de dire que la richesse de Hassan Al-Zein se traduit seulement par son chiffre d’affaires. Sa culture, ses connaissances ... sont ses vrais atouts en main. Le doyen de la littérature arabe, l’écrivain Taha Hussein, l’avait surnommé à son tour le doyen des éditeurs. Et l’écrivain Tewfiq Al-Hakim l’appelait « zein al-nachérines » (le meilleur des éditeurs, jouant sur son nom de famille qui veut dire littéralement le meilleur ou le parfait).

Son bureau élégant est étoffé de certificats et de médailles, de partout dans le monde. Il a en effet reçu quelque 21 médailles du roi marocain Mohamad V, du président tunisien Al-Habib Bourguiba, du président égyptien Anouar Al-Sadate, du président syrien Hafez Al-Assad, du président sénégalais Léopold Senghor, etc.

Enfant, il était ébloui par les histoires racontées par son grand-père le cheikh Ahmad Aref Al-Zein, savant et éditeur. Le grand-père avait des amitiés avec plein d’Egyptiens tels les cheikhs Mohamad Abdou et Gamaleddine Al-Afghani. Progressivement, le petit Hassan Al-Zein voulait suivre les traces de son ancêtre et se lancer dans le métier des livres. A l’école, il vendait les livres scolaires aux étudiants, plus jeunes, juste pour avoir un peu de sous. « Je suis tombé amoureux des livres. C’est pourquoi j’ai choisi de faire des études à la section Pédagogie, à l’Université américaine de Beyrouth ». C’étaient juste les premiers pas d’un long parcours. Une fois le diplôme en poche, il se jette de plain-pied dans le monde des livres. En 1946, il publie son premier titre, Le Guide général des étudiants, et fonde une librairie étudiante. Quatre ans plus tard, c’est la librairie Al-Hayat (La Vie) qui voit le jour et deux ans après, les librairies Al-Madrassa (L’Ecole) et Dar Al-Kitab al-lebnani (La maison d’édition égypto-libanaise). Depuis, les rêves de Hassan Al-Zein ne cessent de prendre de l’ampleur.

Il avait toujours le sentiment qu’il y avait quelque chose qui manquait. Toutes ces librairies et même sa maison d’édition n’ont pas étanché sa soif à propager le savoir. Sur ce, il a décidé de quitter Beyrouth pour se rendre au Caire. « Je n’ai pas quitté le Liban pour avoir eu des problèmes : c’était une époque où la situation interne était stable. Mais, j’ai voulu me rendre en Egypte où se réunissaient les écrivains les plus éminents du monde arabe. Taha Hussein et Tewfiq Al-Hakim sont devenus alors mes meilleurs amis ». Et d’ajouter : « J’ai commencé par signer des contrats avec les héritiers de Abbass Mahmoud Al-Aqqad, ainsi qu’avec Taha Hussein et Abdel-Halim Mahmoud. C’est ce qui m’a permis d’avoir une succursale au Caire. Aujourd’hui, je publie 400 écrivains arabes, dont 390 écrivains égyptiens. N’avais-je pas pris la bonne décision de m’installer au Caire ? ».

Un grand sourire illumine le visage du septuagénaire dont les yeux trahissent une certaine reconnaissance à l’égard du pays où il s’est installé. Il continue son raisonnement : « Il y a des années, j’ai rencontré le président Moubarak lors de l’inauguration de la Foire du livre. Je lui ai dit : on a souvent dit que l’Egypte est la mère des nations arabes, c’est incorrect. Elle est la mère et le père de ces nations ». Une égyptophilie qui n’est pas en contradiction avec ses origines. « Le Liban est dans mon cœur. Je suis ravi d’avoir deux patries », dit-il en montrant son passeport égyptien. D’ailleurs, son dialecte est un mélange savant des deux dialectes égyptien et libanais. « En m’accordant la nationalité égyptienne en 1998, le président m’avait dit que j’étais un bon ambassadeur du monde arabe puisque j’ai réussi à promouvoir l’esprit et la culture arabes à travers des ouvrages de qualité ». Le vieux pèse ses mots et fait ses réserves. Pour rien au monde, il n’est prêt à mettre ses relations en danger. Un caractère qui lui a valu la réputation de l’homme à même d’aplanir les obstacles. Son business en fait preuve.

A un moment donné, l’exportation des livres soulevait tant de vrais problèmes que tout le monde taisait. Il a alors décidé d’en faire part au président, en direct, durant la Foire du livre en 1982. « Durant la séance inaugurale, tout le monde répétait que l’exportation des livres était resplendissante. Furieux, je lui ai annoncé que la routine nous donnait du fil à retordre et qu’on avait besoin de 23 autorisations pour exporter un seul titre ». Ainsi, les mesures draconiennes exigées furent réduites.

Hassan Al-Zein a en effet marqué la scène livresque à plusieurs niveaux. En 1969, il a instauré avec l’intellectuelle Soheir Al-Qalamaoui et l’éditeur Mohamad Al-Moallem (le père d’Ibrahim Al-Moallem, président actuel de la maison d’édition Dar Al-Chourouq) la tradition annuelle de la Foire du livre. « On la tenait à Zamalek », se souvient-il sur un ton nostalgique. La mémoire de tant d’amis, aujourd’hui disparus, lui revient à l’esprit. Mais aussi un sentiment de fierté l’envahit, avec l’impression d’avoir contribué à la promotion du livre arabe. Mais celui-ci ne connaît-il pas une vraie crise, à l’ombre de la conjoncture économique en Egypte ? « Pas du tout, rétorque-t-il. L’Egypte maintient une certaine stabilité, un épanouissement s’agissant de domaines précis. Il ne faut pas oublier qu’un projet comme celui de La Lecture pour tous, sous le patronage de la première dame, a ré-établi le rapport entre les gens et les livres ».

C’est peut-être un tableau idyllique qu’il dresse, favorisé par un amour de longue date. Inutile alors de lui poser la question sur l’édition à Beyrouth, où Dar Al-Kitab al-lebnani continue à ouvrir contre vents et marées. C’est grâce à May, la fille de Hassan Al-Zein, que la maison d’édition reste ouverte entre 3 et 4 heures par jour, sous la guerre. « Je ne peux pas fermer boutique et abandonner mon effectif personnel qui n’a pas la chance d’aller ailleurs. Chacun de mes employés a une famille qu’il doit nourrir. C’est une grande responsabilité ». Ce témoignage nous provient d’une amie égyptienne à la famille qui décrit comment tous les Al-Zein ont l’habitude de plier bagages, vivant entre les deux pays en temps de guerre.

« Tout le monde répète que c’est de l’injustice. Des femmes et des enfants qui meurent chaque jour sans raison et un peuple réduit à des sans-abri », s’insurge Hassan Al-Zein, qui a lui-même perdu 35 millions de dollars lors de la guerre civile libanaise. Mais cette fois-ci, c’est différent. D’où se situe-t-il alors par rapport à la résistance et au cheikh, Hassan Nasrallah, étant lui-même de confession musulmane ? « Je suis pédagogue. Je ne publie ni des livres sur la politique, ni des livres sur le sexe ou le communisme ». La question reste sans réponse. C’est clair, le vétéran évite le politique, et ne cherche pas à entrer dans ses dédales. Cependant, il ne peut s’empêcher de relever le rôle que doivent jouer les intellectuels arabes pour soutenir leurs justes causes. « Nous vivons une époque matérialiste. Ceux qui le dénient sont fautifs. C’est pourquoi, j’avais autrefois l’idée d’instaurer un fonds qui sera en commun entre les Syndicats de presse, les écrivains et les maisons d’édition, dans le monde arabo-musulman. Celui-ci était censé soutenir la culture et les médias, et j’avais proposé les noms de l’ancien premier ministre Rafiq Hariri ou celui du prince Al-Walid bin Talal pour le présider. Mais, en vain, ce fonds n’a jamais vu le jour ».

A nouveau, son éducation de pédagogue revient à la surface. « Il faut cultiver l’esprit critique des enfants, au lieu de leur apprendre le tout par cœur », dit-il, rappelant les 2 800 livres en couleurs que sa maison d’édition propose aux enfants. En outre, au Liban, Al-Zein a élaboré des programmes éducatifs en français et en anglais appliqués dans 80 établissements publics et privés allant de la maternelle jusqu’au baccalauréat.

Aujourd’hui, dans sa maison d’édition qui occupe un étage entier dans un ancien immeuble du centre-ville c, Al-Zein se sent bien parmi ses 30 millions d’ouvrages. Des guerres, il en a vu. Et c’est souvent le survivant nostalgique qui parle, préférant narrer des anecdotes du bon vieux temps. « Lorsque le président et écrivain sénégalais Léopold Senghor s’est rendu à Beyrouth, dit Al-Zein, il n’a visité que le président Charles Hélou et moi-même ».

Lamiaa Al-Sadaty

Jalons

1927 : Naissance à Beyrouth.

1946 : Fondation de sa première librairie et publication de son premier titre Le Guide général de l’étudiant.

1952 : Fondation de la maison Dar Al-Kitab al-lebnani à Beyrouth.

1959 : Obtention de la Médaille du Cèdre.

1974 : Fondation de Dar Al-Kitab al-misri al-lebnani au Caire.

1983 : Fondation de Dar Al-Kitab al-malysi à Kuala Lumpur.

2000 : Obtention du certificat international par Who is Who in the World International Millenium, édition de l’Université de Philadelphie (Etats-Unis).

2005 : Obtention du certificat de l’écrivain international de l’année 2005 de l’Université de Cambridge (Angleterre).