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 Semaine du 9 au 15 août 2006, numéro 622

 

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Opinion

 Que Dieu protège Mahfouz !

Mohamad Salamawy

J’ai récemment rendu visite à Naguib Mahfouz qui était entré à l’hôpital pour se faire soigner d’une blessure à la tête après une chute chez lui. Cette visite m’a rappelé les souvenirs de novembre 1994, lorsqu’il a été victime d’un attentat manqué. Dieu seul l’a protégé contre ceux qui ont prétendu, à tort, qu’ils exécutaient une volonté divine.

J’ai été le premier à être informé du dernier accident passager dont a fait l’objet notre grand écrivain, dans la matinée du dimanche 16 juillet, lorsqu’il a trébuché et sa tête s’est cognée au lit. Il a été transféré à l’hôpital. Or, Mahfouz est diabétique, ce qui retarde la cicatrisation rapide de ses blessures. Une fois éveillé après avoir subi plusieurs points de suture, il m’a trouvé devant lui et m’a demandé immédiatement : « Que s’est-il passé ? ». Je rétorquais : Rien du tout. Vous êtes en parfaite santé et toutes les précautions ont été prises. Une radiographie sur le cerveau a été effectuée pour s’assurer que tout allait bien, Dieu merci. Rassuré, il a alors voulu passer à un autre sujet et a demandé des nouvelles de la situation au Liban. De mon côté, je n’ai pas voulu le fatiguer par les détails des catastrophes qui se succèdent au Liban. Je lui ai alors répondu : Rien de nouveau. Mais il a insisté à poser la même question : « Sont-ils parvenus à un cessez-le-feu ? ».

— Non, pas encore, lui dis-je.

Il changea alors de sujet et parla de ses trois derniers Rêves de convalescence qu’il avait rédigés et qui avaient été publiés la veille dans la revue Nisf Al-Dounia. Je lui ai alors dit : Les rêves deviennent de plus en plus courts, M. Naguib. J’avais surtout pris plaisir à lire le troisième rêve qui était le plus court de tous. Dans celui-ci, il y a une grande condensation, riche en significations et symboles, bien qu’il ne dépasse pas les trois lignes. Il sourit et garda le silence. Et par respect à ce silence, j’en a fait de même. Un peu plus tard, je l’ai quitté pour qu’il se repose et me suis dirigé vers mon bureau à Al-Ahram. Je me suis mis à rédiger l’information de l’accident qu’a eu l’un de nos plus grands écrivains arabes contemporains. Mais une fois que j’ai achevé la rédaction, je l’ai relue plusieurs fois et, enfin, je l’ai déchirée et j’ai décidé de ne pas l’envoyer à l’imprimerie. J’ai préféré accorder au maître un jour de repos avant de publier l’information qui multipliera bien sûr les visites à sa chambre d’hôpital.

La journée du 16 juillet s’est écoulée dans la paix et le calme desquels il avait grand besoin. Mais le lendemain, la nouvelle s’est répandue et les amis proches ont commencé à affluer pour se rassurer sur son état de santé. J’ai alors réécrit l’information et je l’ai envoyée à l’imprimerie. Les journaux du 18 juillet sont alors sortis pour la première fois avec l’information de l’accident. Le président Moubarak l’a alors appelé pour avoir de ses nouvelles, ainsi que le premier ministre, le ministre de l’Intérieur et celui de l’Information. Le ministre de la Culture Farouk Hosni, qui fait partie de ses amis et disciples, a tenu à lui rendre visite.

Le plus beau cadeau fut celui du président de l’Union des maisons d’édition arabes, Ibrahim Al-Moalem, qui est resté à ses côtés une bonne demi-heure pour lui parler de la grande cérémonie qui sera organisée par sa maison d’édition, Dar Al-Chourouq, à l’occasion de la première publication de ses œuvres intégrales.

Nous avons discuté dans le détail de la cérémonie qui comprendra un colloque sur les travaux de Naguib Mahfouz, et dans laquelle seront invités les grands traducteurs étrangers des œuvres de Mahfouz, ainsi que des critiques arabes et étrangers.

Quelques jours plus tard, Naguib Mahfouz avait commencé à se sentir mieux et à revenir à son état normal. Il me demanda alors : « Vous souvenez-vous quand nous étions ici il y a 12 ans ? » J’ai alors saisi l’occasion pour savoir son avis sur l’extrémisme et le terrorisme. Il répondit : « Toutes les religions incitent à l’amour et à la tolérance. Si elles empruntent la voie du terrorisme et de la violence, nous devons rechercher les raisons, non pas dans la religion et ses préceptes, mais dans les circonstances socio-politiques qui les entourent ». Et d’ajouter : « Si nous contemplons les conjonctures du monde musulman, nous constaterons l’existence d’un état de désespoir ambiant qui coïncide avec la crise économique et l’absence de liberté politique. Après les luttes pour la libération nationale, de nombreux pays islamiques ont obtenu leur indépendance et ont essayé les différentes voies de développement. Nous avons connu dans le monde arabe le nationalisme arabe et le développement socialiste. Mais avec la fin des années 1960, tout ceci s’est écroulé devant nos yeux. Le nationalisme a été battu avec la défaite de 1967, et la pensée socialiste a commencé un déclin dans le monde entier dans les années 1970 et 1980 jusqu’à sa disparition. Vers où donc nous dirigeons-nous ? D’habitude en temps de crise, l’homme revient à ses racines pour s’y attacher. Tout ceci est un développement naturel et légitime. Mais l’illégitime, c’est le recours à la violence et au terrorisme qui est en contradiction avec la nature de ce peuple ».

— Le phénomène du terrorisme va-t-il ébranler votre croyance enracinée en la nature de ce peuple ou la confiance en son avenir ?

— Pas du tout. La nature du peuple égyptien, qui est vieille de 7000 ans, prendra le dessus. C’est un phénomène étranger à nous qui est le résultat de circonstances exceptionnelles. C’est pourquoi, une fois que partiront les raisons qui l’ont provoqué, il disparaîtra.

Je me souvenais alors du moment où il y a douze ans, alors que je me trouvais au chevet de Mahfouz dans le même hôpital, je lui avais demandé ce qu’il ressentait à l’égard de l’agression dont il a été l’objet.

Il répondit : « Je ressens un double sentiment. D’une part, je suis désolé pour cette manière de traiter avec les opinions. C’est vraiment quelque chose de préjudiciable pour la réputation de l’homme de traiter les plumes avec cette injustice et cette tyrannie. D’autre part, je suis vraiment désolé que l’un de nos jeunes gens consacre sa vie à des poursuites et à l’effusion de sang. Il se transforme ainsi en un tueur au lieu de servir la patrie, la religion ou la science ».

Et il médite avant de reprendre : « La personne que j’ai vue courir après m’avoir poignardé est un jeune homme à la fleur de l’âge. Il aurait pu devenir un champion sportif ou un savant. Pourquoi a-t-il choisi cette voie ? ».

Je craignais à cette époque que le maître s’isole des gens à cause de l’accident. Je lui ai alors demandé directement : Allez-vous changer votre mode de vie après l’accident ?

— J’espère que je ne serai pas obligé de le faire. J’ai vécu toute ma vie entre les gens, dans les rues et les cafés. Je ne veux pas m’éloigner d’eux ou que des contraintes sécuritaires nous séparent. Je ne veux pas changer mon mode de vie et Dieu qui m’a protégé, me protégera sûrement la prochaine fois s’il le veut. Mais si Dieu me choisit dans l’autre vie, je voudrai également le rencontrer et je me résignerai à sa volonté ».

Voilà que 12 années se sont écoulées depuis cet attentat manqué, et Dieu a voulu protéger notre grand maître de la littérature, notre fierté dans le monde entier. En décembre prochain, il fêtera ses 95 ans. Que Dieu nous le protège comme il l’a fait à deux reprises .

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