Le
quartier d’Al-Max, à l’ouest du gouvernorat d’Alexandrie, est en
danger. Cette agglomération agricole qui comprend des écoles est
située à quelques kilomètres d’Al-Werdiane, une région où
résident plusieurs dizaines de milliers d’Alexandrins, assiste
depuis quatre mois à la construction d’un complexe de dépôts de
poudre de carbone sur une superficie de 50 feddans. Il s’agit
d’une matière toxique cancérigène très polluante provenant des
résidus pétroliers. La construction de ce complexe soulève des
craintes au sein de la population et les protestations des
organismes de défense de l’environnement.
Tout a commencé en 1992 lorsque des
investisseurs indiens ont obtenu l’autorisation de l’ancien
premier ministre Kamal Al-Ganzouri pour fonder un complexe
industriel pour la production du carbone dans la région
d’Al-Nahda à Alexandrie. Une compagnie (la Compagnie
d’Alexandrie pour le carbone) voit le jour en 1993.
Les travaux ont commencé et l’usine a pu
commencer ses activités mais les terrains situés à proximité du
projet ont été entièrement pollués, soit environ 2 000 feddans,
ce qui a causé le mécontentement des paysans et l’arrêt à
plusieurs reprises de l’activité de l’usine. « Les agriculteurs
ont engagé des plaintes devant la police réclamant l’arrêt
immédiat de l’activité de la société et sa démolition. Mais le
lendemain, les investisseurs, pour apaiser la colère des paysans,
ont proposé de racheter les terrains pollués à des prix
inimaginables. Ils ont payé jusqu’à 150 000 L.E. le feddan alors
que le prix réel ne dépassait pas les 20 000 L.E. », raconte
Tareq Al-Qii, président de la municipalité d’Al-Max. En échange
de ces sommes, les investisseurs ont demandé aux paysans de
retirer leurs plaintes.
Aujourd’hui, la compagnie a décidé de
construire des dépôts dans la région d’Al-Max suscitant à
nouveau une polémique. Les habitants craignent en effet que ces
dépôts ne soient polluants. « Tout au long de ces dernières
années, nous louions les dépôts d’une autre compagnie, la
compagnie Misr pour le pétrole, situés également dans la région
d’Al-Max pour stocker les résidus pétroliers. Cette location
nous coûtait très cher. Il était temps que nous ayons nos
propres dépôts », affirment les responsables de la compagnie
En 2003, les investisseurs indiens ont
racheté donc une cinquantaine de feddans à 300 m à proximité de
la société Misr pour le pétrole pour stocker les résidus. Et en
avril dernier, les travaux de construction des dépôts ont
commencé malgré deux ordres de la municipalité de l’ouest
d’Alexandrie, interdisant toute construction dans la zone. « Le
lieu où ces dépôts devaient être construits est situé en pleine
région agricole très peuplée. Des écoles sont situées à
proximité. Donc nous avons décidé de ne pas autoriser la
construction de ces dépôts », assure Mohamad Al-Sissi,
secrétaire de la municipalité de l’ouest d’Alexandrie. Alertée
par la municipalité, la police est intervenue pour arrêter les
travaux. Le matériel de construction a été confisqué.
La municipalité a demandé l’avis d’une
commission spécialisée pour déterminer si de tels dépôts
seraient dangereux pour la population. Les spécialistes de
l’environnement sont unanimes. « Il est bien connu que cette
matière, la poudre de carbone, est très toxique. Les ouvriers
qui travaillent à l’usine d’Al-Nahda sont tous atteints de
maladies rénales et cancéreuses », explique Hamed Mohamad,
directeur de l’administration de l’environnement au gouvernorat
d’Alexandrie.
Malgré le refus de la municipalité, les
habitants d’Al-Max ont été surpris par la poursuite des travaux.
« Le soir, nous voyons des ouvriers venir ici pour travailler
clandestinement. Ils ont installé un grand rideau de couleur
verte et poursuivent les travaux », déclare Adel, propriétaire
d’un café situé tout près de la zone des travaux.
L’affaire n’est donc pas close. Face à
l’obstination de la compagnie, la municipalité de l’ouest
d’Alexandrie a décidé de porter plainte au procureur général. «
Les responsables de la compagnie ont fait table rase des
décisions de la municipalité. C’est une situation intolérable »,
explique Tareq Al-Qii, président de la municipalité.
De l’autre côté de la barre, les
investisseurs indiens se défendent. Dans un communiqué publié
cette semaine, ils affirment que « le gouvernement égyptien a
accepté la création de notre société. L’usine d’Al-Nahda utilise
les résidus pétroliers qui sont souvent jetés par les autres
usines. Nous couvrons à 100 % du besoin du marché local en
poudre de carbone qui entre dans l’industrie des pneus et des
piles électriques », affirment les investisseurs ajoutant qu’ils
exportent 95 % de leur production vers une vingtaine de pays ce
qui rapporte des devises étrangères à l’économie égyptienne
évaluées à 700 millions de L.E. annuellement. « Notre compagnie
a offert des emplois à un millier de personnes », affirme le
communiqué ajoutant que la compagnie possède une centaine
d’usines dans le monde mais ne mentionne aucun dépôt.
L’affaire est donc loin d’être close. Le
procureur général devrait prendre une décision après les
vacances judiciaires. Mais en attendant, les travaux se
poursuivent clandestinement. La responsabilité des deux anciens
premiers ministres Atef Ebeid et Kamal Al-Ganzouri est engagée
dans cette affaire .
Ola Hamdi
Héba Nasreddine