« Le grand Moyen-Orient », « Partenariat pour
l’avenir », « Le Moyen-Orient élargi », « Le nouveau Moyen-Orient
» autant de termes inventés par les Etats-Unis pour remodeler la
région. Aujourd’hui encore et en pleine guerre du Liban, la
demoiselle Rice va jusqu’à déclarer que « les douleurs du Liban
sont les contractions de la naissance d’un nouveau Moyen-Orient
». Une nouvelle appellation qui reflète certes une crise quant
au projet lui-même. « Quel est ce nouveau Moyen-Orient que les
Américains aimeraient tracer ? ».
Selon l’idée lancée officiellement pour la
première fois lors de la réunion du G8 en juin 2004,
l’initiative vise un vaste ensemble d’Etats, d’histoires et de
cultures différentes, représentés par les vingt-deux pays de la
Ligue arabe et cinq Etats non arabes : la Turquie, Israël,
l’Iran, le Pakistan et l’Afghanistan. L’initiative dite du
Partenariat pour l’avenir au Moyen-Orient a ainsi été développée
en un projet d’un grand Moyen-Orient qui vise à transformer le
paysage politique et économique de cette région. Ainsi,
l’Américain George Bush a-t-il déclaré en janvier 2004 que «
tant que le Moyen-Orient restera un lieu de tyrannie, de
désespoir et de colère, il continuera de produire des hommes et
des mouvements qui menacent la sécurité des Etats-Unis et de nos
amis. Aussi l’Amérique poursuit-elle une stratégie avancée de
liberté dans le grand Moyen-Orient ». Il jetait les bases de ce
qu’on appelle désormais la doctrine Bush, pour « moderniser »
ces pays.
Les fondements théoriques du projet américain
sont connus. C’est un long travail intellectuel et politique du
petit groupe des néo-conservateurs, à commencer par Norman
Podhoretz, Richard Perle, plus le favori du président Bush,
l’ancien dissident soviétique et homme politique israélien de
droite, Nathan Sharansky. Tous partagent la même vision d’un
monde arabe plongé dans une décadence persistante engendrée par
les défauts culturels, psychologiques et religieux. Cette «
génétique » expliquerait, selon eux, le déferlement d’une
violence terroriste et ferait obstacle à une démocratisation
conçue comme seul remède à tous ces maux.
Mohamad Al-Sayed Saïd, vice-président du
Centre d’Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram,
estime cependant que « ce projet reste imprécis, et vague. Son
seul contenu idéologique serait la liquidation de tous les
mouvements de résistance sous prétexte de démocratie. Une sorte
de néocolonialisme qui consiste à détruire puis à rebâtir des
Etats pro-américains ». Saïd se demande : « Comment à travers
tous ces massacres peut-on créer une région démocratique ? ».
Effectivement, toutes les destructions en Palestine, en
Afghanistan, en Iraq ou encore au Liban ne sont pour les
Américains qu’un moyen d’appliquer leur théorie du « chaos
constructif » qui vise, selon les Américains, à créer un
désordre pour démocratiser.
Hassan Naféa, professeur de sciences
politiques à l’Université du Caire, affirme que « pour les
Américains, le Moyen-Orient représente une mosaïque formée de
différentes religions, d’ethnies et de races toujours en conflit.
Cette diversité et cette division seraient l’occasion de créer
des Etats dépourvus de tout pouvoir central fort et qui
accepteraient une présence américaine ». Une sorte d’émiettement
des Etats pour les affaiblir.
Ralph Peters, lieutenant-colonel américain à
la retraite, expose dans Armed Forced Journal, dans un article
intitulé Blood Borders (les frontières du sang), sa vision de la
nouvelle carte géographique de la région.
Un partage confessionnel
Ainsi, de nouveaux Etats apparaissent,
d’autres se divisent et d’autres fusionnent. Tous les Etats de
l’Afrique du Nord jusqu’à l’Egypte sont écartés de son plan. Ces
nouvelles frontières sont basées sur l’ethnie et la religion.
Par exemple, l’Iraq sera divisé avec, au nord, un Etat kurde,
augmenté des territoires kurdes turcs, iraniens et syriens. Plus
au sud, un super-Etat chiite arabe serait constitué des
provinces sud de l’Iraq en majorité, des champs pétrolifères du
Chatt Al-Arab iranien et leur continuité en Arabie saoudite. La
partie Est du Royaume saoudien, pétrolifère, serait ainsi
rattachée à cet Etat. Le Koweït serait enclavé dans ce super-Etat
chiite. Saïd rejette cette idée de division ethnique et estime
que « c’est contre les intérêts américains. Diviser l’Iraq en
Etats ethniques, par exemple, ne mettra pas fin à la lutte
contre la présence américaine. Washington veut plutôt maîtriser
les sources pétrolières et donner à Israël des frontières
élargies ». Le but de ce projet serait donc non seulement
d’introduire officiellement l’Etat israélien dans la région,
mais aussi et surtout d’affaiblir « l’Etat national » et de
s’assurer que ces minorités ou groupes ethniques ne se réuniront
jamais. Mais pour l’instant, le projet américain n’a fait preuve
d’efficacité ni en Afghanistan, ni en Iraq ni même au Liban.
Chaïmaa Abdel-Hamid