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  Président Salah Al-Ghamry
 
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 Semaine du 16 au 22 août 2006, numéro 623

 

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Arts

Zar . Ce rituel se transforme au Centre Makan en un véritable spectacle musical, et il a le vent en poupe. Modernisée, cette tradition orale n'a cependant pas perdu de son éclat.

Version revisitée

La dame qui chantera aux invisibles a déjà pris sa place. Oum Sameh, cette diva du zar, est entourée de son chorus et de ses musiciens lesquels se métamorphosent sous la lumière tamisée des projecteurs. Un éclairage habile les rend en effet comme les personnages d’une carte postale, modifiant la dimension de la salle en fonction du nombre du public présent. Les interprètes femmes, qui étaient vêtues en noir et en train de fumer leurs clopes avec extase depuis un moment devant la porte du Centre Makan, sont maintenant en robes pailletées. Chacune s’invente une tenue, très stylisée, suivant le jour et l’humeur. Seulement, en se produisant ici tous les mercredis soir, elles peuvent se permettre une petite touche de khôl ou de rouge à lèvres, couleur prune, à l’instar d’Oum Sameh, la rayessa, ou littéralement la cheftaine, qui brasse tout le répertoire du zar. C’est l’une des rares qui restent en vie, dit-on, sachant que ce n’est pas une kodia (maîtresse, agente et intermédiaire des esprits) au sens traditionnel et spirituel du mot. « Des kodias, il n’en reste plus. Attention ! Ne parlez pas d’assiyads ou seigneurs ou djinns ou démons, sinon je me fâcherai. Ce sont tels des spectres. Mes chants sont simplement réconfortants ». Sur ses gardes, Oum Sameh, 56 ans, ne veut pas prononcer un mot susceptible de nuire à son art. Un art qui en a bavé ! Car tout le monde lui a fait la chasse, et les islamistes, et les conservateurs, et les intellectuels. De temps à autre, affirme Ahmad Al-Maghrabi, directeur du Centre Makan, une équipe de télévision leur rend visite pour filmer ou effectuer un reportage sur le zar et ne manque pas de leur lancer des quolibets. Adorcisme, paganisme, superstition, arriération … Car, à l’origine, les chants et danses en question permettent de pactiser avec les « esprits », de se réconcilier avec « eux » pour retrouver la paix.

Et pour éviter ce genre de suspicion, Al-Maghrabi met en relief l’aspect musical et folklorique de ce rituel social teinté de religiosité ou de mysticisme, préservant un art en voie de disparition. Le public, qui vient nombreux et régulier, s’intéresse aux chansons et aux rythmes. « Très souvent, ce sont des étrangers, des intellos ou des jeunes branchés, qui s’attachent aux rythmes, sans trop s’attarder sur les paroles ou la fonction des chansons », précisent les membres de la troupe Mazaher, tout à fait conscients du rôle qu’ils exercent au Makan. Artistes ? Mais bien sûr. Ils se considèrent tous en tant que tels et racontent chacun à sa manière son périple avec cet art hérité de père en fils ou de mère en fille. Ils ne savent d’ailleurs pas comment ils l’ont appris ou à quand remonte la première fois qu’ils ont tambouriné. « C’est venu tout seul parmi les siens vers l’âge de 11 ans », semble alors une formule facile pour expliquer comment tout a commencé.

Pour entamer la soirée, pour ne pas dire le concert, étant donné que le propriétaire ne veut pas que ce soit tout à fait un, la rayessa fait passer ses encens entre les mains des personnes qui l’entourent pour les purifier. Rien ne sépare les musiciens du public, assis parfois à même le sol, sur des tabourets ou des chaises simples en demi-cercle. Au lieu que le rite s’organise autour d’une cliente en particulier (soit une possédée), les interprètes du zar s’adressent à tout le monde, en bas dans la salle ou à l’étage. Le décor, ayant un aspect rudimentaire, négligé ou décontracté, approfondit le sentiment que le rituel n’est pas placé hors cadre. Makan peut bien ressembler aux anciennes maisons où se tiennent traditionnellement ce genre de rituel « Underground », dans les quartiers populaires, probablement près des cimetières.

Le zar mixte

Ahmad, dit Al-Chankahawi, débute par faire les louanges du prophète et des saints, accompagné de percussions et de flûte (kawala). Il incarne le style du zar mixte d’Aboul-Gheit, nommé d’après le cheikh soufi Hassan Aboul-Gheit, dont le mausolée est à Qalioubiya (gouvernorat proche du Caire). Les thèmes islamiques ou soufis s’ajoutent ainsi aux anciens rythmes africains, comme pour se blanchir la face. Sabah entre ensuite en jeu. C’est la dame en cymbales qui ne tardera pas à pivoter tout le long de la soirée, en dépit de ses rondeurs non négligeables. Elle est leste comme un singe et se félicite de porter le prénom et le surnom d’une diva libanaise, « Sabah. La Chahroura » ! Son piétinement fait souvent place à une petite course en cercle ou sur place, invitant les femmes et les hommes ici présents à se déhancher. Les uns suivent correctement le rythme, se penchant en avant et en arrière, alors que d’autres dansent ostensiblement. « Je suis les percussions, laissant libre cours à mes sentiments », lance Sabah, faisant aussi partie des trois ou quatre femmes du chœur. Et à Ahmad Al-Maghrabi d’expliquer : « Je leur ai demandé de varier les rythmes au lieu de s’en tenir à un seul pendant trois heures comme ils le font de coutume. De même, on a supprimé l'autel et l'égorgement d'offrandes. Il fallait s’adapter au genre de spectacle qu’on présente de peur de lasser ou de choquer le public ». Et eux, ils ont une grande capacité d’adaptation et de survie, doublée d’une vive complicité. Car ils se connaissent depuis la nuit des temps, sachant exactement où se produit à l’origine chacun d’entre eux, loin du Makan. La famille d’Al-Chankahawi (qui est aussi un derviche tourneur) tient par exemple une séance hebdomadaire de zar (hadra), dans la maison d’Oum Mabrouk, sa grand-mère, à Sidi Aboul-Séoud. Sabah vient du quartier de Rod Al-Farag. Et Oum Adel fréquente parfois la séance qui se tient le vendredi au cimetière d’Al-Imam, avec le rayès Peugeot.

Maintenant, c’est à la rayessa de prendre la relève du chant et de s’évertuer à mélanger les trois genres de zar, les plus récurrents : celui d’Aboul-Gheit, des harims (se passant entre femmes au Caire ou en Haute-Egypte) et celui de la tanboura (grande lyre, de type plus africain). Telle est la consigne, depuis qu’Al-Maghrabi a rassemblé ces professionnels du zar pour former la troupe Mazaher, en l’an 2000.

Oum Sameh n’a plus 20 ans, mais a un charme et une sensualité débordante. A travers ses adwars (chants du zar, au singulier : dawr), elle flirte avec pas mal d’inconnus : Chalabi, Yawra bey, Al-Sultan, un brun sirotant son café, ou un autre toubib à même de guérir ses maux … Chaque chant est associé à un esprit en particulier.

Yawra bey est un gaillard qui aime les filles, Mamma est le symbole de l’affection et l’affinité … « Certains ici aiment beaucoup Mamma ; ça les repose d’écouter ses chansons », signale Oum Sameh, ajoutant : « Je peux rendre hommage à Yawra, en rythmes et dialectes d’Alexandrie, de la Haute-Egypte ou suivant le style africain de la tanboura. Je connais par cœur pas mal de choses, grâce à ma mère soudanaise qui en vieillissant m’a déclarée comme l’héritière de sa tradition orale ».

Le tempo auquel parviennent les musiciens est étonnant. Crescendos violents et cadences plus douces se succèdent. Oum Sameh jette un regard furibond en direction de Hanafi, le joueur irrégulier de mangour (hochet-ceinture en sabots de chèvre, accroché autour de la taille). Il a apparemment commis une erreur et elle en fait part aux musiciens. Hassan bat les cordes de sa tanboura, les rythmes qu’il joue ainsi que sa peau mate témoignent de ses origines africaines. « Son grand-père travaillait une saison comme pêcheur de perles au Bahreïn et une saison au Canal de Suez », tient-on à préciser. A l’écoute du rythme ascendant, notamment vers la fin de chaque dawr, il est facile d’entrer en transe. Et pour boucler la boucle, la troupe joue un dernier morceau dit al-akhrass, ou le muet, étant interprété sans paroles. La rayessa, plus convulsive, se plie en deux et en remontant, le rythme change. C’est le délire. On a l’impression que toutes les règles apprises sont violées à travers cette improvisation savante.

Dalia Chams

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Histoire de l'endroit

Makan signifie littéralement l’endroit. D’ailleurs, depuis sa fondation en 2002, ce centre, réservé à l’art et à la culture égyptiens, a voulu rester fidèle à son nom, en étant l’endroit par excellence où l’on peut trouver des informations nécessaires sur ces thèmes. Accompagné de deux musiciens, Ahmad Al-Maghrabi tente d’effectuer un travail d’ethnomusicologie, multipliant les enregistrements, les vidéos et les documents pour archiver notamment un folklore qui risque de disparaître. 5 000 gegas sont disponibles sur la musique populaire égyptienne, dont 100 proviennent de la collection privée du spécialiste en la matière, le Dr Mohamad Omrane.

Deux concerts sont organisés par semaine, à 21h : le mardi, troupes variées, et le mercredi consacré à la troupe de zar Mazaher. Le centre a permis de mieux connaître ce rituel égyptien dont la plus ancienne référence remonte à 1862. L’on suppose que son apparition en Egypte est liée à la conquête du Soudan en 1820, et par conséquent à l’arrivée de nombreux Soudanais en Egypte. Pour en savoir plus : www.egyptmusicnet.org

Centre Makan : 1, rue Saad Zaghloul. Lazoghli. Tél. : 792 08 78

 

 




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