Depuis
samedi, le néo-Wafd vit ses jours les plus difficiles depuis
son retour sur la scène politique en 1984. Le président contesté
du parti, Noamane Gomaa, et 14 autres personnes, dont le député
Ahmad Nasser, ont été détenus en garde à vue pendant quatre
jours. Ils sont accusés d’« incitation au meurtre, d’incendie
criminel, de dommages, d’utilisation d’armes à feu sans permis
et d’incitation à l’émeute ». Au bout de ces quatre jours, les
15 personnes pourraient être retenues en prison pour 15 jours
supplémentaires, à l’issue desquels elles doivent être présentées
à la justice.
Samedi dernier,
le siège du parti du néo-Wafd dans le quartier de Doqqi a été
transformé en un vrai champ de bataille. 23 personnes ont été
blessées par balle au cours d’affrontements entre les partisans
de M. Gomaa, démis de ses fonctions en janvier dernier, et ceux
de son successeur, Mahmoud Abaza, au siège du parti.
Tout a commencé
lorsque les partisans de Gomaa ont envahi le siège du parti
et en ont interdit l’accès aux « Réformateurs ». Armés de barres
de fer, de cailloux et de bâtons, une centaine de partisans
de M. Gomaa avait pris d’assaut le matin le siège du néo-Wafd
et tenté d’en chasser les partisans du nouveau chef. Après avoir
envahi le bâtiment, ils ont ouvert le feu sur les personnes
qui étaient à l’intérieur. Des journalistes du journal Al-Wafd,
organe de presse du parti dont le siège se trouve dans le même
bâtiment, figurent parmi les blessés.
Des cocktails Molotov
ont également été lancés dans le jardin du bâtiment et les pompiers
sont intervenus pour tenter d’éteindre le feu, en présence de
quelques policiers seulement. Dans l’après-midi, une aile entière
du bâtiment avait brûlé et des membres du clan Abaza ont réussi
à entrer au siège, où des portes étaient défoncées et des vitres
brisées. Des partisans de M. Gomaa ont détruit les ordinateurs
à l’intérieur des bureaux et emporté les disques durs.
A l’issue d’affrontements
qui ont duré toute la journée, Noamane Gomaa a été arrêté sur
décision du procureur général, Maher Abdel-Wahed.
Entre-temps,
le Comité des affaires des partis, qui dépend du Conseil consultatif,
a décidé à la suite d’une réunion tenue lundi de reconnaître
Moustapha Al-Tawil comme chef du parti. Celui-ci avait été élu
en février dernier par l’assemblée générale du parti.
La crise couvait
au sein du néo-Wafd depuis les dernières élections présidentielles
puis législatives de 2005, qui ont vu le parti ne remporter
que 6 sièges sur les 454 du Parlement. Arrivé troisième lors
de la présidentielle de septembre 2005 avec 2,9 % des voix,
M. Gomaa a été démis de ses fonctions au sein du parti sur décision
de l’assemblée générale du parti dominée par les « réformateurs
» qui reprochent à Gomaa ses « décisions unilatérales et son
comportement despotique ». L’adjoint de M. Gomaa, Mahmoud Abaza,
avait été nommé à la tête du néo-Wafd. Mais Gomaa, 71 ans, qui
dirigeait le parti depuis 2000, a contesté cette décision. La
justice lui a donné raison au grand dam de ses opposants qui
ont tenu à la décision de l’assemblée.
« C’est du jamais-vu
dans la vie politique égyptienne », s’est exclamé Mahmoud Abaza,
ajoutant qu’« un homme sain d’esprit n’ouvre pas le feu sur
des journalistes qui essaient tout simplement de faire leur
travail ».
Pour sa part, le
député Ahmad Nasser, proche de Noamane Gomaa, accuse les partisans
de Mahmoud Abaza d’avoir commencé par des actes de provocation
et d’agression à leur encontre. « La veille de ces événements,
le Tribunal des partis avait rejeté le recours déposé par Abaza.
La décision du procureur général permettant à Gomaa d’exercer
ses fonctions de chef du parti s’était ainsi confirmée. Et c’est
en vertu de cette décision que nous nous sommes rendus au siège
du parti avec Gomaa », assure Nasser.
Mais si les deux
clans se renvoient la responsabilité, les forces de l’ordre
sont accusées d’aider en douce la partie adverse.
Ainsi, Nasser dénonce
l’attitude passive des forces de sécurité qui ont choisi de
ne pas intervenir.
Dans l’autre camp,
Mounir Fakhri Abdel-Nour, responsable au néo-Wafd et ennemi
juré de Gomaa, accuse le Parti National Démocrate (PND, au pouvoir)
d’avoir encouragé M. Gomaa à lancer ses partisans contre ceux
de M. Abaza, car « le PND veut détruire les partis politiques
forts ».
La guerre au sein
du Wafd a choqué la classe politique égyptienne qui n’arrive
pas à croire que « ceux qui prétendent prôner la démocratie
règlent leurs propres différends en recourant aux armes ». Analysant
la situation, Gamal Fahmi, membre du Conseil du Syndicat des
journalistes, estime que l’origine du problème réside dans la
difficulté de créer un parti. « L’Etat fait exprès de multiplier
les restrictions pour entraver la création de nouveaux partis,
estime-t-il. Ceci amène les clans rivaux au sein des partis
à entrer en conflit dans l’espoir d’évincer l’adversaire au
lieu de faire scission car créer un parti est un vrai parcours
du combattant ».
« Vu la situation
actuelle de la vie politique égyptienne, ce qui s’est passé
était prévisible. C’est un manque de culture démocratique qui
fait défaut aussi bien aux partisans de Gomaa qu’à ceux d’Abaza
», affirme Amr Hachem, chercheur au Centre d’Etudes politiques
et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Hachem accuse également le
gouvernement de chercher l’implosion des partis d’opposition
pour qu’il n’y ait qu’un seul grand parti sur la scène. « C’est
cette situation qui a fait qu’un parti comme Al-Ahrar dispose
actuellement de onze présidents. Le pluralisme politique est
destiné à rester un simple leurre », lance-t-il. |