Jour après jour, la situation en Iraq se
détériore de plus en plus. La sécurité dans son sens le plus
simple est devenue un rêve lointain pour les Iraqiens. Les
hommes politiques restent en discorde à propos de la formation
du gouvernement, et les personnalités religieuses éminentes
sunnites et chiites appellent au calme, mais en vain. Quant à
l’occupation américaine, elle connaît une double impasse : elle
ne peut ni imposer un gouvernement ni contrôler la révolte
militaire et la violence de la résistance. De plus, il n’y a pas
de vision claire pour ce qui est du retrait ou de la poursuite
de l’occupation.
Ces indices politiques expliquent en partie
les causes de la détérioration sécuritaire croissante et
expliquent aussi l’état de paralysie politique qui touche le
processus d’entente entre les blocs parlementaires, empêchant la
formation d’un gouvernement. Chose qui aurait dû être faite il y
a 2 mois. Il semble aussi que le problème de la désignation du
premier ministre ne sera pas tranchée avant longtemps. En effet,
Ibrahim Al-Jaafari, le candidat de la coalition chiite, n’est
pas accepté par les 2 blocs sunnite et kurde. Cependant, il
insiste à être chef du nouveau gouvernement. Certains membres
importants de son parti font allusion au fait que si Al-Jaafari
ne devient pas premier ministre, ils s’opposeront aux
candidatures des autres blocs que ce soit à la présidence de
l’Etat ou au Parlement. Du côté formel, la question semble être
étroitement liée aux équilibres démocratiques et au jeu des
chiffres à l’intérieur du Parlement. Mais du côté objectif, il
est question de réserves importantes chez les sunnites et les
Kurdes concerna la méthode d’Al-Jaafari dans le gouvernement
précédent. Et même des membres de la coalition chiite commencent
à assimiler le degré de l’impasse que vit l’Iraq. Des voix
audacieuses se sont alors fait entendre à l’intérieur de la
coalition, appelant à la proposition d’un autre candidat qui
serait accepté par tous.
De plus, d’autres voix chiites invitent
l’ayatollah Al-Sistani considéré comme une référence chiite à
trancher lui-même la question. Mais il semble que ce dernier
préfère s’abstenir d’intervenir directement dans les affaires
politiques. Et un troisième groupe appelle à laisser la question
au vote qui sera effectué par le Parlement élu. Il est vraiment
paradoxal qu’amener une entente politique entre les blocs
parlementaires iraqiens semble être une mission tellement
difficile pour l’occupant malgré son influence et son hégémonie.
Exactement comme c’est le cas pour la sécurité, réduisant à
néant le rêve de nombreux Iraqiens de voir s’instaurer une
démocratie exemplaire.
Il faut ici dire que la crise d’Al-Jaafari,
et par conséquent du poste de premier ministre et ses
prérogatives, concerne la vision politique quant à l’avenir de
l’Iraq et la gestion de l’Etat, de ses appareils et de ses
relations étrangères pendant les 4 années à venir. Et pendant
qu’Al-Jaafari présidait le gouvernement de transition, il avait
des alignements politiques inacceptables sur les autres blocs
parlementaires. Et pour ce qui est de sa méthode de travail qui
s’est révélée être basée sur des principes de confession et
d’ethnie et non des principes nationaux, au lieu de défendre
l’idée de former une armée iraqienne unie et des services de
sécurité où fusionneraient ensemble toutes les couches du peuple
iraqien, Al-Jaafari défend le rôle des milices chiites
paramilitaires à l’écart du pouvoir de l’Etat.
Pour ce qui est de la sécurité, Al-Jaafari a
totalement échoué. Autre insuccès : aucun progrès positif en ce
qui concerne les dossiers des services et de l’économie n’a été
réalisé. Les preuves ne sont pas difficiles à détecter. Aucun
jour ne passe sans qu’on entende des nouvelles autour de
kidnapping, d’assassinat, d’explosion ou de fosses communes dont
les uniques victimes sont des citoyens qui n’ont rien à voir
avec ce qui se passe entre les hommes politiques.
Tout au long de la période de présidence du
gouvernement transitoire, le pouvoir iranien était omniprésent
dans de larges régions dans le sud et le centre du pays. Un des
chefs de la coalition chiite, Abdel-Aziz Al-Hakim a alors appelé
à un dialogue irano-américain pour parvenir à une solution en ce
qui concerne la sécurité. Cette invitation qui a été
favorablement accueillie par l’occupant prouve que ce sont les
Iraniens et non les Iraqiens qui détiennent les clés du dossier
de la sécurité, malgré les 130 000 soldats qui possèdent les
armes les plus sophistiquées au monde. Et il va de soi que la
question de la sécurité n’est pas entre les mains des Iraqiens
qui s’entretuent pour des raisons confessionnelles et ethniques.
Les rapports qui parlent d’une influence
iranienne en matière de services de renseignements secrets
peuvent être exagérés. Mais cette hypothèse peut être
partiellement vraie. Une autre information s’est fait entendre
selon laquelle la nationalité iraqienne serait octroyée à 700
000 ou plus d’Iraniens ou de personnes nées en Iran. Tout ceci
aura une influence majeure sur l’équilibre démographique dans
des régions où la plupart des habitants sont sunnites. Par
conséquent, l’influence de ces plans sur la sécurité sera très
négative.
De nombreuses questions sont suscitées autour
de l’identité de ceux qui portent l’uniforme de la police
iraqienne formée après l’invasion. Ceux-ci utilisent les armes
de la police contre des Iraqiens qui sont tous des sunnites qui
sont enlevés, torturés, tués et enterrés dans des fosses
communes. Des questions sont aussi posées en ce qui concerne
l’identité de ceux qui attaquent les mosquées et les cadres
sunnites. Toutes ces questions restent sans réponses officielles
ni même une enquête tentant de découvrir l’identité de ces
fantômes. Ce scénario noir continue toujours et rien ne prévoit
une quelconque détente que le gouvernement soit formé ou non.
Quant à la réaction du côté sunnite et du
côté des groupes religieux aux violences anti-chiites, il est
prévu qu’elle sera alignée sur les mêmes principes ethniques et
confessionnels. Ce qui promet de pousser l’Iraq vers une guerre
civile féroce. Des Iraqiens prétendent qu’il est simplement
question de règlement de comptes ou d’actes commis par des
forces sataniques qui visent à détruire l’Iraq, ou des partisans
de Zarqaoui et du réseau d’Al-Qaëda. Or, Iyad Allaoui, le
président de la liste iraqienne aux 25 sièges parlementaires, a
déclaré : « Si ce qui se passe en Iraq n’est pas une guerre
civile, qu’est-ce que vous appelez guerre civile ? ». Cette
question semble répondre à elle-même.
Il est ici vrai que le fait d’accuser Ibrahim
Al-Jaafari de haute trahison semble être stupide. Il est l’un
des symboles de la lutte iraqienne contre la dictature du régime
de Saddam. Or, il est aussi vrai que la mauvaise gestion et
l’encouragement des conflits ethniques mènent à des conséquences
catastrophiques, en particulier dans les moments de grandes
mutations, comme c’est le cas maintenant en Iraq. Les bonnes
intentions et les précédents sacrifices ne suffisent pas à
construire un nouvel Iraq sur des principes nationaux et d’unité.