Miami,
à Alexandrie. Au lendemain des affrontements sanglants entre
coptes et musulmans qui ont fait un mort et des dizaines de
blessés, le quartier panse ses blessures. L’amertume apparaît
sur les visages las et abattus. Tout près de l’Eglise des saints
où a eu lieu l’un des épisodes du drame, un groupe de jeunes
coptes s’est rassemblé. Ils font défiler le film des événements.
L’irruption d’un inconnu muni d’une arme blanche au sein de
l’église, la mort de l’un des leurs ... Et place aux
commentaires : « Ce n’est pas un fou. Comment peut-il être fou ?
C’est une affaire préméditée », lance l’un d’eux.
Tout avait commencé vendredi. Un homme muni
d’une arme blanche fait irruption dans l’église Saint-Georges.
Il monte au premier étage et attaque un ouvrier du bâtiment,
Hanna Ibrahim, âgé de 45 ans, qui effectuait des travaux de
restauration avant de s’acharner sur deux fidèles qui
s’apprêtaient à quitter le bâtiment, Michaël Hénein, 42 ans, et
Nagui Boutros, 17 ans. Les trois hommes ont été hospitalisés, le
premier dans un état critique. Mais l’assaillant poursuit son
périple sanglant. Il se rend dans une autre église, celle des
saints, située rue 45, dans le quartier de Miami, et attaque les
fidèles à la prière. Bilan : un mort, Noshi Atta Guirguis, 78
ans, et deux blessés, Michaël Seada, 25 ans, et Kozmane Tawfiq,
68 ans. La police, alertée, commence à peine à réagir lorsqu’on
apprend que l’assaillant a attaqué une troisième église, celle
de la Sainte-Vierge avant de prendre la fuite. Et ce n’est que
dans une quatrième église, Saint-Georges, dans le quartier de
Sporting, que le coupable est finalement arrêté. Selon le
ministère de l’Intérieur, il s’agirait d’un déséquilibré mental.
Mahmoud Salaheddine Abdel-Razeq, 25 ans, licencié de la faculté
de commerce et vendeur dans une épicerie, habitait tout près de
l’église Saint-Georges. Toujours selon la police, iI avait déjà
attaqué une église, le 17 avril 2005, mais il n’était pas en
possession d’armes blanches. Il avait été alors arrêté puis
relâché, car souffrant de « troubles mentaux ». Le Parquet avait
requis son internat dans un asile psychiatrique. Mais Mahmoud
n’y aurait passé que 15 jours.
Dérangé mental ou pas ?
Quartier d’Al-Hadra. C’est là que réside le
coupable. Une petite maison de deux étages, d’aspect modeste,
située dans la rue Zaher Bayoumi. Des véhicules de la sécurité
centrale sont stationnés devant la maison. Impossible de
rencontrer les membres de sa famille. A quelques pas de la
maison, des personnes qui ont côtoyé Mahmoud Salaheddine livrent
leurs témoignages. « Mahmoud travaillait avec moi depuis quatre
mois. Je n’ai rien remarqué d’anormal en lui. C’était une
personne tout à fait ordinaire. Comme beaucoup de gens, il se
rendait à la mosquée pour faire ses prières », assure Ossama
Azab, propriétaire du magasin où travaillait l’assaillant. Et
d’ajouter : « Nous avons beaucoup de clients coptes et Mahmoud
les traitait gentiment. Mon avocat personnel est un copte. Il
passait chaque jour au magasin et il n’a jamais eu de problème
avec Mahmoud ». Azab raconte ce qui s’est passé le jour des
faits. « Après que Mahmoud eut ouvert le magasin comme
d’habitude, il a pris deux grands couteaux et il s’est dirigé
vers l’église en courant. Nous ne savons pas ce qui lui a pris
».
Mahmoud venait de se fiancer il y a un mois
et menait une vie normale. Il a trois frères. On dit qu’il était
brillant à l’école mais qu’il n’avait pas d’amis. D’après son
entourage, il ne manifestait aucun signe de fondamentalisme
religieux. Cependant, depuis quelques semaines, il était devenu
nerveux et irascible. La veille de l’incident, il n’est pas venu
au magasin. Juste devant l’épicerie d’Ossama Azab se trouve un
magasin d’épices. Le propriétaire, qui refuse de donner son nom,
confirme : « Mahmoud était une personne normale. On le voyait
tous les jours. Il ne faisait rien de suspect ».
Malaise chez les coptes
Mais comment expliquer donc qu’une personne
normale puisse accomplir un tel acte ? Peut-on être frappé de
folie subitement ? Quelqu’un était-il derrière Mahmoud ? Des
questions qui ne cessent de se poser. Pour l’instant, il n’y a
pas de réponse claire. Mais l’incident a exaspéré les sentiments
de la communauté copte. « Nous ne sommes pas convaincus par
cette explication. C’est un prétexte pour classer l’affaire. Ce
n’est pas juste. Nous voulons connaître les vraies causes qui se
cachent derrière les attaques dont notre communauté est la cible
», critique Mina Guirguis, un citoyen copte. Derrière ces mots
prononcés avec amertume se cache un énorme malaise. Pour preuve,
ces confrontations sanglantes qui ont eu lieu samedi et dimanche
à Miami. Des altercations à l’arme blanche et des jets de
pierres ont transformé la rue 45 en un véritable champ de
bataille. Des magasins ont été attaqués et des véhicules
incendiés. Et le bilan est lourd : un mort parmi les musulmans
et 50 blessés. Une vingtaine de personnes ont été arrêtées. Les
forces de sécurité ont eu du mal à reprendre le contrôle de la
situation. « Le ministère de l’Intérieur nous dit à chaque fois
la même chose. C’est un fou et c’est fini. On veut la vérité,
rien que la vérité. Si la police n’est pas capable de nous
protéger, alors nous prendrons notre propre sécurité en main.
Nous les jeunes de l’église Mar Guirguis avons décidé de nous
relayer pour assurer la sécurité du bâtiment », crie Mariam Amin,
25 ans. « Nous allons pouvoir nous défendre et ils auront
prochainement notre réponse », ajoute-t-elle. Quant à Emad, un
jeune copte propriétaire de l’un des magasins attaqués, il
exprime sa désolation. « Nous vivons ensemble depuis des années
et nous célébrons nos fêtes et celles des musulmans. Mais que
diriez-vous si vous êtes à la mosquée et qu’un copte vous
attaque ? », lance-t-il.
Les musulmans, eux aussi, ne comprennent pas.
« A chaque fois qu’un drame survient on nous dit que c’est un
fou », se moque Moustapha Ibrahim, un citoyen musulman qui
aidait ses voisins coptes à ramasser les éclats de verre de la
rue 45. Et d’ajouter : « On nous a dit la même chose pour le
massacre de Béni Mazar, où une dizaine de personnes ont été
massacrées par un inconnu ».
Les coptes d’Alexandrie sont dans l’amertume.
Ils accusent le gouvernement de passivité et de n’agir qu’après
coup. Milad Hanna, célèbre écrivain et penseur copte, assure : «
Ce genre d’incidents est normal étant donné l’atmosphère qui
règne actuellement en Egypte. Les médias et l’éducation ne font
que répandre des idées extrémistes ». Il pense que cet incident
pourrait se répéter et cela signifie qu’il y a un
dysfonctionnement au sein de la société. « Traiter le problème
au niveau de la sécurité seulement ne suffit pas. Il faut une
coopération entre tous les ministères pour que de tels actes ne
se répètent pas », affirme-t-il. Des citoyens des deux
communautés ont organisé une manifestation en commun à
Alexandrie pour dire que malgré tout, coptes et musulmans font
partie d’une même nation.
Chérine Abdel-Azim